Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

JIM - Autopsie d’un lancement raté : entre arrogance, bureaucratie pusillanime, peur et déclassement

Janvier 2021, par Info santé sécu social

Paris, le samedi 9 janvier 2020

C’est un peu comme si l’on respirait mieux et que tout en même temps demeurait une gêne incoercible. On est soulagé de constater que le gouvernement ne s’est pas enferré dans une voie qui paraissait particulièrement périlleuse (en dépit des éloges de la lenteur), d’observer que la mobilisation semble rapidement se mettre en place, mais on demeure néanmoins encore interdit d’avoir assisté à ces premiers jours de défaite.

La comparaison avec les autres pays reste un souvenir cuisant ; et ceux qui commentent continuent à vouloir refaire l’autopsie de ce triste raté. Que disent ces quelques jours de confusion, non pas seulement du gouvernement mais au-delà de la France, de la « certaine idée » que nous nous faisons d’elle, de cette fierté que même les moins fanfarons d’entre nous ne peuvent s’empêcher parfois d’afficher ?

Une administration sans imagination

Les diagnostics sont particulière sévères. C’est le révélateur d’une administration incapable d’anticiper, de mettre à profit les semaines écoulées avant l’autorisation du vaccin Pfizer/BioNTech pour analyser les défis logistiques et mettre en place les solutions adaptées. C’est le révélateur d’un système qui ne parvient pas à sortir de ses rouages habituels pour imaginer, improviser. « Dans des conditions ordinaires, ces accumulations de procédures ne font que ralentir le fonctionnement du pays mais en période de crise, lorsque l’urgence renverse la table, que les solutions préfabriquées perdent toute pertinence, le cadre réglementaire devient un piège qui se referme. La France se trouve administrée contre les Français. Voilà ce que nous avons découvert au cours de la crise sanitaire. Comment en sortir ? (…) Face à la situation nouvelle crée par la crise, le fonctionnaire doit improviser. Ce n’est pas une possibilité mais une obligation » écrit le journaliste François de Closets dans l’Opinion.

La santé, première victime de l’épidémie bureaucratique
Il a ainsi été beaucoup dit sur notre bureaucratie obèse et paralysante qui serait en partie à l’origine de la situation actuelle, parallèlement ou au-delà des manquements politiques. Pour François Bourdillon, ancien président de Santé publique France, la maladie atteint particulièrement le domaine de la santé. Ainsi, il se désolait cette semaine dans les colonnes de Libération : « Le monde de la santé dérive vers une protocolisation à outrance. On met tout en fiches, on formate, on réglemente. Et on oublie de débattre de l’essentiel. C’est (…) une protocolisation étouffante. Regardez le manuel de vaccination de la Direction générale de la santé qui vient de sortir, à destination des infirmières ou des médecins. Il décrit comment vacciner : désinfecter, purger la seringue, faire un pli cutané, etc. Il y a une fiche en couleur, avec 10 points à respecter. C’est inadapté, tout professionnel de santé sait cela par cœur. A mes yeux, cette dérive vient d’une forme de raidissement des autorités ». Dans le Figaro, le docteur Kierzek partageait quelques jours plus tôt cette analyse : « On paye un envahissement de la bureaucratie depuis des années au détriment des soins de terrain ! ». « Le système de santé est sans doute aujourd’hui une des meilleures illustrations du phénomène bureaucratique que décrivait Michel Crozier, il y a près de soixante ans ! Un système dans lequel la centralisation et la multiplication des règles paralysent son efficacité en dépit de la qualité des professionnels qui y travaillent » écrit pour sa part Alexis Dussol pour le site Slate.fr.

