Luttes et mobilisations

Infirmiers.com - Printemps de la psychiatrie : "plantons les graines pour des soins humanistes !"

Mars 2019, par Info santé sécu social

21.03.19 Mise à jour le 22.03.19

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Psychiatrie
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Après la manifestation du 22 janvier à l’appel de "Pinel en lutte" et de la Psychiatrie Parisienne Unifiée, rejoints par la suite par bien d’autres délégations, une nouvelle journée de mobilisation s’est déroulée ce 21 mars, à Paris, au square Pierre et Marie Curie devant la statut de Philippe Pinel, médecin "précurseur de la psychiatrie". Les soignants sont venus scander leur colère face, notamment, au manque de moyens alloués à la santé mentale. Ils ont ensuite battu la pavé jusqu’à l’avenue de la République arborant fièrement pancartes, banderoles et... bouquets de fleurs.

Le 21 mars, c’était le printemps de la psychiatrie !

Fleurs dans les cheveux, entonnoir en guise de couvre-chefs, et surtout slogans incisifs, les soignants du secteur de la psychiatrie s’étaient donnés rendez-vous ce 21 mars pour une nouvelle journée de mobilisation nationale après le mouvement de grève du 22 janvier. On est super content de vous voir, de voir que les collectifs fonctionnent. Cela fait 213 jours qu’on est en lutte, 213 jours que l’on crie nos besoins de moyens humains, d’infirmiers. Les patients vont crever la bouche ouverte. On veut des projets de soins avec un sens humain. Les pédiatres partent parce qu’ils sont épuisés, on a deux collègues qui se sont suicidés, s’enflamme une soignante de l’hôpital psychiatrique de Niort. La colère, les burn out, le ras-le-bol frappent de nombreux établissements de soins de santé mentale à plus ou moins grande échelle. On se souvient de la grève de la faim au Rouvray, des perchés du Havre, des campements à Pinel, Caen, Auch et bien d’autres qui se sont déjà mobilisés pour obtenir notamment des postes supplémentaires. Certains membres du personnel de ces établissements étaient d’ailleurs présents car il est prévu que le mouvement s’inscrive dans la durée. Le temps est devenu un outil pour s’empêcher de penser. Nous ne sommes pas en retard, nous sommes en avance, affirment des soignants à travers un porte-voix.

On nous saigne alors qu’on vous soigne

Une logique économique plutôt qu’une logique de soins
Nous sommes ici pour protester contre une évolution délétère du secteur. Même si, pour l’instant, on est un petit peu protégé, on remarque que l’on gratte de plus en plus. On a constaté une baisse de 20% des budgets cette année, explique Sandie, ergothérapeute au Centre Hospitalier du Plaisir. De manière générale, les membres du personnnel soignant ne sont pas remplacés après leur départ. On a de plus en plus d’obligation de soins mais on ne nous donne pas les moyens, s’agace Nicolas, psychomotricien dans le même hôpital. Le but est de faire du rendement. On était cinq infirmières et on est plus que trois depuis novembre dernier et nos tâches n’ont pas été réajustées, souligne Laurraine et Céline, infirmières dans le même établissement. Un point de vue partagé par Véronique et Sandrine également infirmières, l’une aux hôpitaux de Saint-Maurice et l’autre au Centre hospitalier Paul Guiraud de Villejuif. Selon Sandrine, actuellement il manque une cinquantaine de postes infirmiers environ. Et chez nous, il doit en manquer une trentaine ! Les postes infirmiers ne sont plus remplacés, on est 8 pour 20 patients, même 7 depuis quatre mois, s’énerve Véronique. Le pire, c’est qu’il y a des candidatures mais l’administration prend tellement de temps à envoyer des réponses qu’elles ont déjà trouvé du travail ailleurs, se désole-t-elle. Et avec les sous effectifs il y a de plus en plus d’accidents du travail depuis deux ans. Pour Sandrine, la situation est différente dans son service, ils ont du mal à recruter et les professionnels ne restent pas longtemps, au vu des conditions de travail, ils s’en vont.

Sylvie, agent des services hospitaliers détachée par le syndicat Sud Santé connait bien les hôpitaux de Saint-Maurice, elle y a passé 16 ans. J’ai pu voir sa dégradation. On supprime des praticiens hospitaliers, du temps médecin. Les locaux c’est catastrophique, c’est du replatrage. S’il y a le feu dans une chambre d’isolement, il faut six mois pour qu’elle soit de nouveau en conformité. Ce problème a aussi été constaté par Olivier, infirmier à l’Etablissement public de Santé Barthélémy Durand d’Etampes (91) : Chez nous il y a un grand jardin, ce qui permet au patient d’exprimer sa souffrance. Les nouveaux hôpitaux psychiatriques sont des immeubles. Quand un patient donne un coup de poing dans le mur d’un de ces nouveaux bâtiments, sa main passe à travers.

