Les Ehpads et le grand âge

Infirmiers.com - Ehpad : "ce n’est évidemment pas le Grand Soir"

Juin 2018, par Info santé sécu social

Astreintes de nuit dans les Ehpad, télémédecine, recrutements, prévention : Agnès Buzyn a détaillé, mercredi 30 mai, son grand plan pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et la prise en charge à domicile. Parmi la quinzaine de mesures annoncées, dont le coût global n’a pas été chiffré, beaucoup visent à "améliorer la qualité des soins et des accompagnements en établissement". Le gouvernement fait un effort financier manifeste, mais les mesures ne sont pas à la hauteur des attentes, selon personnel soignant et syndicats.

Ces mesures "ont le mérite d’exister, mais nous attendons qu’elles soient concrétisées par des mesures beaucoup plus ambitieuses, à la hauteur des enjeux", Jean-Pierre Riso, président de la FNADEPA.

Comment améliorer la vie des 760 000 personnes âgées en perte d’autonomie, en améliorant celle des personnels soignants ? Agnès Buzyn avait déjà esquissé son plan d’action, le 26 janvier dernier. La ministre des Solidarités et de la Santé a présenté cette fois, mercredi 30 mai, sa feuille de route intitulée Grand âge et autonomie, pour relever le défi du vieillissement à court et moyen terme, a précisé le ministère. Ces annonces étaient particulièrement attendues après la colère sans précédent des personnels d’Ehpad, qui se sont massivement mis en grève à deux reprises, en janvier et en mars derniers pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail et les répercussions de cette situation sur l’accueil des résidents.

Parmi les points forts dévoilés par la ministre : les Ehpad recevront 360 millions d’euros supplémentaires de 2019 à 2021, soit 143 millions de plus que prévu qui seront consacrés au recrutement de personnels soignants. Autre mesure visible -et très attendue alors que la pénurie de personnel soignants en Ehpad est criante : l’augmentation du nombre de soignants dans ces établissements, avec notamment la création de 20 000 postes supplémentaires en trois ans. Par ailleurs, 1000 places d’hébergement temporaire en EHPAD pour les personnes sortant d’hospitalisation seront financées à hauteur de 15 millions d’euros par l’assurance maladie dès 2019 : l’objectif est de réduire les durées d’hospitalisation et de faciliter le retour à domicile des personnes, tout en les maintenant dans un environnement sécurisé avec la présence de soignants, précise la ministre.

Si des moyens sont alloués au recrutement de personnels, le problème reste entier de savoir comment attirer les soignants vers des postes en Ehpad. De nombreux directeurs d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes disent en effet aujourd’hui avoir du mal à pourvoir ces postes réputés pénibles, peu payés et peu considérés, relevait le Monde dans son édition du 11 mai dernier.

Le recrutement des aides-soignants difficile en France selon Pôle emploi
D’après les données de Pôle-emploi, plus de 58 500 projets de recrutements d’aides-soignants ont été comptabilisés en 2018. Ces projets sont particulièrement nombreux en Île-de-France, PACA, Auvergne-Rhône-Alpes et en Nouvelle Aquitaine. En parallèle, la part de difficultés pour recruter ces professionnels a été estimée à 48%. Ce chiffre est encore plus alarmant dans certaines régions, où les difficultés de recrutement sont évaluéés à plus de 50% , notamment en PACA, en Auvergne-Rhône-Alpes, dans le Grand Est, au Centre Val-de-Loire, en Normandie et en Corse.

Une augmentation du nombre d’infirmiers de nuit dans les Ehpad
Agnès Buzyn a également annoncé une augmentation du nombre d’infirmiers de nuit dans les Ehpad, grâce à une astreinte infirmière mutualisée entre plusieurs établissements d’un même territoire. 36 millions d’euros seront consacrés à la généralisation de la présence d’infirmiers de nuit d’ici à 2020, pour réduire les hospitalisations en urgence évitables et sécuriser les prises en charge nocturnes, a ainsi précisé la ministre. Le plan prévoit également - et dans le même objectif- de généraliser l’accès à la télémédecine pour les personnes âgées d’ici 2022, avec un budget de 40 millions d’euros sur cinq ans.

100 millions consacrés à l’aide à domicile
La majorité des personnes âgées vieillissent chez elles et bénéficient d’un service d’aide et d’accompagnement à domicile. Agnès Buzyn a ainsi annoncé une enveloppe de cent millions d’euros destinés à développer et rendre accessible l’aide à domicile. D’ici 2050, la France comptera près de 5 millions de personnes de plus de 85 ans, contre 1,5 aujourd’hui. Sur la question du veillissement, à long terme, la ministre n’a pas tranché et a dit vouloir ouvrir le débat.

Des mesures beaucoup plus ambitieuses attendues
Syndicats, personnel soignant, n’ont pas tardé à réagir à ces annonces. Pour le Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI), les moyens ne suivent pas et les mon­tants pro­po­sés ne sont pas à la hau­teur des enjeux. Avec 10 mil­lions par an, on ne peut recru­ter que 280 infir­miè­res pour exer­cer la nuit dans les 7500 Ehpad ! Derrière le slogan, les moyens ne sui­vent pas, confie Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat natio­nal des infir­miers SNPI CFE-CGC C’est de la poudre aux yeux, la minis­tre joue au mar­chand de sable pour nous endor­mir.

