Le droit à la santé et à la vie

Infirmier.com - Hôpital Lariboisière : "C’est juste inhumain"

Août 2018, par Info santé sécu social

31.07.18 Mise à jour le 02.08.18

Aux urgences de l’Hôpital Lariboisière (AP-HP), dans le 10e arrondissement de Paris, les professionnels dénoncent une situation "insoutenable". Les soignants sont dans l’incapacité de faire face au flux de patients alors que les équipes sont trop peu nombreuses pour les accueillir.

De 230 passages par jour en moyenne, le service – l’un des plus gros de France – s’est rapproché des 300 passages quotidiens.

Les urgentistes s’inquiètent de ce que le nombre de services d’urgences se trouve aujourd’hui à un seuil en dessous duquel la population est en danger, rappelait une journaliste du quotidien Le Monde le 30 juillet. Alors que le chantier de la réforme des autorisations de médecine d’urgence visant à "repenser l’organisation territoriale à l’horizon 2020" s’est ouvert sur la période 2018-2019 et devrait aboutir à la publication de nouveaux textes pour application en 2020, le secteur gronde une fois de plus. C’est cette fois le personnel soignant de l’hôpital Lariboisière à Paris qui s’indigne, rapporte le Journal Le Monde qui a pu interroger les intéressés sous couvert d’anonymat. Quelques chiffres pour bien cerner la situation : de 230 passages par jour en moyenne, le service – l’un des plus gros de France – s’est rapproché des 300 passages quotidiens, avec des pics à 340 le 21 juin pour la Fête de la musique, et le 16 juillet, juste après la victoire de la France en finale de la Coupe du monde de football, précise le quotidien. Une affluence à laquelle le personnel ne peut plus faire face, faute d’effectifs suffisants. Le 20 juillet, l’USAP-CGT, le premier syndicat de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a d’ailleurs publié un communiqué pour alerter sur une situation devenue insoutenable, le remplacement des agents partant en vacances cet été ayant été divisé par deux.

Un aide-soignant du service témoigne
Nous ne dévoilerons pas son nom mais cet aide-soignant aux urgences de l’hôpital Lariboisière à Paris depuis plusieurs années a vu la situation se dégrader au fil du temps et a souhaité témoigner anonymement sur Infirmiers.com.

Le tableau que dresse cet aide-soignant n’est pas reluisant. Moral des équipes en berne, de plus en plus de pression exercée par les cadres, ça va mal au service des urgences de l’hôpital Lariboisière. Tout le monde subit les conséquences de cette dégradation des conditions de travail, flagrante depuis maintenant plusieurs années, raconte notre interlocuteur, qui a pris l’habitude de travailler en sous-effectif, mais qui en souffre, comme ses collègues. Le service a vu les arrivées de patients augmenter de 4% par an mais les effectifs de soignants n’ont pas bougé. Un symptôme du mal-être selon lui ? On constate qu’il y a de plus en plus de turn-over ici. Aujourd’hui, un infirmier reste un ou deux ans chez nous, pas plus. Les collègues cherchent à partir car les conditions sont trop dures.

A commencer par les plus expérimentés, ce qui fait que la qualité du travail en prend un coup. Autres conséquences de ces mouvements au sein du service : il faut reformer des gens à la hâte. Les infirmiers expérimentés sont remplacés par des jeunes qui sortent d’école. Ce n’est pas facile pour eux... Le ras-le-bol s’est installé, au quotidien. On se fait insulter par les patients à longueur de journée. On finit par trouver ça banal mais ce n’est pas normal ! Une agressivité exacerbée par le manque de moyens humains. On reçoit des patients qui arrivent avec des pathologies psychiatriques, des personnes âgées qui présentent des plaies, des patients parfois lourds. Les infirmiers présents ne sont pas toujours formés à soigner les escarres, par exemple, alors il faut aller chercher quelqu’un qui sait les prendre en charge. Il existe des formations mais très peu nous sont proposées, tout le monde n’a pas le temps de les suivre, quand on en suit une par an c’est déjà génial... Bref, on pare au plus pressé, mais parfois, on est complètement dépassés. Un manque de temps aboutit nécessairement à un manque de communication qui peut s’avérer très problématique, surtout aux urgences. On a aussi une population difficile, en grande précarité or, on n’a pas aujourd’hui de personnel formé pour y faire face. Il faudrait un agent social présent en permanence, ou bien former les équipes pour répondre aux besoins.

