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Infirmiers.com - La dégradation de l’état de santé physique et mental des étudiants inquiète la FNESI

Mai 2022, par Info santé sécu social

25.05.22 Mise à jour le 30.05.22

Santé physique, financière, mentale : les étudiants infirmiers vont mal. Selon la dernière enquête de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (FNESI), leur état général s’est fortement dégradé depuis 5 ans.

Mathilde Padilla et Naiza Savignat ont présenté les résultats de l’enquête FNESI au cours du Salon Infirmier.

Dévoilée le 17 mai, lors du Salon Infirmier, l’enquête de la FNESI #NousSoigneronsDemain* sur le bien-être des étudiants en soins infirmiers, présente un constat alarmant. Tant sur leur état physique que mental.

Une inquiétude très marquée autour de la santé mentale

Près de 81% des étudiants ont déclaré ressentir des douleurs musculo-squelettiques dont 42,1% qui estiment les ressentir souvent. En résulte notamment une consommation plus importante de médicaments, avec, au total, 1 ESI sur 2 qui y a recours. Face au manque de sommeil, ils sont 28,1% à prendre des somnifères, contre 7,8% en 2017. 40% d’entre eux pointent la formation comme cause de cette prise.

Un étudiant sur 6 a déjà pensé au suicide durant ses études.

Côté santé mentale, les conclusions sont pires : 61,4% des ESI jugent que leur santé mentale s’est dégradée, contre 52,5% en 2017. Crises d’angoisse, diagnostic de dépression, idées suicidaires sont en augmentation de 10 points. 16,4% soit 1 étudiant·e sur 6 a déjà pensé au suicide durant ses études, signale l’enquête dans ses conclusions. Ce sont des choses qui étaient déjà très choquantes en 2017 et les chiffres ont explosé, s’alarme Mathilde Padilla, la présidente de la FNESI. En découle, là aussi, une augmentation de la consommation de médicaments (parmi lesquels anxiolytiques, antidépresseurs) - un peu plus d’un ESI sur 3 aurait déclaré avoir déjà consommé ce type de traitement dans le but d’améliorer sa santé mentale depuis le début de la formation – voire des comportements à risque : consommation de tabac, alcool, cannabis, ecstasy, cocaïne ou LSD afin de passer outre le mal-être, déplore Mathilde Padilla.

Méthodologie de l’enquête et profils des répondants

L’enquête réalisée du 2 mars au 16 avril auprès des étudiants via les Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) et les réseaux sociaux La précédente datait en effet de 2017Pour cette nouvelle itération, une catégorie inédite fait son apparition afin de prendre la mesure des actes de violences sexistes et sexuelles. Au total, l’enquête a enregistré 15 652 répondants, dont :
• 88,3% de femmes et 10,8% d’hommes – les 0,9% restant s’identifiant comme appartenant aux minorités de genre (non-binaire, genderfluid…)
• 78,5% d’individus ayant entre 18 et 25 ans, une majorité qui s’explique par l’accessibilité de la formation en post-bac depuis la suppression du concours
• 7,2% d’étudiants de 25 à 30 ans
• 9,7% ayant entre 30 et 40 ans
• Et 4,6% de plus de 40 ans.

Ces souffrances physiques et mentales s’expliquent par plusieurs facteurs.

L’organisation de la formation en premier lieu : La charge de travail des ESI est plus importante que celles des autres étudiants en cursus universitaire, car ils travaillent 35 heures par semaine, que ce soit pour suivre les cours ou effectuer leurs stages. S’y additionnent les heures d’étude personnelle supplémentaires, alors même que nombre d’étudiants sont contraints de travailler à côté pour payer études et loyers. En effet, les Régions ne financent qu’à hauteur de 62% des étudiants en formation, et n’absorbent pas l’intégralité des coûts. 1 étudiant sur 4 travaille le week-end, ce qui rallonge encore plus les semaines, pointe la présidente de la FNESI, qui note de plus que beaucoup travaillent également l’été. Mais les étudiants qui sont en rattrapage n’en ont pas, eux, la possibilité. Ce qui ajoute la précarité comme facteur de risque supplémentaire. C’est sans compter non plus les circonstances difficiles auxquelles les ESI sont confrontés dans le cadre de leurs études, telles que situations de fin de vie ou deuil dans les familles. Conséquence, plus d’un étudiant sur 2 se dit souvent ou tout le temps fatigué depuis le début de la formation, une fatigue qui s’associe également à un sentiment de stress, particulièrement prégnant dans les raisons qui les conduisent à adopter des comportements à risque. Pour nous, c’est au niveau de la santé mentale et financière qu’il y a quelque chose de vraiment problématique, résume-t-elle.

