Les Ehpads et le grand âge

Infirmier.com - Ehpad : médecins, infirmiers, aides-soignants, les raisons du malaise

Septembre 2017, par Info santé sécu social

Les conditions d’exercice en Ehpad sont aujourd’hui au centre de tous les débats et de tous les rapports. Les avis convergent sur les constats : le secteur est en souffrance. Les soignants en témoignent et le secteur manque d’attractivité y compris pour les internes en médecine... La dernière « mission flash », rendue le 13 septembre, alerte une fois de plus sur les conditions d’exercice en Ehpad et fait des propositions à court terme.

Une personne agée dans un fauteuil roulant

Les conditions de travail dans les Ehpad sont “particulièrement préoccupantes tant d’un point de vue physique que psychologique”, conclut une « mission flash » dont les résultats ont été rendus le 13 septembre.

Une étude de l’Insee publiée le 5 juillet 2017 dénonçait déjà le “turnover élevé du personnel soignant dans les Ehpad privés en France,” détaillant : “Le taux de départ moyen des infirmiers est de 61 % et celui des aides‑soignants s’élève à 68 % dans les Ehpad privés en 2008”. Les raisons invoquées étaient multiples : la probabilité des départs “significativement influencée par des facteurs liés à l’environnement local du lieu de domicile tels que la proximité d’un hôpital, la concurrence entre établissements pour personnes âgées, la pénurie de personnel soignant et l’attractivité du secteur libéral pour les infirmiers”. Le “niveau de salaire”, lui, s’il a “un effet positif sur la fidélisation des aides‑soignants travaillant en Ehpad, ne semble pas avoir d’effet sur les infirmiers”, observait encore l’étude. Dans la foulée de ces conclusions, une émission du Magazine de la Santé, diffusée le mercredi 13 septembre et consacrée à la gériatrie, vient appuyer ces conclusions. Le secteur est présenté comme en crise. Manque de reconnaissance, de moyens, secteur qui fait peur, cette fois ce sont les futurs médecins qui se détournent de ces services. Une situation qui inquiète alors que le vieillissement de la population implique, au contraire, de plus grands besoins et de plus amples moyens à déployer auprès des séniors.

“C’est surtout, je pense, qu’on ne leur laisse plus l’opportunité de soigner dignement !!!! Rendement !!!! Toilettes à la chaîne, contentions et j’en passe...

Les internes désertent la gériatrie : la vieillesse ferait-elle peur ?

“Les étudiants ont quasiment tous fait leur choix d’internat et quarante postes [en gériatrie] sont toujours vacants sur les deux cent ouverts cette année”, observe le Magazine de la Santé. Conséquence de cette désertion : des fermetures de lits envisagées dans les Ehpad. La situation est donc préoccupante. Pour expliquer cet état de fait, le Dr Christophe Trivalle, gériatre à l’hôpital Paul Brousse (Villejuif), avance plusieurs hypothèses, dont celle-ci : “C’est la vieillesse, le grand âge qui fait peur. Les gens ne sont pas habitués. En gériatrie, on est excessivement confronté à son [propre] vieillissement, à la mort, à des situations familiales difficiles donc c’est une médecine qui fait peur”, observe le médecin qui craint, de ce fait, un choix de la gériatrie par défaut.

Des infirmiers dénoncent le manque de dignité des soins

Sur la page Facebook d’Infirmiers.com, la publication d’un lien vers l’émission du Magazine de la Santé a suscité de très nombreuses réactions, dont voici un petit florilège :

Davy Ketfi : “Je pense plutôt que les soignants ne trouvent pas cela suffisamment "gratifiant"... Lorsque j’ai répété que je voulais exercer en EHPAD, du début à la fin de mon parcours d’ESI, les réactions allaient de "quel gâchis, vous pourriez viser mieux" à "vous allez vous ennuyer, il n’y a pas grand-chose à faire en EHPAD". Et ça venait aussi bien de certains professionnels croisés sur les terrains de stage que de certains formateurs. Pour celles et ceux qui seraient peu convaincus par cette hypothèse, voyez s’il est compliqué pour les services de soins palliatifs, urgence ou réanimation de pourvoir leurs postes, alors que les situations qu’on y rencontre ne me semblent pas très évidentes à gérer non plus... Enfin, tout ça ne reste qu’un (mon...) point de vue après tout”.

Pascale Boutros : “C’est pourtant une spécialité très formatrice pour les soignants en général...résidents poly-pathologiques, troubles du comportement, orthopédie… Seul hic, le manque de moyens !!”

Caroline Lesomptier : “C’est surtout, je pense, qu’on ne leur laisse plus l’opportunité de soigner dignement !!!! Rendement !!!! Toilettes à la chaîne, contentions et j’en passe... Je ne voudrais être contrainte à exercer ce genre de maltraitance !!! Je ne pense pas que la peur du grand âge et de la mort soit le problème !”

Clémence Isambert : “6 années en EHPAD par CHOIX, tout le monde n’est pas fait pour travailler dans ce secteur c’est normal, il faut une grande patience, prendre beaucoup de recul et savoir soutenir les familles. Mais contrairement à certains commentaires que je lis, on peut faire du super travail en gériatrie lorsque c’est une vocation. Aucun regret.”

Emma Landes “Pourtant il est tellement important d’accompagner ces personnes au quotidien pour qui ces services de gériatrie sont souvent la dernière demeure… Il n y a pas de quoi avoir peur... Pour cela, je crois qu’il faut accepter aussi de les laisser partir, de les laisser choisir... Je ne regrette pas d’être infirmière dans un tel service.”