Priorité : se protéger soi-même
Cette protocolisation à outrance n’est évidemment pas uniquement la conséquence d’un amour immodéré et presque maniaque pour la norme. Elle est avant tout destinée à organiser une protection absolue contre toute attaque. Ainsi, pour François Bourdillon, le raidissement constaté témoigne notamment de « l’obsession » des autorités « de se protéger, de ne pas être attaquées demain en justice… ». L’économiste Antoine Levy, analyse sévèrement dans le Figaro : « À force de vouloir à tout prix éviter de commettre des erreurs spécifiques qui risqueraient de la mettre face à leurs responsabilités pénales (le syndrome du « sang contaminé »), l’administration et le gouvernement ont fait le choix délétère d’une inaction facile, mais non moins hautement coupable ». François de Closets ironise : « Notre fonction publique s’est mise à son propre service, elle vise d’abord à assurer l’irresponsabilité des fonctionnaires. Ne cherchez pas ailleurs la vraie raison de notre délire vaccinal. Il vise simplement à mettre ceux qui organiseront la campagne ou procéderont aux injections à l’abri des vaccinés mécontents ou des « antivax » enragés. Ce cursus vaccinorum assure la tranquillité de ceux qui le suivent. Il est donc excellent ».

Champion de l’arrogance

L’organisation de cette « irresponsabilité » annihile toute entreprise d’auto critique constructive : « Il est évidemment confortable de se rassurer en se convaincant que personne n’est mort des effets secondaires d’un vaccin que l’on n’a pas distribué, sans se rendre compte que cette non-assistance à un pays en danger est elle-même responsable de milliers de morts et de pathologies graves qui s’accumulent chaque jour », remarque Antoine Lévy. Plus encore peut-être, la contemplation satisfaite des mécanismes habiles et parfaits mis en place pour éviter tout risque (pour les administrations et le gouvernement… mais pas pour les Français) renforce l’arrogance ; une arrogance mal avisée comme l’est souvent l’arrogance. « C’est aussi le produit de l’arrogance d’un État imbu de lui-même et imperméable à la critique, de la suffisance d’une administration et d’une classe politique auto-satisfaites, boursouflées, et incapables de la dose d’humilité nécessaire pour faire machine arrière et s’inspirer simplement de ce qui fonctionne ailleurs. C’est en somme la révélation de la disparition totale de notre state capacity, la faculté de l’action publique à agir efficacement tout en préservant les libertés, la simple capacité d’accomplir quelque chose en commun » assassine Antoine Lévy. Pour ce dernier, cette attitude s’associe à un mépris bien dommageable pour les considérations logistiques. « Le premier des dénis, c’est celui du primat absolu de la logistique. « L’intendance suivra », aime-t-on à répéter en France depuis le Général, et l’on semble fier d’y confier son ignorance de ces questions bassement matérielles. Voilà que, comme un symbole, l’on entend le présumé grand ordonnateur de la stratégie vaccinale française, Alain Fischer, se gausser à la télévision en avouant, sans y voir la moindre contradiction avec son rôle, qu’il « ne connaît pas grand-chose à la logistique », comme s’il s’agissait là d’un domaine bien trop vulgaire pour un homme de sa trempe » remarque l’économiste. Moins mordant, mais pragmatique, Alexis Dussol remarque : « On aurait pu imaginer un système mobilisant à la fois les collectivités locales pour les lieux, le savoir-faire de l’armée française pour l’organisation logistique et le tissu des professionnels de santé pour l’administration des vaccins ». Mais au lieu de ça, Olivier Véran vantait encore vers le 20 décembre, l’absence de vaccinodrome comme la preuve que la France préparait une vaccination à taille humaine…

Si cette arrogance est si mal avisée, c’est, tout au moins pour Antoine Levy, qu’au contraire la crise met en lumière l’insupportable « déclassement » de la France. Les aveux de sentiment « d’humiliation » de plusieurs commentateurs médiatiques ces derniers jours confirment qu’il est loin d’être le seul à nourrir une telle analyse.