Les mesures dévoilées par la ministre représentent un début de réponse, a commenté pour sa part la Coordination Nationale Infirmière (CNI). L’organisation note plusieurs points positifs (la notion de prévention de la perte de l’autonomie, l’attention portée aux aidants, l’annonce du lancement d’un plan métier et compétences, l’objectif de développer les soins sur les lieux de vie, le renforcement des équipes mobiles de gériatrie) et le syndicat prend également acte de la volonté affichée d’augmenter le nombre de soignants exerçant en EHPAD par l’accélération de la montée en charge de la réforme de la tarification des soins dans ces établissements. Mais si la CNI salue un dialogue qui s’ouvre elle restera vigilante à l’adéquation des moyens alloués aux besoins réels, mais aussi à la promotion d’une attractivité vers les professions incontournables comme infirmières, aides-soignants, assistants en gérontologie par la reconnaissance des contraintes (prime de nuit, dimanches et fériés, de la pénibilité avec la bonification au 1/5ème et des compétences par des revalorisations salariales).

Pour Jean-Pierre Riso, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et de services pour personnes âgées ( FNADEPA), ces mesures d’urgence ont été prises dans un état d’urgence, et la FNADEPA s’en félicite, mais ce n’est évidemment pas le grand soir. Ces mesures ont le mérite d’exister, mais nous attendons qu’elles soient concrétisées par des mesures beaucoup plus ambitieuses, à la hauteur des enjeux. Deux points essentiels : sur le renforcement des moyens humains à domicile, cela reste très insuffisant, assure Jean-Pierre Riso. Ces mesures viennent compenser une situation très dégradée mais ces moyens sont véritablement insuffisants pour transformer en profondeur l’accompagnement des personnes âgées d’ici 2050 - car c’est bien de cela qu’il s’agit. Quant à la généralisation d’astreinte d’infirmiers de nuit, prévue là encore par Agnès Buzyn, il s’agit d’un dispositif intéressant, concède Mr Riso, mais qui ne doit pas se substituer aux nécessaires moyens à engager pour financer un recrutement d’aides-soignants de jour. Reste également la question, particulièrement épineuse du recrutement. On ne pourra pas accompagner nos aînés sans personnel. Plusieurs actions sont donc à mener, à commencer par la revalorisation des rémunérations et l’amélioration des conditions de travail afin que le métier attire de nouveau. Il faut également engager un travail autour du contenu des formations (initiale et continue) d’aides-soignants et redonner du sens, de la reconnaissance aux métiers de soignants auprès des personnes âgées.

Dans un communiqué, la Fédération Hospitalière de France, prend acte de l’annonce du lancement d’une grande concertation citoyenne pour définir la place de la personne âgée dans la société et exige que les réponses soient à la hauteur des enjeux. Elle rappelle que les besoins sont importants, l’action urgente et souligne que ces premières annonces n’y répondent que partiellement.

L’Association des Directeurs au service des personnes âgées (AD-AP) a également réagi aux annonces du gouvernement par la voix de son directeur Romain Gizolme : pour lui, ce plan ne correspond clairement pas aux attentes. On nous annonce 143 millions d’euros supplémentaires. Evidemment ça paraît beaucoup mais 143 millions d’euros supplémentaires sur trois ans, si vous le rapportez au nombre d’établissements, ça ne représente que 1 500 postes supplémentaires pour 7 500 établissements. Donc, on voit bien que cela ne va pas apporter le changement en termes de qualité d’accompagnement pour les personnes âgées, ni apporter plus de soutien aux proches et aux familles ou encore améliorer les conditions de travail des professionnels.

Le Syndicat National des Établissements et Résidences Privés pour Personnes Âgées (SYNERPA) a également commenté la feuille de route de la ministre, saluant des mesures intéressantes, à court, moyen et long terme. Le SYNERPA note l’engagement confirmé du Ministère pour relever le défi du vieillissement. Le triplement à venir des personnes de plus de 85 ans en fait une priorité nationale. A ce titre, si la généralisation des infirmières de nuit en EHPAD est intéressante, l’accompagnement dans la journée par les aides-soignantes constitue également un enjeu majeur pour tout le secteur, souligne Florence Arnaiz-Maumé, Déléguée générale du Synerpa.

Les Directeurs d’Etablissements pour Personnes Agées et Handicapées (CNDEPAH), ont également souhaité réagir : Si la présence d’infirmiers la nuit peut se révéler être une solution participant à diminuer des hospitalisations évitables et à améliorer la qualité d’accompagnement des résidents, celle-ci ne constitue pas l’urgence actuelle pour les EHPAD, ont-ils souligné. En effet, les professionnels ont besoin de plus de temps pour les repas, la toilette, l’aide au quotidien, la vie sociale, la mise en place de véritables soins relationnels à destination de personnes âgées accueillies de plus en plus dépendantes. Les mesures financières annoncées sont bien loin de la réalité des besoins sur le terrain, pourtant maintes fois constatées et dénoncées. La CNDEPAH reste donc en attente de solutions concrètes et pérennes.

Principale mesure du plan d’action du gouvernement, l’augmentation du nombre d’infirmière, et notamment la nuit. Mais sur le terrain, pour nombre de professionnels, c’est d’abord en journée qu’il faut renforcer les équipes.