Luttes et mobilisations

Infirmiers.com - Aides-soignantes : quand le combat des Opalines devient national

Juillet 2017, par Info santé sécu social

Par Bernadette Fabregas.

Le 19 juillet dernier, la journaliste Florence Aubenas publie dans l’édition (papier) du Monde un article intitulé "Vous avez vu comme elles sont fatiguées ?". De qui parle-t-elle ? Des aides-soignantes d’une maison de retraite jurassienne "Les Opalines", à Foucherans, en grève depuis le 3 avril pour dénoncer leurs conditions de travail et plus précisément la façon dont l’institution les conduit, bien malgré elles, à être dans une "maltraitance ordinaire" des résidents. Ce reportage, fort et révoltant, le dénonce : “on ne les met pas au lit, on les jette” et ouvre le débat mais surtout autorise enfin les témoignages ici et ailleurs alors que le silence national était jusqu’alors absolu. Depuis, en effet, les médias se sont fait l’écho de cette lutte jugée par les principales intéressées "plus seulement pour les sous, mais pour la dignité". La métaphore animale est d’ailleurs employée à plusieurs reprises par les soignants eux-mêmes : “le bétail est mieux soigné dans les étables.”

Les professionnels de santé eux-mêmes le dénoncent : "les conditions de travail des aides-soignantes dans la plupart des Ehpad ne sont pas dignes de notre époque, c’est de l’esclavage ! Et de l’abattage... une honte !"

Le tragique est là, écrit Florence Aubenas, “d’une certaine façon : c’est la vie quotidienne dans un Ehpad qu’une poignée de filles à bout de souffle vient soudain de mettre à nu.” “Le matin, on les lève sans leur demander leur avis. On sait qu’on n’aura pas le temps : quinze minutes pour la toilette, l’habillement, le petit déjeuner, les médicaments. alors il faut choisir. est-ce qu’on lave les cheveux ? Ou les dents ? La douche hebdomadaire, c’est rare qu’on la tienne” dit l’une des aides-soignantes en lutte. Sur les réseaux sociaux, les commentaires et autres témoignages à l’identique s’accumulent.

Le problème ne date pas d’hier…

Sur la page Facebook du site Aide-Soignant, ou celle d’Infirmiers.com, où un article de 20 Minutes sur le sujet a été partagé, c’est peu de dire que le sujet fait réagir. Nombre d’internautes, des aides-soignants pour la plupart, souvent exaspérés, mettent en avant une question ancienne, régulièrement soulevée mais qui n’a jamais trouvé de réponse. Tous soutiennent le combat des aides-soignantes de la maison de retraite des Opalines, dans le Jura, et font part de leur propre expérience.

Pour Catherine Normand, “le gouvernement, le ministre de la santé, les directeurs d’ehpad, nos formateurs, nos cadres, les familles et ami(e)s de nos patients ou nos résidents sont tous COMPLICES”. “Nous les avons assez prévenus, assez tiré la sonnette d’alarme !” s’insurge-t-elle. Géraldine Taoufik-Smith abonde : “Ça fait des années que je trouve qu’il y a maltraitance ou malveillance (…) mais rien n’y fait on est désarmées !” Mireille Fourre met en avant “les horribles maltraitances que subissent les soignants” dénonçant “un salaire bas”, “la charge du travail”, les inégalités de traitement : “le salaire n’est pas le même d’un établissement à une autre” ou encore “le manque d’employés et de matériel,” évoquant encore “des négligences au niveau des soins qui sont cachés aux familles” avant de conclure par ces mots : “la honte totale”. Sylvie Eleonore, une aide-soignante, a beau aimer son métier, elle regrette les conditions d’exercice : “Toucher 1300 euros à temps plein en bossant 2 week-end par mois voilà.... On fait pas ce boulot pour être riche on le fait par vocation mais honnêtement c’est pas normal avec toute l’énergie qu’on donne, le temps qu’on passe au boulot pendant les week-ends et les jours fériés la vie de famille en pâtit et c’est bien dommage”.

“Il faut que le gouvernement ouvre les yeux il est inconcevable de travailler avec l’humain sans avoir la possibilité de le respecter par manque de temps ou d’effectifs...

Recherche de la rentabilité à tout prix

Les commentaires dénoncent aussi une logique de la rentabilité, qui se fait toujours au détriment du service de soin. Pour Brigitte Romé, la France se trompe d’objectif. “En ce qui concerne le personnel, en France on ne sait que faire des calculs. Tant d’enfants dans une école égale tant d’inscrits, tant de personnes âgées égale tant de personnel soignant, peu importe si il y a plus de dépendants ou pas... C’est mathématique. Ce n’est pas l’humain qui compte, c’est le financier. Pour un pays qui clame haut et fort, à travers le monde le respect des "droits de l’homme" qu’il regarde de plus près combien ces droits sont bafoués pour nos personnes âgées qui ne sont défendues par personne. Honte pour notre pays... Et hypocrisie” se désole-t-elle. Tisia Candy, elle, s’est reconvertie : “C’est pour ça que je suis dans le commerce maintenant... et le pire... c’est que je suis mieux payée pour moins de responsabilité”. Claudia Louvancour exprime sa solidarité : “Pour y être passée en CDD avant de rentrer a l’hôpital, je compatis ! Les conditions de travail des aides-soignantes dans la plupart des Ehpad ne sont pas dignes de notre époque, c’est de l’esclavage ! Et de l’abattage... une honte !!” La métaphore animale est d’ailleurs employée à plusieurs reprises : “Le bétail est mieux soigné dans les étables”..., ose par exemple Ramble Tamble. Enfin, pour Lo Lotte, le combat des aides-soignantes est justifié, mais elle élargirait le personnel concerné “Étant infirmière, je dirais que cela est vrai pour toute personne travaillant dans certains Ehpad ... de la femme de ménage à la directrice. Les conditions de travail sont lamentables et cela n’a rien avoir avec le forfait payé par les "résidents", ou le statut public ou privé”.