La bureaucratie a-t-elle bon dos ?
Mais que diable, n’est-il pas possible de sauver encore la France ? D’oublier qu’effectivement il y a eu des ratés jusque dans le recopiage des préconisations de Pfizer/BioNTech dans le protocole vaccinal ? De ne plus penser aux revirements sur les vaccinodromes ou à ces semaines d’inertie quand nos voisins s’activaient pour préparer leurs logistiques ? De remarquer qu’il y a eu un peu d’exagération dans les interprétations du il est vrai redoutable protocole distribué aux EHPAD évoquant le recueil du consentement ? Sans aller jusqu’à un tel optimisme, sur les accusations habituelles contre la bureaucratie, un éditorial de Stéphane Pulze du Dauphiné Libéra remarque : « Ça serait donc la faute à la bureaucratie si la France est à la traîne, une fois de plus. Cette inefficacité chronique de l’administration qui serait responsable de cette campagne de vaccination excessivement lente. Comment expliquer autrement ce faux-départ ubuesque quand tous les voisins européens sont pied au plancher ? Pour quelles raisons l’autorisation de vacciner prend-elle plus de temps en France qu’ailleurs ? Aujourd’hui, les Régions ont beau jeu de dénoncer cette centralisation excessive, elles qui souhaitent reprendre en main la stratégie vaccinale sur le terrain. Et les observateurs de tout bord se succèdent à la tribune pour tirer à boulets rouges sur les fonctionnaires qui se réfugient derrière le règlement pour nous inventer des procédures longues comme un jour sans fin. Le président Macron lui-même s’est agacé de cette bureaucratie trop tatillonne, comme s’il n’avait aucune emprise sur le corps administratif, à moins que ça ne soit une manière habile d’esquiver ses responsabilités. La technocratie - sans trop savoir ce qu’on y met dedans - serait coupable de tous les maux. Le constat n’est pas nouveau en France, il est juste parcellaire. Car ces élites qui ont la réputation d’être coupées de la réalité, ne sont que le reflet d’une nation sclérosée et profondément divisée qui n’a fait qu’amplifier l’inertie de sa haute administration, incapable de renverser la table quand il faut gérer dans l’urgence, une situation de crise ».

N’ayons pas peur !
L’observation est une façon de rappeler que le gouvernement ne pourra totalement éviter de penser ses propres responsabilités, quand beaucoup estiment que c’est également son absence de direction et de volonté qui est en cause. Sur ce point, l’analyse de sa communication invite à réfléchir. Nous avons, au JIM, beaucoup regretté qu’elle ait manqué d’enthousiasme, qu’elle ait donné jusqu’à l’impression que les dirigeants eux-mêmes approuvaient les réticents. « Notre stratégie vaccinale était attendue par beaucoup comme une solution majeure à l’épidémie de Covid-19. Tout le monde s’attendait à ce qu’elle repose, en tout cas au début, sur une protection des plus vulnérables et des soignants, que l’on crée un effet d’entraînement, que l’on donne envie d’être vacciné pour se protéger d’un virus possiblement mortel », observe François Bourdillon qui poursuit : « Les signaux en termes de communication ont été presque tous porteurs de valeurs négatives. On a mis en avant la prudence nécessaire, le besoin de pharmacovigilance, les effets secondaires, etc. C’est important, mais personne n’est venu dire que le vaccin c’est formidable, que c’est un exploit scientifique inouï, que cela va sauver des vies, que nous allons pouvoir lutter contre la pandémie… » (l’importance extrême donné au recueil du consentement compte également parmi ces signaux négatifs). Pourtant, l’augmentation (dans le plus récent sondage) du nombre de personnes indiquant vouloir se faire vacciner dès que possible, révèle qu’il suffisait de peu, de quelques sourires du ministre de la Santé, d’un discours plus volontariste, de médecins stars se faisant vacciner pour une évolution favorable (mais aussi de l’absence d’effets secondaires graves chez les millions de vaccinés dans le monde !). Le gouvernement a semblé s’être exagéré le pouvoir de nuisance des anti-vaccins, dont les plus redoutables sont pourtant une poignée, dans une attitude consistant à sur investir des opposants très minoritaires (ce qui ne concerne pas uniquement la vaccination).

Et si le gouvernement avait eu peur, peur de lui-même, n’avait plus eu assez confiance en lui-même et en sa capacité à emporter les Français et à organiser une campagne vaccinale efficace ? Et s’il n’y avait pas une part de prophétie auto-réalisatrice alors que depuis des semaines, beaucoup pressentaient le « fiasco » ? Et nous commentateurs et journalistes, peut-être étions nous si persuadés que la France allait aussi rater l’étape de la campagne de vaccination que le premier retard a été le signe qui nous manquait pour nous dire que nous avions raison !

Toujours chercher à qui la faute, un symptôme de plus de sclérose ?

Aurélie Haroche