La prévention

Infirmiers.com - En IFSI, parler vaccination est "presque tabou"

Février 2021, par Info santé sécu social

11.02.21 Mise à jour le 12.02.21

Sur le plan de la vaccination, la France fait figure d’élève (pour le moins) frileux aux intentions vaccinales, loin d’égaler celles observées à l’étranger*. Au-delà de la population générale, certains soignants, bien qu’en première ligne face au Covid, ont également fait part de leur réticence, notamment dans les Ehpad. Une "méfiance", que constate aussi Malika Belarbi, aide-soignante et responsable du collectif national CGT pour l’accueil des personnes âgées : "certains (soignants) disent avoir besoin de quelques mois de recul, d’autres ont peur des effets secondaires ; d’autres enfin ont perdu toute confiance dans ce que dit le gouvernement", confiait-elle à l’AFP au mois de janvier. Quid alors du sujet de la vaccination dans les IFSI ? Comment le thème est-il abordé avec les étudiants ? Combien de temps d’enseignement lui est-il consacré ? Nous avons posé la question dans des établissements.

A l’IFPS La Fondation Œuvre de la Croix-Saint-Simon, à Montreuil, l’équipe pédagogique voit arriver de plus en plus d’étudiants dont le dossier médical n’est pas à jour.

Cela peut surprendre a priori : des soignants, acteurs de la santé publique, chaque jour au contact de la population, présentent des réticences à la vaccination. En témoigne, par exemple, le faible taux de couverture vaccinale contre la grippe saisonnière des soignants : 35 % dans les établissements de santé et 32 % dans les Ehpad en 2019. Depuis quelques années, les étudiants, censés entrer en formation avec un dossier médical complet (certificat médical d’aptitude assorti des vaccinations obligatoires en règle) pour le premier jour de départ en stage, sont de plus en plus nombreux à ne pas être à jour, confie Nora Bechoua, ancienne formatrice et actuelle directrice adjointe de l’IFPS La Fondation Œuvre de la Croix-Saint-Simon (Montreuil, Seine-Saint-Denis). Ils avancent toujours les arguments des délais pour obtenir une consultation médicale, ou de la difficulté pour eux de trouver un médecin agréé, mais le constat est là, reconnaît la professionnelle. Et ce n’est pourtant pas faute de les avertir. Les étudiants font le choix de s’engager dans des professions paramédicales, donc on communique avec eux dès leur dossier d’inscription ; on leur rappelle les textes réglementaires et leurs obligations** - et notamment l’obligation vaccinale - qui fait partie de notre discours avant même l’entrée en formation !, assure-t-elle.

Dans les IFSI, même après le Covid, le sujet reste presque tabou
Isabelle Marzouk, coordinatrice pédagogique dans le même établissement, fait le point : sur trois ans d’études, deux unités d’enseignement traitent de la vaccination : la santé publique (au semestre 2, mais surtout au semestre 3) dans le cadre du grand plan de Prévention Vaccination Santé Publique, puisque la vaccination est un élément constitutif des actions de prévention nationales fondamentales - encore plus depuis qu’Agnès Buzyn a fait passer à 11 le nombre de vaccins obligatoires. Un premier volet qui met en avant l’intérêt de la vaccination dans l’éradication de certaines maladies comme ça a été le cas dans le passé, précise-t-elle. Le deuxième volet est davantage médical (unité processus infectieux et inflammatoires du semestre 3). Cette fois les étudiants se concentrent sur certaines pathologies comme la rougeole, dont la prévention est justement : la vaccination.

Etudiants

Pourtant, côté étudiants, le constat est édifiant. Soël Jaegle est étudiant en soins infirmiers en première année à Bordeaux. Depuis la rentrée au mois de septembre, la vaccination n’a pas encore fait l’objet d’un cours. Plus généralement selon le jeune homme, ce n’est pas un sujet dont on parle spécialement. Il avait été évoqué très rapidement en début d’année par rapport à la vaccination obligatoire, et notamment l’hépatite B, avec l’intervention d’un soignant du CHU, venu exposer des faits, mais pas prêt à discuter, essentiellement par manque de temps. Soël Jaegle se souvient de réactions très différentes parmi les étudiants. Beaucoup d’entre eux étaient méfiants malheureusement vis-à-vis des vaccins, explique-t-il, (et même parfois complètement opposés à l’idée de se faire vacciner contre l’hépatite B, convaincus que ce vaccin provoquerait la sclérose en plaques) mais beaucoup aussi se posaient tout simplement des questions et n’ont pas forcément obtenu d’informations en retour.

Aurélien Jéké, étudiant de 2e année à Rennes, ne se souvient pas non plus d’avoir jamais abordé la question en cours, en un an et demi de formation. Au mois de novembre, un mail est venu informer les étudiants qu’ils avaient la possibilité de se faire vacciner contre la grippe, avec des créneaux proposés, mais là encore, rien sur le fond. Ceux qui ont des connaissances sur le bien-fondé de la vaccination ont fait la démarche, mais c’est tout, tranche le jeune homme. Le contexte actuel de défiance envers la vaccination anti-covid a-t-il engendré des débats autour de la vaccination ? Absolument pas, regrette l’étudiant infirmier. On a été beaucoup en stage depuis le début de l’année, mais le sujet n’est pas plus débattu depuis que les cours ont repris. C’est presque, même, un sujet tabou parmi les élèves, avance-t-il.

