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Infirmiers.com - Exercice libéral infirmier et crise du Covid-19 : quels enseignements ?

Mai 2020, par Info santé sécu social

De plus en plus concernés, sollicités et donc impactés par la crise sanitaire du Covid-19, les infirmiers libéraux font entendre leurs préoccupations face à des conditions d’exercice rendues souvent complexes mais aussi stressantes notamment, comme on l’a beaucoup entendu, par manque de matériels de protection. Une nouvelle enquête menée auprès d’eux par Imago Research, fin avril dernier, le confirme, une fois de plus, et nous livre quelques enseignements complémentaires. Revue de détails.

La crise sanitaire actuelle, inédite par sa forme, sa gravité et sa durée, est stressante pour tout un chacun mais pour les soignants qui la vivent "au front" tous les jours depuis maintenant des semaines, bien plus encore avec des conditions d’exercice particulièrement éprouvantes. La parole donnée, au jour le jour, à de nombreux soignants, qu’il soient hospitaliers ou libéraux a mis en évidence "au grand jour" la dureté de leur quotidien. Ecoutons ce que nous disent les infirmiers libéraux.

Stress, patientèle impactée, organisation du travail...
enquête IDEL imagoQue nous dit cette nouvelle enquête "ciblée", menée par Imago Research1 auprès des infirmiers libéraux2 ? Interrogés tout d’abord "à titre personnel" sur l’aspect psychogène de la crise sanitaire, près d’un infirmier libéral (IDEL) sur deux (48%) se déclare "très ou assez stressé par la situation actuelle". Un stress plus significatif relevé chez les IDEL femme (52% d’entre elles se déclarent très ou assez stressées, contre seulement 32% de leurs collègues hommes) et chez les moins de 50 ans (53% des moins de 50 ans se déclarent très ou assez stressés vs 39% des 50 ans et plus).

D’un point de vue professionnel, il apparaît en toute logique que ce stress est majoré chez les IDEL qui ont parmi leur patientèle actuelle au moins 1 cas testé positif au Covid-19 (60% vs 42% des IDEL qui n’ont pas de patients Covid-19). Logiquement, et en phase avec la situation épidémique connue par bassins géographiques, 56% des IDEL d’Ile-de-France indiquent avoir au moins 1 patient testé positif au Covid-19, 39% dans la moitié nord de la France et seulement 25% dans la moitié sud.

1 IDEL sur 3 déclare avoir parmi ses patients actuels au moins 1 cas testé positif au Covid-19

Concernant l’organisation de leur travail depuis la crise sanitaire, et donc de leurs tournées quotidiennes, au-delà de la simple modification de leurs horaires de travail (49% des IDEL les ont modifié, 47% en ont étendu l’amplitude alors que 30% au contraire les ont réduits et 24% les ont simplement décalés), les infirmiers libéraux estiment en moyenne avoir augmenté d’1 heure et demie leur temps de travail hebdomadaire (TTH) par rapport à l’avant crise : 50,4 h de travail hebdomadaire avant la crise/51,9 h maintenant. La part d’IDEL qui ont augmenté leur TTH depuis la crise (31% de l’ensemble de l’échantillon) apparait majorée en milieu urbain et mixte (34% contre seulement 22% en milieu rural) et en Ile-de-France (44% vs 29% en province). Une augmentation significative du TTH observée également chez les IDEL les plus stressés par la situation sanitaire et chez ceux qui ont parmi leurs patients actuels au moins 1 cas testé positif au Covid-19.

Autre élement, en moyenne, crise sanitaire oblige, les IDEL estiment que leur CA de mars 2020 a reculé de 10% par rapport à celui de mars 2019 et, en moyenne, projettent un CA pour avril 2020 en recul d’environ 12% par rapport à celui d’avril 2019

50,4 h de travail hebdomadaire avant la crise/51,9 h maintenant. Au global, 31% des IDEL ont augmenté leur TTH depuis la crise, 21% l’ont au contraire diminué et 45% ne l’ont pas modifié.

Fin avril 2020, les équipements de protection font toujours défaut aux IDEL
La question des équipements de protection des soignants mais plus particulièrement des professionnels de santé libéraux est, depuis le début de l’épidémie, au coeur de la crise sanitaire suscitant colère et découragement de la communauté soignante. Les infirmiers libéraux se sont, à de nombreuses reprises, exprimés à ce sujet, alertant les pouvoirs publics et les instances sanitaires au plus haut de l’Etat sur le fait "qu’ils partaient en guerre sans être armés". En effet, sans le matériel indispensable, ils sont non seulement mis en danger mais leur action est délétère bien sûr pour eux mais aussi pour leurs patients, leurs familles, leurs proches. Une enquête de l’Ordre national des Infirmiers l’explicitait encore de façon aiguë début avril.

Si le temps a passé, cette question reste encore très sensible car, interrogés à nouveau sur le sujet, les IDEL soulignent que des quatre équipements de protection étudiés (gel hydroalcoolique, masques, gants, surblouses), les surblouses apparaissent clairement comme celui qui fait le plus défaut (pour 85% des répondants). Les IDEL qui déclarent avoir des patients testés positifs au Covid-19 sont moins nombreux que les autres à estimer disposer de suffisamment de gants (58% vs 75 % des IDEL qui n’ont pas de patient Covid) et de masques (53% vs 70%). Etre bien équipé lorsqu’on est soignant est un facteur rassurant en période d’épidémie, de fait, les IDEL qui se disent "stressés" sont aussi ceux qui se disent insuffisamment dotés en masques par exemple).

