L’hôpital

JIM - Désertion de l’hôpital public : Olivier Véran reconnaît une situation compliquée, mais temporise

Octobre 2021, par Info santé sécu social

Paris, le jeudi 28 octobre 2021

Les alertes se sont multipliées ces dernières semaines. Donnant lieu à plusieurs reportages et analyses dans les médias (Le Monde, le Figaro et aussi le JIM), les syndicats ont répété leurs inquiétudes face à la désertification de l’hôpital public. La Fédération hospitalière de France (FHF) a également évoqué la progression de l’absentéisme. Enfin, le Conseil scientifique a procédé à une enquête dite « flash » en mobilisant différents acteurs de terrain et estimé à 20 % le nombre de lits aujourd’hui fermés, faute d’effectifs paramédicaux et médicaux suffisants. Cette évaluation s’ajoute à l’estimation faite par la DREES fin septembre de 5 700 lits d’hospitalisation complète fermés fin 2020 par rapport à 2019.

20 % : Véran ne veut pas y croire
Le ministre de la Santé a commenté hier dans les colonnes de Libération et à l’Assemblée nationale ces chiffres du Conseil scientifique et ces alertes répétées. Il a refusé de confirmer le « chiffre de 20 % » remarquant qu’il aurait « tendance, (…) à le contester. Et en tous les cas, parce que j’aime profondément la science et qu’avant de m’exprimer, je vérifie de ne pas raconter n’importe quoi. J’ai demandé à avoir une étude la plus exhaustive possible sur l’état de fermeture » a-t-il ainsi précisé devant les députés. Les données dont il dispose aujourd’hui seraient en effet un peu éloignées et évidemment plus rassurantes que celles avancées par le Conseil scientifique. « Pour l’instant, le seul chiffre dont je dispose, c’est sur un échantillon très parcellaire de 16 CHU. Avec tous les biais qu’on peut reconnaître, sur 16 CHU, la dernière donnée qui m’est remontée, c’est 5 % de lits de médecine temporairement fermés. On serait donc assez loin de 20 % du parc hospitalier général » observe-t-il encore. Cependant, on le sait, si des tensions existent bien dans de grands centres hospitaliers, comme l’a mis en évidence le vent de panique qui a soufflé à la perspective d’un renforcement du contrôle du plafonnement de l’intérim, c’est dans les centres hospitaliers que la crise est la plus forte.

Cercle vicieux
Tout en refusant donc d’endosser les chiffres les plus catastrophiques (émanant pourtant du Conseil Scientifique), Olivier Véran ne peut qu’admettre dans les colonnes de Libération : « Oui, il y a un certain nombre d’unités dans des hôpitaux qui sont obligées de fermer temporairement, ou de réduire la voilure, faute de soignants, faute surtout de pouvoir en recruter. (…) L’absentéisme augmente, lui, d’un peu moins d’un point sur la même période pour les personnels non médicaux. Les démissions augmentent plus significativement entre 2020 et 2021 qu’entre 2019 et 2020. Elles restent néanmoins dans des proportions modérées. Certains soignants quittent l’hôpital parce qu’ils sont fatigués après vingt mois de crise sanitaire. Ces départs peuvent mettre en difficulté des équipes, des services parce que les recrutements sont aussi difficiles. C’est une réalité, et nous la prenons à bras-le-corps » énumère-t-il. Il observe également qu’un cercle vicieux s’installe : les conditions de travail déjà difficiles se détériorent un peu plus en raison de la diminution des effectifs, conduisant un nombre croissant de personnels à envisager de quitter l’hôpital public.