Ces conditions précaires ont fini par écorner le moral des soignants. On voit des collègues qui craquent, qui pleurent, on est devenus très aigris. Quand on arrive aux urgences, on est plein de bonne volonté mais là, c’est la déception. On est là pour sauver des gens, pour se donner à 200% mais à force de tirer sur la corde, on finit par être complètement dégoûtés. Moi, j’ai tous les jours le sentiment de ne pas avoir le temps. Vous avez deux minutes ? Ben non...

Quant à la direction, elle promet d’essayer de faire quelque chose, une réponse évidemment très en deçà des attentes et des besoins criants du service. On a l’impression que la direction est contre nous. On a beau expliquer qu’on veut échanger pour faire bouger les choses, on a le sentiment de parler à un mur. Parfois, les échanges durent 2h30 et ne débouchent sur rien de concret... Et on continue à enchaîner les réunions de crise pour tenter de débloquer des lits pour les patients qui attendent quelquefois depuis plusieurs jours aux urgences ! Le jour de la coupe du monde, les effectifs n’ont pas été renforcés. Pourquoi ? La direction ne nous a pas donné de réponse. Depuis quelques temps, les soignants refusent le travail en 12h. Parce qu’il manque du monde, on nous demande de faire des journées de 12h sur la base du volontariat... Aujourd’hui on refuse, parce qu’on sait que ces jours ne seront certainement pas rattapés. On se retrouve régulièrement à tourner à 3 aides-soignants au lieu de 4 à l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD)... Personnellement, je reste parce que j’aime encore mon boulot, mais pour combien de temps ?

Entre la direction et les soignants sur le terrain, les discours se contredisent, la première assurant que des renforts de professionnels soignants aux urgences sont systématiquement prévus, les seconds soulignant au contraire que leurs effectifs n’ont pas été renforcés ces deux jours. Par ailleurs, le temps d’attente à l’arrivée aux urgences se seraient aussi fortement accru, atteignant de six à dix heures certains jours. En moyenne, on est deux infirmiers et un aide-soignant pour chaque secteur de soins, y compris l’accueil, résume une jeune infirmière de jour. On n’a même plus le temps d’instaurer un dialogue, et d’expliquer aux gens les soins qu’on va leur faire. Et le récit que fait une aide-soignante de nuit n’est pas plus rassurant : Quand j’arrive à 21 h 30, les treize brancards dont on dispose sont presque tous occupés. On se retrouve donc à devoir faire attendre des personnes âgées de 80 ou 90 ans dans la salle avec tout le monde, pliées en deux sur leur chaise. C’est juste inhumain.

On ne demande pas plus de vacances, ni d’augmentation de salaire, précise une infirmière. On veut juste être renforcés dans nos équipes, pour travailler en sécurité, et assurer celle des patients.

Le dialogue, malgré tout, n’est pas rompu. Dans l’idéal, le personnel souhaiterait vingt infirmiers, vingt aides-soignants et dix médecins supplémentaires, mais également l’assurance que toutes les absences soient remplacées. De son côté, la direction s’est engagée à sécuriser les renforts humains (jour et nuit) pour les pics d’activité prévisibles et à sécuriser les remplacements des absences longues des agents, rapporte Le Monde. Une session de travail réunissant l’ensemble des acteurs doit se tenir le 9 août prochain pour faire le point. Rappelons que le dossier des urgences est un dossier brûlant. En attestent, ces derniers mois, le mouvement des personnels en souffrance de l’Hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, l’affaire Musenga ou encore la récente lettre d’une femme qui questionne l’accueil et la prise en charge des patients au service des urgences du centre hospitalier de la Cavale Blanche, à Brest, après le décès de sa mère.

Susie BOURQUIN
Journaliste
susie.bourquin@infirmiers.com
@SusieBourquin