Une étude de la Dress portant sur les conditions de travail des soignants dans les Ehpad publiée en septembre 2016 relevait un « vécu très difficile » de la part « des personnels engagés ». Il faut dire que depuis une vingtaine d’années, et ce malgré les plans solidarité grand âge qui se multiplient, la France peine à rattraper son retard. Aujourd’hui, on compte environ 5 professionnels pour 10 résidents dans les établissements français alors qu’ils sont 8 pour 10 en Allemagne et en Belgique et même 12 pour 10 en Suède et au Danemark.

Des aides-soignants usés par les cadences

Même chose sur la page Facebook d’Aide-Soignant, où la communauté a également beaucoup réagi :

Murielle Voituron Blavier : “Pour moi [se confronter à la mort] n’est pas le pire. Ce sont les conditions de travail et, justement, le fait de n’avoir pas assez de temps pour [les personnes âgées] qui est en cause. Mon vœux étant jeune était de travailler en maison de retraite mais il fallait travailler à la chaîne : douches, repas et quand la journée se terminait, nous n’avions même pas eu le temps d’une conversation et nous étions épuisés. Résultat : je suis partie car je ne pouvais pas les traiter comme ça. Moi aussi un jour je serai vieille et ça me fait peur vu les conditions.”

Cleo Pâtre “Je travaille dans un service de médecine gériatrique : deux postes infirmiers sont vacants et nous n’avons un interne que durant six mois, pourtant, l’équipe est consciencieuse et unie, l’ambiance est bonne mais les locaux sont vétustes et le matériel obsolète. Nous souffrons d’un manque de considération... Nous nous sentons abandonnés, négligés... Pourtant, la médecine gériatrique est riche et pas toujours triste ! Notre mauvaise réputation nous nuit mais elle est injustifiée !”

Rom Sta : “On est surtout exploités et mal payés. Elle est là la mauvaise image.”

Yves Lamard : “Heu... c’est aussi peut être un peu parce que les rythmes de travail sont infernaux ... non ???”

Syl Lam : “Sachez, chère ministre de la santé, qu’un jour vous serez dans un de nos services.”

Nadine Mickael : “23 ans de gériatrie, ça use.”

Comme le soulignent plusieurs commentaires, la gériatrie se trouve au carrefour de plusieurs champs de connaissance, ce qui la rend particulièrement intéressante. Elle est “une sorte de super médecine interne, c’est-à-dire qu’il faut bien connaître le cœur, il y a la cardio-gériatrie, il y a l’orthopédie gériatrique…”, assure le Dr Christophe Trivalle. “Ceux qui veulent faire de la maladie infectieuse peuvent faire de la maladie infectieuse du sujet âgé. C’est extrêmement riche et il existe des particularités extrêmement importantes”. La gériatrie pourrait-elle ainsi redevenir un secteur attractif ?

“On est surtout exploités et mal payés. Elle est là la mauvaise image.

Une « Mission flash » se penche sur les conditions de travail dans les Ehpad

Un mois et demi après la longue grève des "Opalines" menée durant 117 jours par les aides-soignantes d’un Ehpad à Foucherans (dans le Jura) pour dénoncer leurs conditions de travail, une « mission flash », une mission parlementaire sur les Ehpad, lancée le 3 août dernier et rendue le 13 septembre devant la Commission des Affaires Sociales, s’est penchée sur le sort du personnel soignant en Ehpad. L’ensemble des institutionnels, les représentants des personnels (médecins, infirmiers, aides-soignants et directeurs d’établissements), ainsi que les organisations syndicales et des représentants des usagers ont été consultés. L’objectif de cette mission ? Faire, “en quelques jours, un état des lieux, identifier les problèmes urgents et proposer des actions immédiates”, avant un travail plus approfondi. Car il y a urgence, rappelait ainsi la présidente de séance Brigitte Bourguignon, avant de céder la parole à la députée (LRM) de Haute-Garonne, Monique Iborra, qui s’est chargée de cette mission.

Les conclusions sont accablantes. Les conditions de travail, d’abord, sont “particulièrement préoccupantes tant d’un point de vue physique que psychologique”, relève le rapport. Pour les aides-soignantes : “le taux d’absentéisme moyen atteint 10%” et “le taux d’accidents du travail est deux fois supérieur à la moyenne nationale”. Autres points critiques relevés par le rapport : une « médicalisation insuffisante » des établissements, un système de tarification « kafkaïen » et un manque criant de personnel : un tiers des établissements sont ainsi dépourvus de médecins coordinateurs et la grande majorité des Ehpad n’ont pas d’infirmiers de nuit, ce qui engendre “souvent des hospitalisations en urgence qui auraient pu être évitées ”. Des conclusions alarmantes donc, qui rejoignent celles faites depuis longtemps par les professionnels sur le terrain. Cadences infernales, sous-effectifs, de cette situation résulte une « “maltraitante institutionnelle” dénonce par exemple Carole Gauvrit, de la fédération nationale des associations d’aides-soignants, dans une interview publiée le 18 septembre.

Des propositions à court terme : la rapporteure de la « mission flash » propose “qu’un groupe de travail soit mis en place au sein du ministère de la santé sur l’évolution des missions des aides-soignants et la revalorisation de leur statut”, elle attire également l’attention sur la “nécessité d’imposer la présence d’un infirmier de nuit dans les EHPAD” et souhaite “la préservation des contrats aidés dans les établissements souffrant déjà de sous-effectifs patents en 2017”. Enfin, elle préconise une “évaluation de l’impact concret de la réforme de la tarification des Ehpad sur les territoires” avec pour objectif “d’assurer une redistribution plus équitable”. A moyen terme, la commission devrait déboucher sur l’ouverture d’une mission d’information plus traditionnelle avec enquête de terrain à l’appui. Selon le rapport toujours, celle-ci “devra notamment se pencher sur la possibilité d’instaurer une norme minimale d’encadrement”, inexistante en France.
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Susie BOURQUIN