Organisation du systéme de santé

JIM - Covid : un rapport accablant de l’IGAS sur la gestion de la première vague de Covid

Janvier 2023, par Info santé sécu social

Publié le 04/01/2023

Paris, le mercredi 4 janvier 2023

Le journal le Parisien révèle les grandes lignes d’un rapport resté secret de l’IGAS, qui décrit la désorganisation qui régnait au ministère de la Santé lors de la première vague de la pandémie de Covid.

Beaucoup de choses ont été dites et écrites et beaucoup le seront encore sur ces quelques mois de 2020 où la France a été prise par surprise par la Covid-19 et où l’ensemble de la population a été confinée, tandis que plus de 25 000 personnes perdaient la vie. Déjà fin juin 2020, Olivier Véran, ministre de la Santé d’alors, s’interrogeait sur la manière dont la crise avait été gérée et avait donc commandé à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) un rapport sur la question.

Ce document, remis au gouvernement en novembre 2020 et intitulé “retour d’expérience du pilotage de la réponse de l’épidémie de Covid-19" est longtemps resté secret. Selon les journalistes du Parisien qui en révèlent ce mercredi les grandes lignes, il leur a fallu plus de deux ans pour mettre la main sur ce rapport. Toutes les voies officielles avaient jusque-là échoué, les journalistes (qui n’indiquent pas comment ils ont finalement obtenu le rapport) ayant essuyé le refus de l’IGAS, de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et de la justice administrative.

25 organigrammes en 3 mois
Ce document particulièrement accablant décrit la désorganisation qui régnait au sein du ministère de la Santé au début de la pandémie et son manque de réactivité. Le 27 janvier, alors que des premiers cas sont signalés en France et que le confinement a déjà démarré en Chine, la gestion de la crise est confiée au centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Coruss). Comptant 11 agents seulement, ce comité qui n’a jamais eu à affronter de crise majeure se retrouve rapidement sous-dimensionné.

Il faudra attendre le 10 mars, soit une semaine seulement avant le confinement, pour que l’on commence à venir chercher à droite à gauche des “agents de tout profil” sans compétence adéquate pour compléter les effectifs. Autre écueil : jusqu’à la mi-mars, la direction des opérations est confiée à Jérôme Salomon, directeur général de la Santé (DGS). Mais l’infectiologue, qui cumule des fonctions de directeur stratégique, scientifique et opérationnel, est rapidement débordé. “Une seule personne ne peut pas assurer des fonctions aussi lourdes” résument les agents de l’IGAS.

La cellule interministérielle de crise n’est finalement déclenchée que le 17 mars, jour du confinement. Au manque de réactivité va se substituer un trop plein de mobilisation stérile. Des cellules dédiées apparaissent à côté du centre de crise (cellule communication, tests, masques, publics précaires...) et l’IGAS parle “d’absence d’organisation structurée et durable” : entre début mars et fin juin, 25 organigrammes différents sur la direction de la crise se succèdent. “L’organisation de la crise a connu un éclatement tel qu’au cours de la mission, aucun acteur rencontré n’a semblé en avoir une vision claire et exhaustive” résument les auteurs du rapport.

Les Ehpad abandonnés
Une désorganisation illustrée par le fameux fiasco des masques. En principe, la mission est du ressort de Santé Publique France (SPF), mais “étant donné la nécessité d’acheter massivement à l’international, SPF se révèle rapidement sous-dimensionnée” constate l’IGAS. Une cellule logistique interministérielle, qui s’appuie essentiellement sur des agents extérieurs au ministère, est donc créé pour épauler SPF, mais les relations entre cette cellule et SPF s’avèrent rapidement exécrables, rendant l’organisation des opérations encore plus difficile. SPF est notamment accusée de pinailler sur des détails légaux, notamment en demandant des “lettres de saisine” pour assurer “la contractualisation des marchés”.

Fiasco également sur la gestion du début de l’épidémie dans les Ehpad, pourtant particulièrement vulnérables face au virus. Le rapport indique notamment que lorsque le 30 janvier, Jérôme Salomon émet une note sur le fonctionnement du centre de crise sanitaire, elle n’est pas envoyée à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), en charge des établissements pour personnes âgées. Les Ehpad sont de nouveaux oubliés lors de la publication du premier “guide méthodologique Covid-19" le 20 février.

Deux cellules de crise, celle du ministère et celle de la DGCS, gèrent la situation en parallèle, ce qui ne fait que rajouter à la confusion. Il faudra ainsi attendre le 6 avril, alors que l’épidémie est au plus haut, pour une consigne nationale de dépistage dans les Ehpad soit diffusée. Tous les acteurs de terrain notent que les directives étaient “trop nombreuses, difficiles à lire et dans certains cas inapplicables”. La remontée des informations est également rendue difficile par “des modes de comptage différents et des sources différentes” et ce n’est que le 2 avril qu’un premier bilan de l’épidémie dans les maisons de retraite est connu. Au total, 22 000 résidents d’Ehpad décèderont durant les 9 premiers mois d’épidémie.

Zéro pointé pour la recherche
La recherche française en prend également pour son grade dans ce rapport de l’IGAS. Là encore, la plus grande confusion règne, SPF n’ayant “pas joué le rôle de coordination de l’expertise attendu au regard de ses missions légales” écrivent les agents de l’IGAS. Des projets de recherches “redondants et trop segmentés” se multiplient, la plupart n’arrivant pas à leur terme en raison de difficultés à recruter des patients : à la fin du mois d’août, seulement 2,5 % des patients hospitalisés en France ont participé à un essai clinique. A contrario, l’IGAS cite l’exemple de l’étude britannique Recovery, qui a recruté 15 000 patients et a obtenu des “résultats particulièrement intéressants”.

Au final, ce rapport accablant pourrait peut-être un jour devenir une pièce à conviction : il a été versé au dossier de l’enquête de la Cour de Justice de la République, qui instruit depuis plus de 2 ans sur la gestion du début de la pandémie. Pour le moment, seul l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn a été mise en examen.

Nicolas Barbet