Sur quelles ressources s’appuyer en temps de crise ?

Face au flot d’informations que la crise a véhiculé de toutes parts, mais aussi aux mesures spécifiques mises en oeuvre pour aider les professionnels de santé, comment faire la part des choses et s’appuyer sur les bons canaux, notamment pour sécuriser son exercice et disposer de toutes les ressources en la matière. Les IDEL se sont exprimés sur le sujet, interrogés sur la gestion de la crise par leurs syndicats, l’Ordre national des infirmiers, les ministères de l’Economie, de l’Intérieur, de la Santé. Il en ressort que les syndicats infirmiers où la distribution des points de vue est jugée "relativement homogène" et l’Ordre national des infirmiers (ONI) ont jusqu’à présent "mieux géré la crise que les ministères". Un autre volet concernant les sources d’information perçues comme les "les plus utiles" en période de crise sanitaire, fait apparaître que parmi les six testées (Sécurité sociale, ONI, syndicats infirmiers, presse professionnelle, réseaux sociaux et banque), la Sécurité Sociale est citée en première intention, suivie par l’Ordre, les syndicats et la presse professionnelle ; les réseaux sociaux (avec un niveau d’utilité perçu comme renforcé chez les IDEL femmes) et la banque arrivent en queue de peloton.

Incivilités, soutien psychologique...

Cette crise sanitaire, nous l’avons observé, a fait surgir le meilleur comme le pire de l’espèce humaine. Les soignants ont été, certes applaudis par la population, mais aussi poussés dehors par leur voisinage. Ils sont nombreux à l’avoir dénoncé dans les medias, se plaignant, notamment via les réseaux sociaux, d’avoir reçu des lettres anonymes, de retrouver leurs voitures vandalisées, voire d’être insultés en pleine rue. A la question "Vous-même, à titre personnel, depuis le début de la crise du Covid-19, avez-vous déjà fait l’objet de réflexions désobligeantes ou d’incivilités de la part de voisins qui redouteraient une possible contagiosité de votre part ?", ils sont un peu plus d’un sur dix (12%) a avoir répondu positivement. L’analyse détaillée montre que le taux d’IDEL concernés par des incivilités est majoré en cas d’exercice en milieu urbain ou mixte (15 % vs 6 % en milieu rural), dans les grandes agglomérations (22% vs 10% dans celles de moindre importance), chez les IDEL qui exercent en individuel (20% vs 10% chez ceux installés en groupe) et chez ceux qui se déclarent très stressés par la crise sanitaire (36% vs 9% chez ceux qui se déclarent assez, assez peu ou pas du tout stressés).

Le niveau de stress et d’anxiété liée à l’exercice professionnel, conjugué à un surplus d’activité dans un climat rendu psychogène par la crise sanitaire et sa gravité, peut induire chez les soignants à l’épuisement professionnel. Celui ci peut être prévenu par des prises de parole précoces, via notamment des services d’écoute et de soutien psychologique dédiés aux personnels soignants. Les numéros d’appel mis à leur disposition se sont multipliés et, les dernières statistiques de l’association SPS, montrent qu’infirmier(e)s et aides-soignants hospitaliers et exerçant en établissement médico-social y font de plus en plus appel... Qu’en est-il du côté des infirmiers libéraux ? Les résultats de l’enquête révèlent que le taux d’IDEL ayant appelé ou songé à appeler (soit 11 % de l’échantillon global) est majoré chez les femmes (13% contre seulement 2% des hommes), en milieu urbain (17% vs 7% en milieu rural ou mixte) et dans les grandes agglomérations (20 % vs 9 % dans celles de moindre importance). Même observation chez les IDEL qui ont parmi leurs patients actuels au moins 1 cas testé positif au Covid-19 (17% vs 9 % des IDEL qui n’ont pas de patient Covid) et chez ceux qui se déclarent très ou assez stressés par la crise sanitaire (18 % vs 5 % chez ceux qui se déclarent assez peu ou pas du tout stressés).

Depuis le début de la crise sanitaire, 2 % des IDEL ont déjà appelé un service d’écoute et de soutien psychologique dédié aux personnels de santé et 9 % ont songé à le faire

Pour ne pas conclure...
Cette nouvelle enquête menée auprès des infirmiers libéraux nous livre donc un nouvel "instantané" de leurs ressentis face à la crise sanitaire mais aussi leur manière de la vivre aujourd’hui et d’exercer leur métier. Aujourd’hui, à l’heure du déconfinement, nul doute qu’ils seront plus encore sollicités pour participer aux tests de dépistage, prendre en charge des patients "positifs" et oeuvrer, comme professionnels de santé de proximité, à la prévention d’une nouvelle vague épidémique et à sa prise en charge si elle se faisait sentir dans les semaines à venir. La question de leur équipement, mais aussi celle de tous les Français, restera centrale ainsi que le suivi, rigoureux, des mesures barrière pour faire face à l’épidémie. Acteurs de la prévention, les infirmiers libéraux, seront aussi les mieux placés pour le rappeler et pour défendre, s’il fallait encore le faire, leur place déterminante au coeur de notre système de santé, avec ou sans épidémie.


"Les infirmières libérales et la crise du Covid-19" : enquête réalisée par Imago Research auprès d’un échantillon national représentatif d’infirmières et d’infirmiers libéraux 239 infirmières et infirmiers libéraux (IDEL) sondés par téléphone du 27 au 30 avril 2020.

Bernadette FABREGAS
Rédactrice en chef Infirmiers.com