Fakenews sur les salaires des infirmières
L’épidémie si elle a pu aggraver les désillusions, si elle a pu constituer chez certains un facteur déclencheur, semble surtout avoir précipité un mal-être préexistant. Le gouvernement assure en avoir pris la mesure et met tout d’abord en avant les efforts du Ségur. « Nous avons investi 10 milliards d’euros pour la hausse des salaires, 10 milliards ! Car le montant inscrit sur la feuille de paie, c’était un sujet. On a aussi agi sur les perspectives de carrière ou la gouvernance, pour que les soignants soient davantage inclus dans les décisions au sein des établissements de santé » plaide Olivier Véran. Pourtant, quand les efforts du Ségur sont rappelés aux syndicats, c’est souvent l’amertume qui domine. Ainsi, hier, le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) ironisait : « Le 12 avril, nous avions droit à de grandes annonces du Gouvernement sur la revalorisation des soignants dans le cadre du "Ségur de la Sante". Mais fin octobre, nos salaires restent inchangés ! En effet, les textes relatifs aux soignants hospitaliers n’ont été publiés que le 30 septembre, et du fait de la complexité de la reprise d’ancienneté, le reclassement ne sera pas effectif sur les bulletins de paie avant décembre ou janvier ! » écrit le syndicat qui parle encore de « fakenews sur les salaires des infirmières sous payées et mépris des compétences des cadres et infirmiers spécialisés ».

Du côté des jeunes médecins, on ne se montre guère plus positif. Dénonçant d’une part l’iniquité de certaines décisions de directions hospitalières qui minent parfois leur carrière, le syndicat Jeunes Médecins appelle d’autre part à des mesures immédiates pour renforcer l’attractivité de l’hôpital public, dont : « la restitution de 4 ans d’ancienneté aux praticiens hospitaliers nommés avant le 1er octobre 2020, lésés par la création d’une double grille salariale en septembre 2020 et le décompte de la garde de nuit à 3 demi-journées (soit 24 heures = 5 demi-journées) ».

L’impasse des ressources humaines
Dans l’immédiat, les ressources humaines sont souvent dans l’impasse. D’autant plus criante qu’on mesure qu’une légère flambée épidémique pourrait rapidement entraîner des tensions. Olivier Véran le reconnaît : « Je n’ai pas de médecins cachés dans le placard, ni des infirmières qui attendent dans une salle qu’on appuie sur un bouton pour les déployer dans les hôpitaux. Je ne vais pas mentir aux gens. Il y a des décisions qui n’ont pas été prises il y a vingt ans, on les paye aujourd’hui. On ne réécrit pas l’histoire en un claquement de doigts, mais on peut inverser la vapeur maintenant. Nous sommes dans une politique d’augmentation de nos effectifs, qu’il s’agisse des médecins avec la fin du numerus clausus et plus de 17 000 étudiants qui sont aujourd’hui en deuxième année de médecine, ou des infirmières et aides-soignants avec la création de 6 000 places supplémentaires dans les écoles cette rentrée 2021. Ces décisions, il fallait les prendre, et nous les avons prises. Néanmoins, tout cela prend du temps ».

Une enquête pour comprendre les démissions
Encore faut-il en outre être assuré que ces nouvelles recrues trouvent à l’hôpital public ce qu’elles espéraient. Rien n’est moins sûr : « chez les étudiants infirmiers en formation entre 2018 et 2021, un peu plus d’un millier a démissionné avant la fin de leurs études » avance lui-même le ministre qui indique qu’une enquête va être menée pour mieux comprendre les raisons de ces départs précoces. De la même manière, Pôle Emploi a été diligenté pour repérer les soignants inscrits auprès de ses services en vue d’une reconversion professionnelle. « Pour qu’on aille les chercher, en les recevant un par un en entretien, en essayant de comprendre pourquoi ils s’en vont et leur proposer d’autres alternatives, d’autres manières d’exercer leurs métiers ».

Sujet présidentiel
Dans ce contexte, difficile d’imaginer que le renforcement du contrôle du plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires, qui devait entrer en vigueur le 27 octobre et qui a été finalement repoussé puisse être appliqué rapidement. A l’issue d’une rencontre en début de semaine avec les représentants des acteurs hospitaliers, le ministère de la Santé a refusé d’arrêter une date, évoquant uniquement une mise en œuvre « le plus tôt possible en 2022 ».

Aujourd’hui, la pression exercée sur le gouvernement sur ces sujets est immense et plus encore à l’approche des élections présidentielles : une enquête réalisée par Opinion Way pour le cabinet Deloitte révèle que 86 % des Français souhaitent que les candidats s’engagent à augmenter les investissements hospitaliers et les moyens humains au service des soins et 81 % attendent des revalorisations financières pour les personnels soignants.

Aurélie Haroche