Quand j’ai commencé, il y avait 200 lits maintenant il y en a 40 pour la même population !

La psychiatrie un secteur à part qui nécessite un intérêt particulier
De manière générale, les professionnels de santé n’ont plus de temps pour le relationnel alors qu’il est dans ce secteur encore plus nécessaire qu’ailleurs. Nous sommes des petits robots qui donnont les médicaments et géront les urgences, s’énerve Véronique. Il est difficile de pratiquer une psychiatrie humaniste. On protocolise la prise en charge des patients alors qu’ils ont tous leur singularité. En plus, les patients doivent être à nouveau dehors le plus vite possible explique Etienne, infirmier à l’hôpital Saint-Anne (Paris), où là aussi le turn over est énorme. Plus le temps ni les moyens de traiter les patients au cas par cas, les laisser sortir alors qu’ils sont à peine stabilisés, les soignants n’ont plus l’impression de faire leur travail correctement. Le personnel s’en va parce que l’on est à Paris et que le coût de la vie est élevé mais aussi et surtout à cause des conditions de travail, il ne se retrouve plus dans les soins, conclut Etienne.

Les patients attendent 6 mois pour un rendez-vous en extra-hospitalier. C’est inhumain d’imposer cela à des parents, à des familles. On n’imagine pas leurs difficultés, se désespère Véronique. Je préférerais être auprès de mes patients, je ne suis pas là pour le plaisir, mais on a des collègues qui font des burn out, voire des tentatives de suicides. On est face à des administratifs, des gestionnaires complètement déconnectés des soins. Comment peut-on prendre en charge le patient au quotidien alors qu’on nous demande sans arrêt de faire plus avec moins. On est dans une logique comptable. On nous parle de télémédecine avec des médecins et des infirmiers virtuels mais les patients et leur souffrance, ils sont bien réels, s’insurge Olivier.

Les patients attendent 6 mois pour un rendez-vous en extra-hospitalier !

Des métiers qui mériteraient d’être revalorisés
Pire que cela, les professionnels de santé se sentent dévalorisés dans leur travail : la psychiatrie, c’est comme les maisons de retraite, c’est les dernières roues du carosse, constate Laurraine. Pour Estelle, psychologue aussi au centre hospitalier du Plaisir, il est nécessaire de rappeler que la psychiatrie n’est pas une branche pauvre de la santé mais un secteur à part avec des spécificités.

Si Olivier s’inquiète de la disparition du concours et de l’entrée en IFSi via Parcoursup, pour Etienne, la dévalorisation de la profession et du secteur a commencé bien avant. On a fait disparaitre la spécialité d’infirmier en psychiatrie. Les derniers diplômés sont sortis en 1994 et ils partent aujourd’hui à la retraite. C’est une perte de savoirs et de connaissances !

On nous demande de plus en plus de faire des visites à domicile. Normalement on doit être deux infirmiers mais on est de plus en plus seul. Vous imaginez si un soignant se fait coincer dans un appartement par un patient en crise ? Et on nous affirme que cela n’arrivera pas !, s’agace Olivier. Effectivement, les professionnels remarquent le peu de valeur que l’on accorde à leur travail. A Saint-Anne, on a fait grève cet été, car on nous a supprimé des RTT. Cela a été violemment reçu par les collègues, on travaillent beaucoup, et on nous supprime des heures de repos. On voit le peu de considération que l’on nous porte ! Pour Olivier, un bon nombre de membres du personnel hospitalier a été dévalorisé car on ne leur donne plus beaucoup de perspectives d’évolution. On laisse végéter de plus en plus de personnels sans leur permettre d’accéder à des promotions professionnelles.

Autre exemple, à Saint-Anne, les ASH ont été remplacés par des personnels de sociétés extérieures. Avant, les ASH faisaient partie de l’équipe de soins et ils apportaient beaucoup car les patients se confiaient aussi à eux. Maintenant on est face à des gens qui viennent une fois de temps en temps.

Triste constat, il n’est guère facile de travailler en psychiatrie, il n’est pas enviable non plus de souffrir de troubles mentaux de nos jours et pour Véronique, il est préférable de ne pas tomber malade, dans un pays où il n’y a pas si longtemps on plébiscitait tant le système de santé. Pour les professionnels, il est donc venu avec le printemps, le temps de la désobéissance psyvile.

Roxane Curtet
Journaliste infirmiers.com
roxane.curtet@infirmiers.com
@roxane0706