Dans le monde

JIM - Avortement en Irlande : la société irlandaise a tranché... mais l’île reste divisée !

Mai 2018, par Info santé sécu social

Dublin, le lundi 28 mai 2018 –

Elle s’appellera peut-être "la loi Savita". C’est tout au moins ce que souhaitent en Inde, ses parents, Andanappa et Akmedevi Yalagi. En octobre 2012, ce couple a perdu leur fille, Savita, brillante jeune femme de 31 ans, partie vivre et mener sa carrière de dentiste en Irlande. A la fin de l’été 2012, tout semble lui sourire : jeune mariée, elle découvre qu’elle est enceinte. Mais, au cours du quatrième mois, une fausse couche brise ses espoirs. Ce deuil va la conduire à la mort : en dépit de la confirmation certaine de sa fausse couche et de la non viabilité du fœtus, les médecins ont refusé de procéder à l’évacuation utérine qui aurait pu empêcher la mort de Savita par septicémie.

Le vent se lève
Le décès de cette jeune femme a relancé en République d’Irlande les débats autour de la loi interdisant strictement l’avortement. Alors que depuis 1983, date à laquelle l’Irlande faisait, après référendum, entrer l’interdiction de l’IVG dans sa constitution, 200 000 femmes ont dû se rendre en Angleterre afin de mettre fin à une grossesse non désirée, la disparition de Savita a rappelé la dangerosité et l’inadaptation de la législation irlandaise. Elle a entraîné une nouvelle génération de militants ; la même qui a combattu en faveur de l’adoption du mariage pour les couples homosexuels, la même qui a contribué à l’arrivée au pouvoir du jeune premier ministre progressiste Leo Varadkar. Tout en se montrant très favorable à une évolution de la société irlandaise, celui qui n’a jamais caché son homosexualité, se montrait néanmoins réservé sur la question de l’avortement, dont il redoutait qu’elle n’entraîne une scission au sein de la société irlandaise.

Un pays uni face aux femmes et leurs souffrances
Mais quand au terme d’une campagne dont la plupart des observateurs ont remarqué le caractère respectueux une large majorité (66,4 %) a voté ce samedi en faveur de l’abrogation du huitième amendement qui empêchait toute loi libéralisant l’avortement, Leo Varadkar a pu remarquer avec joie : « Nous ne sommes pas un pays divisé ». Vendredi, 1,4 millions de personnes ont voté pour la suppression de l’amendement (alors que 840 000 avaient contribué à son adoption il y a 35 ans) et il n’y a pas eu de différence marquée entre ville et campagne, femmes et hommes, ces derniers ayant également majoritairement voté "oui". Dans un discours vibrant et manifestant sa fierté face à ce jour historique, citant la poétesse américaine Maya Engelou et son œuvre célèbre Femme phénoménale, Leo Varadkar a affirmé : « Les souffrances endurées pendant des décennies par les femmes irlandaises ne peuvent être effacées, mais aujourd’hui, nous nous sommes assurés qu’elles ne pourront pas se répéter ». Il a encore voulu rassurer ceux qui pourraient penser que « l’Irlande a pris une mauvaise pente (…). L’Irlande d’aujourd’hui est la même que celle qu’elle était la semaine dernière, mais juste un peu plus tolérante, un peu plus ouverte et plus respectueuse ». Aujourd’hui, le gouvernement est déterminé à aller vite. Portée par le ministre de la Santé, Simon Harris, très exposé et investi pendant la campagne, une loi autorisant l’avortement sans conditions jusqu’à douze semaines et jusqu’à vingt-quatre semaines en cas de danger grave pour la mère ou l’enfant pourrait être adoptée avant la fin de l’année. Le gouvernement n’a pas encore précisé si la loi porterait le nom de Savita à laquelle beaucoup à Dublin rendaient hommage vendredi et tout au long du week-end.

Si la République d’Irlande, soulagée, célèbre un résultat sans appel, l’île, pour sa part, connaît une étrange scission. En Irlande du Nord (appartenant au Royaume Uni), l’IVG demeure en effet totalement interdite et passible (en théorie) d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à perpétuité. Depuis vendredi, les appels affluent en faveur d’une évolution de la réglementation spécifique qui s’applique en Irlande du Nord. « Nous ne pouvons pas être considérées comme des citoyennes de deuxième classe et être laissées dans un coin du Royaume-Uni et de l’île » a remarqué un responsable d’Amnesty International dans un communiqué publié samedi. Si la population nord-irlandaise est aujourd’hui majoritairement favorable à un assouplissement de la loi, une partie de la classe politique y demeure opposée (à la différence de l’Irlande du Sud). Par ailleurs, la crise politique que traverse l’Irlande du Nord depuis plus d’un an ne permet pas d’envisager à court terme un nouveau débat. La balle est donc dans le camp de Theresa May premier ministre britannique. Cependant, le porte-parole du gouvernement a déjà exclu d’imposer ce sujet à l’Irlande du Nord, alors que les six députés du Democratic Unionist Party, opposés à tout changement, permettent à Theresa May de disposer d’une majorité parlementaire. Si la configuration politique pourrait donc retarder l’évolution de la loi en Irlande du Nord pendant encore longtemps, l’élan donné par le résultat du référendum de vendredi offre un regain d’espoir aux militants pro avortements dans cette région.

Aurélie Haroche