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JIM - La Cour des Comptes très sévère sur le recours aux cabinets de conseils durant la crise sanitaire

Décembre 2022, par Info santé sécu social

le lundi 12 décembre 2022
Le recours massif à des cabinets de conseils par le gouvernement, notamment durant la crise sanitaire, fait régulièrement polémique.

Le 23 novembre dernier, le parquet national financier (PNF) annonçait avoir ouvert une enquête à l’encontre du cabinet de conseil privé américain McKinsey pour un supposé financement illégal des deux campagnes présidentielles d’Emmanuel Macron. Une actualité judiciaire qui a remis sur le devant de la scène la polémique récurrente sur le recours par le gouvernement à des cabinets de conseil privés, jugé abusif par certains.

On se souvient que le 16 mars dernier, le Sénat avait rendu un rapport au vitriol sur le recours à ces cabinets privés, souvent étrangers, durant la crise sanitaire, plongeant la majorité dans l’embarras en pleine campagne présidentielle. On ignorait que ce rapport public et commenté avait été précédé d’un rapport, confidentiel mais tout aussi sévère, rédigé cette fois par la Cour des Comptes. Ce rapport, adressé au ministère de la Santé le 2 décembre 2021, vient d’être rendu public à la demande du journal Le Monde.

On y constate que la direction générale de la Santé (DGS) a dépensé 13 millions d’euros au total en 2020-2021 auprès de cabinets de conseil (8,8 millions en 2020 et 4,2 en 2021), bien plus que dans les années précédents la crise sanitaire. Mais plus que le montant de ces contrats, c’est la manière dont ils ont été passés qui interroge la Cour des Comptes.

Des conditions de passation de contrats douteuses

La passation de contrats avec des cabinets de conseil doit en effet en principe respecter la très tatillonne législation sur les marchés publics, dont la violation est une infraction pénale. Mais la Cour des Comptes constate que cette réglementation a été le plus souvent contournée durant la crise sanitaire. Ainsi, les sept contrats passés entre l’Etat et le cabinet McKinsey entre novembre 2020 et février 2022 portant sur la stratégie vaccinale (pour un montant total de 11,6 millions d’euros) l’ont tous été sur la base d’un contrat-cadre passé entre l’Etat et McKinsey en 2018. Un rattachement qui « apparait largement artificiel » note les magistrats, puisque ce contrat cadre portait sur la « transformation publique », ce qui ne semble pas avoir de grands rapports avec la vaccination contre la Covid-19.

Même conditions de passation douteuses pour les huit contrats signés entre l’Etat et le cabinet Citwell en 2020, portant essentiellement sur la distribution de masques et de médicaments de réanimation, pour un montant total de 2,3 millions d’euros et qui ont été conclus sans publicité, ni mise en concurrence comme le veut la loi.

Pour justifier ces entorses, le gouvernement invoque le motif, prévu par la loi, de « l’urgence impérieuse » liée à la crise sanitaire. Mais pour la Cour des Comptes, si ce motif est valable pour des contrats passés au tout début du confinement en mars 2020 au moment où l’administration était totalement dépassée par la situation sanitaire, il l’est beaucoup moins pour ceux conclus au cœur de l’été 2020, lorsque la situation était stabilisée.

Pas de mea-culpa pour Olivier Véran

Outre les conditions de formation des contrats, ce sont la portée des missions confiés aux cabinets de conseil, toujours plus élargies, qui sont critiquée par la Cour des Comptes. Les auteurs du rapport notent qu’à de nombreuses reprises, les agents des cabinets ont outrepassé leur rôle de simple conseiller, pour avoir une fonction quasi-décisionnelle. La Cour des Comptes prend ainsi l’exemple d’un consultant du cabinet Roland Berger, devenu, entre juillet 2020 et mars 2021, un membre à part entière de la DGS, au point qu’il disposait de son propre bureau et rédigeait des notes sans que sa qualité de consultant ne soit précisée, tout cela pour la modique somme de 920 000 euros.

« Il apparait anormal qu’un ministère fasse appel à un cabinet de conseil pour la réalisation de tâches qui relèvent de sa mission de service public, alors même qu’il est doté d’un puissant corps d’inspection interne dont les membres ont toutes les compétences requises » commentent les magistrats de la Cour des Comptes. Ils recommandent ainsi au ministère de la Santé de « limiter strictement le recours aux cabinets de conseil » et « d’anticiper un temps suffisant de préparation des marchés avant le lancement des missions ».

Des recommandations qui semblent avoir été suivi d’effets, puisque le ministre de l’économie Bruno Le Maire a reconnu qu’il y avait eu « des dérives et des abus » dans le recours aux cabinets de conseil et que le gouvernement avait entamé une politique pour « réduire le recours à ces cabinets ». Un mea-culpa auquel Olivier Véran, qui aura conclu de multiples contrats avec McKinsey et autres cabinets durant la crise sanitaire, ne semble pas encore prêt à faire. Pour l’ancien ministre de la Santé, il n’y a eu « ni dérives ni abus » dans l’implication des cabinets de conseil dans la gestion de la crise sanitaire.

Quentin Haroche