Maternités et Hopitaux publics

infirmier.com - Jusqu’à ce matin, je bossais à l’hôpital...

Septembre 2016, par Info santé sécu social

Cet édito de rentrée fait tristement écho à l’actualité du moment et de ces derniers mois : des soignants pour la plupart désespérés, dont certains d’entre eux ont commis l’irréparable. Corinne Régulaire, une infirmière blogueuse dont la verve n’est plus à démontrer, l’illustre avec froideur dans son court récit désenchanté. Tout est dit et nous ne l’aurions pas dit mieux. Nous partageons donc avec vous le texte qui suit, glaçant de désespérance. Partagez-le, commentez-le, et portez à la connaissance du plus grand nombre les tristes jours que traverse la profession infirmière.

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La vie d’infirmière en mode « bref » ! Une triste réalité qui fait echo à une situation désespérante vécue par de nombreux IDE...

Ce matin, j’étais de repos. A sept heures, mon portable a sonné. A moitié dans le coma, j’ai répondu. J’aurais pas dû... Le cadre de mon service m’annonce qu’il faut que je remplace au pied levé un collègue malade. Je lui dis que je vais chez l’ophtalmo et que ça fait six mois que j’attend ce rendez-vous. Il me parle de la nécessité de service et du manque de personnel. Je lui parle de mes yeux. Il s’en fout…

Je lui rappelle le dernier weed-end qu’il m’a foutu en l’air. Il ne s’en souvient plus. Je lui dis que j’ai un mari et des enfants et que j’aimerais passer du temps avec eux. Il évoque mon statut de contractuelle et brandit la titularisation comme une arme fatale. Je tombe sous le flot de tant d’arguments.

Je file à la salle de bains. Je regarde le miroir. J’ai la tête des mauvais jours. Je songe au mariage de ma copine Sabine où je n’étais pas présente pour les mêmes nécessités de service. Je me rappelle des vacances de Noël de l’an passé avortées pour les mêmes raisons. Je pense à l’ambiance dans ce service où je bosse depuis 18 mois. Je songe à ma charge de travail qui ne cesse de croître. J’entrevois toutes les responsabilités supplémentaires qui me tombent dessus chaque jour. j’ai mal au dos. Je perçois la violence dans laquelle je baigne parfois. Je crains de ne pas y arriver. J’ai la nausée. Je vomis. Je regarde à nouveau le miroir. J’ai la tête à l’envers. J’ai mal à ma vie.

Je me dis qu’aujourd’hui, je n’irai pas bosser. Je peux pas. Je songe à l’amour que j’avais pour ce métier. Je me souviens de mes années de formation et de mes premiers pas. Je revois la fierté de mon père et de ma mère. Je voudrais pleurer. J’y arrive pas. Je me dis que je me suis fait trop d’illusions. Je regarde le miroir. Je suis nulle. J’ouvre l’armoire à pharmacie. Je regarde les boîtes de médicaments que je prends depuis plusieurs mois pour aller mieux. Je me dis que je ne m’en sortirai jamais. Je les avale tous. Je m’allonge dans la baignoire. Je songe à mes enfants, mon mari, ma famille, mes amis. Ma tête est lourde et vacille.

Bref, je bossais à l’hôpital.

Corinne REGULAIRE

IDEL, alias La Seringue Atomique

Merci pour son autorisation de reproduction de cet article paru sur son blog le 3 septembre 2016 . Son livre La seringue atomique Chroniques agitées d’une infirmière libérale, paru au printemps 2016 aux Editions Marie B est disponible sur IDE Collection.