Pour lui, les ESI restent une population étudiante comme une autre, sans conscience du professionnel de demain qu’elle sera amenée à devenir. Comme on ne parle pas de la vaccination, on ne voit pas la responsabilité que cela implique.

Une place insuffisante dans la formation des professionnels
En tout, l’enseignement consacré à la vaccination représente 4 à 5h au total sur l’ensemble de la formation. Un chiffre qui n’étonne pas particulièrement Isabelle Marzouk : Il y a tellement de choses à aborder dans chacune des unités d’enseignement qu’il semble difficile d’y consacrer plus de temps. Pour les infirmiers, il s’agit davantage d’une sensibilisation, concède-t-elle. Le programme de formation est tellement dense, et on est censé leur permettre d’acquérir tellement de choses que forcément, ça ne peut être qu’un survol ou une sensibilisation pour certains de ces sujets…, argumente-t-elle.

Pour elle comme pour Nora Bechoua, renforcer l’enseignement autour de la vaccination dans les IFSI ne serait pas du luxe. Vu le contexte, il me semblerait tout à fait pertinent de renforcer ce pan-là de l’enseignement sous l’angle de la responsabilité du soignant dans sa prise de position vis-à-vis de la vaccination, confie Isabelle Marzouk. L’information, les enseignements ? Il y a peut-être effectivement un volet qui n’est pas assez approfondi. Parce que c’est une responsabilité, individuelle et collective, abonde Nora Bechoua. Un constat partagé par Brigitte Autran, professeur Emerite à la Faculté de Médecine Sorbonne-Université, membre du Comité Scientifique sur les vaccins anti-covid et membre du Conseil de la stratégie vaccinale anti-covid.

Personne ne m’a jamais dit clairement "je ne veux pas me faire vacciner"

Ignorance, inconscience, manque d’intérêt ?
Isabelle Marzouk a l’habitude de batailler avec les étudiants. Comme les vaccins sont obligatoires pour partir en stage, on les harcèle jusqu’à ce que ce soit fait (j’ai eu jusqu’à cinq relances à faire parfois !). Résistances ? Plutôt incompréhension des démarches à effectuer, selon elle. Personne ne m’a jamais dit clairement Je ne veux pas me faire vacciner, assure-t-elle, ça reste tacite.

Cette réticence dans les rangs des soignants interroge Nora Bechoua : en tant que professionnels de santé nous-mêmes, nous avons été informés très tôt lors de notre cursus de la réglementation et de l’obligation d’être vaccinés pour nous protéger et protéger les patients. La démarche allait de soi. Or aujourd’hui, les sondages montrent bien qu’une partie des soignants sont réfractaires à la vaccination ; ça, c’est assez nouveau. Pour elle, il s’agit surtout et avant tout d’ignorance. A partir du moment où vous connaissez l’histoire des vaccins, quand vous savez qu’ils ont permis d’éradiquer la variole, combien de gens ça a permis de sauver, leur remise en question devient toute relative….

Quelques chiffres sur l’Intention vaccinales (Covid 19) en France* :
Population générale :

Si au niveau mondial 74% des répondants se déclarent prêts à recourir à un vaccin contre la Covid-19, les Français s’avèrent bien plus méfiants puisqu’ils ne seraient que 59% à se faire vacciner. 20% y seraient même farouchement opposés. Ces chiffres placent la France parmi les pays où l’intention de recourir au vaccin est la plus faible, derrière la Hongrie (56%), la Pologne (56%) et la Russie (54%). C’est en Chine (97%), au Brésil (88%), en Australie (88%) et en Inde (87%) que le vaccin est le plus plébiscité.

(Source : enquête Ipsos menée en septembre 2020)

Soignants en Ehpad :

76 % des 1 992 soignants en Ehpad interrogés ne souhaitent pas se faire vacciner contre le Covid-19. Seuls 19 % des sondés répondent « oui », 5 % sont indécis. C’est moins que les pensionnaires et leurs représentants interrogés : 53 % y sont favorables contre 38 % qui y sont opposés.

(Source : sondage interne mené entre le 30 novembre et le 7 décembre par la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés (Fehap), révélé par les Echos)

**Publié le 27 novembre 2016 par décret au Journal officiel, le code de déontologie des infirmiers comprend l’ensemble des droits et devoirs des infirmiers, quels que soient leurs modes ou lieux d’exercice. Il stipule, à l’art. R. 4312-63 que : Quel que soit le lieu où il exerce, (l’infirmier) doit toujours agir en priorité dans l’intérêt de la santé publique, des personnes et de leur sécurité.

Susie BOURQUIN
Journaliste
susie.bourquin@infirmiers.com
@SusieBourquin