Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

JIM - La vaccination n’annihile pas l’épidémie, et alors ?

Avril 2021, par Info santé sécu social

Paris, le mardi 6 avril 2021

C’est à demi-mots que le chef de l’Etat a, mercredi dernier, avancé la période de la mi-mai pour envisager une réouverture du pays que l’on a compris très partielle et très progressive. Cependant, beaucoup s’accrochent aujourd’hui à cette date pour entrevoir un début de sortie de crise.

Les conditions seront-elles cependant réunies ? Les inconnues sont nombreuses. Les mesures qui entrent en vigueur cette semaine seront-elles suffisantes. Si la fermeture de tous les établissements scolaires au même moment dans tout le pays pendant trois à quatre semaines devrait avoir un impact sur la circulation du virus (même si dans les écoles primaires, le rôle des élèves dans la transmission continue à apparaître plus restreint que celui des adultes), la portée des autres dispositifs est plus difficile à anticiper. De nombreux signes suggèrent en effet que le respect des mesures s’est amoindri et tant la multiplicité des exceptions que l’absence de caractère contraignant de nombreuses prescriptions pourraient en affaiblir l’adhésion. Par ailleurs, il existe de nombreux paramètres qui ne peuvent être maîtrisés, comme l’influence de la température et des conditions climatiques.

Mirage au Chili
Reste la vaccination. C’est notamment sur ce levier, conjugué à une baisse « raisonnable » du nombre de contaminations et à une diminution de la pression dans les hôpitaux, que compte le gouvernement pour espérer commencer à desserrer l’étau. A la mi-mai, si le calendrier des livraisons et l’accélération de la cadence vaccinale grâce aux vaccinodromes et à une participation encore accrue de la médecine de ville répondent aux objectifs, un tiers de la population française devrait avoir reçu au moins une dose de vaccin. C’est aujourd’hui la situation du Chili où 36 % de la population a reçu au moins une dose de vaccin, de Bahrein ou des Etats-Unis avec des taux de 31 %. Ces niveaux de vaccination, couplés à un recul des contaminations et un nombre de décès considérablement réduit ont conduit récemment ces trois pays à lever progressivement certaines des restrictions prises. Mais ce mouvement pourrait être contrarié. C’est déjà le cas au Chili, qui vient de prononcer la re-fermeture d’un certain nombre d’établissements et la fermeture des frontières, confronté à une hausse rapide du nombre de contaminations, tandis que la circonspection domine aux Etats-Unis et à Bahrein.

Des doutes multiples sur la capacité des vaccins à permettre une immunité collective solide
Ces exemples ne peuvent être que très déceptifs et inquiétants pour la France. Ils étaient néanmoins prévisibles. D’abord, la proportion de personnes à vacciner pour approcher ce qui pourrait être considéré comme une forme « d’immunité collective » a toujours été estimée plus élevée. Avec un R0 de 3,3, comme c’est le cas pour SARS-CoV-2 en dehors de mesures restrictives, « il faudrait environ 60-70 % de la population immunisée par un vaccin » avait indiqué en décembre dernier Pascal Crépey, épidémiologiste à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Par ailleurs, le taux de personnes à vacciner dépend de l’efficacité des vaccins. Or cette dernière varie en fonction des produits. En outre, même si les preuves d’un effet favorable se multiplient, il existe encore une part de doutes concernant la capacité des vaccins à totalement interrompre la transmission du virus. Enfin, les incertitudes concernent également la durée d’efficacité des vaccins.

Le leurre de l’immunité collective
D’une manière générale, même si la vaccination est une arme puissante et souvent déterminante, elle ne peut seule permettre la disparition d’une épidémie. D’autres mesures doivent s’y associer. D’ailleurs, les éradications de maladies infectieuses ont été on le sait très rares avec deux exemples uniques : la variole et la peste bovine. Pour espérer y parvenir, il faudrait « que le virus n’ait plus de réservoir animal ou environnemental, sinon des réintroductions pourront se passer à tout moment » relevait à la fin de l’année dernière pour France-Info, le responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence à l’Institut Pasteur, Jean-Claude Manuguerra. Avec SARS-CoV-2 ce défi relève de la gageure, puisque les connaissances concernant le réservoir animal sont encore très parcellaires. Autre condition pour espérer une éradication : « Il faut que le virus soit stable génétiquement. Si un virus mute tout le temps, on n’arrivera pas à avoir une immunité pour toute la population. (...) Moins il y a de variantes du virus, mieux on peut lutter contre lui ». Là encore, les variants de SARS-CoV-2 dont certains échappent en partie à l’immunité naturelle et vaccinale risquent de contrarier les plans. C’est ainsi tout le concept d’ « immunité collective », qu’elle soit naturelle ou vaccinale, qui a été agité comme un totem qui semble devoir être dépassé. Autant d’éléments qui avaient déjà été à l’origine d’une mise en garde contre des espoirs trop vite déçus de la part de l’Organisation mondiale de la Santé en décembre dernier : « Le monde a espéré que se crée une immunité collective, que la transmission du virus serait en quelque sorte réduite si suffisamment de personnes étaient immunisées (…) mais ce concept d’immunité collective a été mal compris. Il semble que le destin du SRAS-CoV-2 [Covid-19] est de devenir endémique, comme l’ont fait quatre autres coronavirus humains, et qu’il continuera à muter au fur et à mesure qu’il se reproduit dans les cellules humaines, en particulier dans les zones de contaminations plus intenses » avait expliqué le professeur David Heymann, président du groupe consultatif stratégique et technique de l’OMS sur les risques infectieux. Le chef du programme d’urgence de l’OMS, le docteur Mark Ryan avait encore ajouté : « l’existence d’un vaccin, même avec une efficacité très élevée, n’est pas une garantie d’éliminer ou d’éradiquer une maladie infectieuse ».