“Aide-soignante depuis 6 ans je vais donner ma démission et me réorienter dans un métier ou j’espère m’épanouir enfin !

Florence Aubenas souligne dans son article que la directrice des Opalines “est à cran”. Elle reconnait “un planning tendu depuis des mois, une fatigue des salariées”. Le SYNERPA, Syndicat national des professionnels du Grand Âge, rappelle cependant dans un communiqué que “cette situation particulière d’un établissement ne peut être associée à l’ensemble des 7 000 EHPAD de France hébergeant 728 000 personnes accompagnées quotidiennement par près de 400 000 professionnels”. Sa déléguée générale, Florence Arnaiz-Maumé, le souligne : “le contexte de l’EHPAD « Les Opalines » de Foucherans relève d’une structure et de certains de ses salariés. Ce contexte et sa spécificité ne peuvent en aucun cas permettre de porter un jugement global sur la totalité d’un secteur parmi les plus réglementés et les plus contrôlés, comme sur l’engagement permanent de ses professionnels au service des résidents et de leur entourage”. De son côté, l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) soutient le mouvement social des Opalines et en appelle à la ministre des Solidarités et de la Santé dans un communiqué. L’Association demande à Agnès Buzyn qu’une réunion soit prochainement organisée avec l’ensemble des représentants des retraités - personnes âgées, professionnels et salariés pour qu’elle explique “comment elle entend relever le défi de l’aide à nos ainés”. L’AD-PA “partage l’inquiétude des professionnels et y ajoute sa préoccupation pour les personnes âgées vivant à domicile et les personnels qui les accompagnent. En effet, la France a accumulé depuis 30 ans un retard important par rapport à ses voisins européens ce qui conduit aujourd’hui à des situations inacceptables où les professionnels en établissement comme à domicile ne passent assez de temps pour accompagner correctement nos aînés fragilisés. Les directeurs comme les salariés vivent de plus en plus difficilement cette contradiction entre les budgets toujours plus contraints et les attentes légitimement croissantes des personnes âgées et de leurs familles. Dans cette situation, il ne saurait être envisagé que soit mis en œuvre le décret de décembre 2016 visant encore à réduire les budgets de nombreux établissements et que le secteur de l’aide à domicile continue de vivre la situation de crise qu’il connait depuis de plusieurs années”.

“Qu’est-ce qu’il faudrait faire maintenant ? Qu’une d’entre nous se suicide sur le parking ?

A l’Assemblée nationale, la députée Caroline Fiat (La France Insoumise), aide-soignante elle-même, s’est exprimée devant ses collègues, hélas fort peu nombreux dans l’hémicycle, alertant sur les conditions de travail dégradées des personnels de santé. Si Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé l’a écouté très attentivement, quelles en seront les conséquences sur le quotidien des soignants ? Un dossier sur lequel elle sera très attendue par des professionnels de santé qui n’en finissent pas de voir leur quotidien professionnel tomber, jour après jour, en déliquescence. Caroline Fiat l’a en effet rappelé avec force et émotion, “la santé a besoin de structures, de personnels formés et en nombre suffisant, de conditions d’exercice dignes”. Et de souligner que “tous les professionnels de santé sonnent l’alarme : nous n’en pouvons plus ! Madame la ministre, vous connaissez notre quotidien et celui des patients. Notre métier principal est de maintenir les 14 besoins fondamentaux édictés par Virginia Henderson”. Et de les énumérer pour rappeler à chacun combien le mot "fondamental" est au coeur des soins avec cette question : “demandez-vous comment et par quel miracle nous arrivons à faire une toilette à un corps souvent meurti en seulement 6 minutes ?” Sa conclusion n’en est pas moins éloquente “nous, les soignants, nous portons sur nos épaules le mal-être des patients. Nous sommes dévorés par les accidents professionnels provoqués par la fatigue et le stress. Certains d’entre nous abandonnent leur l’exercice de nos métiers et plus grave encore certaines situations ont conduit nombre d’entre nous au suicide”.

François Ruffin et des députés de la majorité et de l’opposition se rendront le 25 juillet à Foucherans pour rencontrer les grévistes de l’établissement. L’AD-PA est satisfaite de ce déplacement qui devrait permettre aux parlementaires de mieux comprendre la situation de cet établissement, et au-delà de l’ensemble du secteur de l’aide aux Personnes Agées. Dans ce sens, l’AD-PA va demander à rencontrer chacun des Présidents des groupes à l’Assemblée Nationale pour leur proposer, en ce début de mandature, des éléments pour sortir du blocage dans le secteur de l’aide aux Personnes Agées : soutien de l’aide à domicile, développement de l’emploi, évolution des établissements vers des domiciles... Reçue au Cabinet d’Agnès BUZYN, l’AD-PA a présenté ces mêmes propositions et soutenu la demande des grévistes d’être reçues par la Ministre.

Florence Aubenas, dans son reportage aux Opalines, ne disait pas autre chose en écrivant ceci : “les filles ont envoyé un SOS à la préfecture. Qu’est-ce qu’il faudrait faire maintenant ? Qu’une d’entre nous se suicide sur le parking ?”