Un ESI sur 6 victime de violence sexiste ou sexuelle

Par ailleurs, l’enquête intègre un nouvel item par rapport aux itérations précédentes : la mesure des violences sexistes et sexuelles. Et de révéler que les étudiants sont peu informés de ce qui constitue un outrage sexuel. Nous constatons que 57.3% des ESI ne savent pas ce qu’est un outrage sexiste et la très grande majorité ne savent pas définir ce qu’est une violence sexiste et sexuelle, indique-t-elle. Nous ne nous étions jamais intéressés au taux de violences sexistes et sexuelles dans nos formations. Là, un étudiant sur 6 a déjà été victime de ce type de violences, en sachant que nos étudiants sont composés à 80% de femmes dans les IFSI, ce qui explique aussi ce chiffre, note Mathilde Padilla. 70% des faits d’agressions sexuelles se sont produits sur les lieux de stage et dans 53% des cas, les auteurs de ces violences sont des patients, contre 25% commises par des professionnels de santé. Enfin, l’enquête pointe des situations toujours prégnantes de harcèlement et un manque d’information sur ces dernières : 17.1% des ESI ont répondu avoir été victimes de harcèlement avant d’avoir la définition de harcèlement contre 31.7% après en avoir pris connaissance.

Près de 6 étudiants sur 10 ont déjà pensé à arrêter leur formation et 8 sur 10 y ont pensé il y a moins d’un an.

Résultat, 59.2% des ESI ont déjà pensé à arrêter leur formation et que parmi ces personnes, 83.8% y ont pensé il y a moins d’un an, alerte l’enquête. Des chiffres à mettre en parallèle avec ceux dévoilés par l’enquête du CEFIEC, qui note une part non négligeable d’abandons, et ce dès les premiers mois de la formation. Si l’organisme explique notamment le phénomène par les nouvelles modalités d’entrée (Parcoursup), pour la présidente de la FNESI, la problématique est ailleurs : Le problème, ce n’est pas Parcoursup, c’est bien la formation. Il y a un vrai travail à faire pour les étudiants qui sont déjà là, car ce sont eux qui constitueront les professionnels de santé de demain, insiste-t-elle. Tout en admettant néanmoins que la profession souffre d’une image parfois idéalisée bien ancrée. Nous avons un vrai problème d’illusions sur ce que nous faisons et ce que nous sommes, reconnait-elle. Les étudiants se disent que c’est plus facile que médecine, par exemple. Il faut absolument que nous travaillions sur l’image du métier pour que nous ne nous retrouvions pas avec des étudiants qui ne s’attendent pas du tout à ce que recouvrent en réalité nos études.

Des actions correctrices à mettre en place d’urgence

En attendant, la FNESI formule plusieurs propositions pour s’attaquer aux difficultés que rencontrent les étudiants et le mal-être qui en découle : refonte du référentiel de formation en soins infirmiers avec une réingénierie du temps de travail et des enseignements, investissement dans les services de santé universitaire, sensibilisation et information sur les problématiques de santé mentale, de discrimination et de violences sexistes et sexuelles, revalorisation des indemnisations de stage… La fédération table également sur l’universitarisation croissante des études en soins infirmiers pour résoudre certains points de tension. L’idée, c’est de porter l’enquête à l’œil de toutes et tous, pour qu’un maximum de personnes puissent être au courant de ce qui se passe, explique Mathilde Padilla. Et il y a urgence, car les problématiques que rencontrent les étudiants sont le reflet de celles qui frappent les professionnels du soin, tout métiers confondus. L’enquête ne concerne pas uniquement les soignants de demain, elle concerne tout le monde parce que ce sont ces personnes qui vont soigner le tout un chacun. C’est aujourd’hui un enjeu de santé publique, mais aussi sociétal. Ce qui consiste à dire qu’il faut prendre soin de nos soignants, conclut-elle.

Audrey Parvais
Journaliste