Utiliser toutes les armes
Ces conclusions doivent-elles nous jeter dans un désespoir amer ? Sans doute pas. D’abord, parce qu’il existe d’autres outils pour vivre avec le virus. Ce sont, plaident de nombreux épidémiologistes, les autotests qui commencent à être largement déployés par de nombreux pays. Il existe cependant un frein en France, où on le sait notamment, ces dispositifs ne devraient pas trouver leur place dans les supermarchés. Si ce choix peut s’expliquer par la qualité du maillage officinal en France, il est également probablement le signe d’une certaine défiance, que n’ont pas caché les représentants des biologistes médicaux et des pharmaciens et de certaines autorités s’inquiétant de la fiabilité des tests et de leur bonne utilisation par les Français. De tels arguments qui s’ils sont examinés à l’aune des exemples étrangers ne peuvent qu’entraîner une nouvelle bouffée d’indignation face à la pusillanimité française. Là où des campagnes explicatives claires pour faire comprendre l’intérêt des autotests et la conduite à tenir en cas de résultat positif permettraient sans doute de lever de nombreux obstacles, le gouvernement semble préférer le retrait et la défiance vis-à-vis des Français. Une attitude incompréhensible aux yeux de beaucoup et qui indigne par exemple le docteur Martin Blachier. « En plus de la vaccination on va avoir besoin de ces autotests : les Américains l’ont compris, les Anglais l’ont compris, les Allemands l’ont compris, à notre tour de le comprendre également. Si les Français faisaient un test toutes les semaines, ce serait plus efficace qu’un confinement » est convaincu l’épidémiologiste.

Une épidémie à la gravité très différente grâce à la vaccination
Par ailleurs, s’il est possible que les vaccins ne seront pas assez puissants pour faire disparaître la Covid-19, ils ont démontré, en Israël et en Grande-Bretagne et même à un niveau plus restreint en France leur efficacité sur la mortalité et sur les formes graves. Or, la circulation d’un virus contre lequel existe un rempart pour éviter le décès des plus vulnérables et les formes graves représente une menace bien plus faible. Le chef du programme d’urgence de l’OMS, le docteur Mark Ryan avait ainsi prophétisé en décembre : « Le scénario probable est que le virus deviendra un autre virus endémique, qui restera en quelque sorte une menace, mais une menace de très faible niveau dans le contexte d’un programme de vaccination mondial efficace ». Certes, il est probable que des adaptations du vaccin (comme c’est le cas face aux virus grippaux) et un maintien des taux de revaccination à un niveau relativement élevé soient nécessaires pour éviter de nouveaux dérapages mais l’exemple d’Israël semble démontrer que le défi peut être relevé.

Un argument de plus en faveur du Zéro Covid ?
Pour certains néanmoins, les cas du Chili, de Bahrein ou encore des Etats-Unis doivent être un avertissement pour éviter toute levée trop hâtive des mesures et pour vanter une fois encore des stratégies plus agressives, telle celle dite du Zéro Covid. Mais pas plus que la vaccination, il ne semble que ce type de politique permette d’éradiquer définitivement le virus : même dans les îles où la circulation de SARS-CoV-2 est traquée, les refermetures ponctuelles doivent en effet être très fréquentes et la vigilance est constante sans parler du fait que leurs frontières demeurent fermées. Plus certainement, notent d’autres observateurs, la situation chilienne ou américaine semble une nouvelle confirmation de la nécessité d’apprendre enfin à vivre réellement avec le virus en usant de la combinaison de toutes les armes disponibles mais sans plus s’enfermer.

Aurélie Haroche