Politique santé sécu social de l’exécutif

JIM - Le couvre-feu, un moindre mal efficace ou une menace non justifiée pour la liberté ?

Octobre 2020, par Info santé sécu social

Paris, le samedi 17 octobre 2020 -

Les métaphores martiales qui avaient émaillé le discours d’Emmanuel Macron lors de l’annonce du confinement en mars avaient beaucoup été commentées et critiquées. Si en apparence, cette emphase lyrique a disparu, la convocation de l’imaginaire guerrier demeure. « En mars, le Président avait parlé de « guerre » face au Covid-19. Avec la notion de couvre-feu, il reste dans le même état d’esprit martial » remarque dans Le Figaro Jean-Loup Bonnamy, spécialiste de philosophie politique. De fait, les précédents de couvre-feu renvoient à des périodes très marquées de notre histoire, notamment la seconde guerre mondiale ou la guerre d’Algérie.

Si la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) a légitimement rappelé que les comparaisons devaient en la matière conserver une certaine réserve (puisque les menaces qui pèsent aujourd’hui sur ceux qui ne respecteraient pas le couvre-feu sont sans commune mesure avec celles qui s’imposaient en 1942, sans parler des justifications bien plus défendables du couvre-feu actuel), la dimension « fortement traumatique » (selon l’expression de Jean-Loup Bonnamy) ne doit sans doute pas être évacuée si rapidement. De la même manière, apparaissent sans doute légitimes les questionnements concernant les conséquences de ce choix gouvernemental sur certaines conceptions profondes de notre fonctionnement démocratique. « « La raison d’espérer, je vais vous dire : c’est que nous sommes en train de réapprendre à être pleinement une nation. C’est-à-dire qu’on s’était progressivement habitués à être une société d’individus libres. Nous sommes une nation de citoyens solidaires. » Autrement dit, avant la pandémie, nous vivions dans la fausse idée que la liberté se déclinait au niveau des individus et signifiait que ceux-ci, dès lors qu’ils ne portaient atteinte ni aux biens ni aux personnes, étaient souverains dans leurs choix de vie. Une fausse idée propagée bien à tort par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui figure inexplicablement dans notre bloc de constitutionnalité ! », ironise la penseuse libérale Nathalie MP Meyer sur son blog repris par Contrepoints.

Si l’on peut regretter une certaine forme d’outrance dans cette dénonciation, le fait que le Parlement ne soit consulté que pour décider la prolongation du couvre-feu (et non discuter son principe en lui-même) et d’une manière générale l’absence de consultation démocratique peuvent interroger. « On traite les Français comme des enfants en les privant de sortie le soir, en leur retirant la plus fondamentale des libertés (celle d’aller et de venir) et en leur disant ce qu’ils doivent faire et où ils doivent être (chez eux). Pourtant, les Français votent ! Deux jours avant le confinement de mars, on avait d’ailleurs considéré que leur vote était tellement important que l’on ne devait pas annuler le premier tour des élections municipales malgré l’épidémie. Les citoyens français sont-ils des adultes libres et responsables, dont on va solliciter le suffrage, ou des enfants qui ont besoin d’une permission pour sortir de chez eux le soir ? Il y a là une véritable contradiction » ironise Jean-Loup Bonnamy.

Le couvre-feu, automatiquement efficace…
Ces questionnements s’ajoutent aux interrogations sur l’efficacité réelle du couvre-feu. Tous néanmoins ne peuvent que reconnaître qu’il est sans conteste un moindre mal par rapport au confinement généralisé, d’un point de vue économique bien sûr mais aussi sanitaire puisqu’il évite notamment que les consultations médicales non liées au Covid soient largement annulées. Cependant, à l’instar du confinement, son efficacité est difficile à prédire. Impossible notamment d’être certain que la courbe épidémique soit significativement modifiée par de telles mesures (certains auraient constaté par exemple que l’évolution épidémique était sensiblement la même dans tous les pays du monde, quel que soit le degré de sévérité des mesures qu’ils ont choisi d’adopter au printemps). Néanmoins, la diminution des contacts sociaux en soirée et la nuit contribue inévitablement à ralentir la diffusion du virus, de la même manière que le confinement a plus que certainement « atténué » l’ampleur des courbes épidémiques.

Des comparaisons complexes mais convergentes
Pour autant puisque le couvre-feu est de la même manière que le confinement au sens strict (c’est-à-dire l’interdiction de déplacement) généralement couplé à de multiples autres mesures, il est difficile de déterminer si à lui seul son impact sur l’épidémie peut être jugé décisif et majeur. Les exemples qui existent restent difficiles à interpréter, notamment quand le couvre-feu a été décidé en même temps que le confinement. Le cas de la Guyane est cependant présenté ces derniers jours comme une démonstration intéressante de l’efficacité de la mesure. Des bémols sont cependant signalés, notamment les différences d’horaires entre le couvre-feu guyanais initial (à partir de 17 h) et celui qui aujourd’hui concerne une partie de la métropole et le fait que d’autres mesures s’ajoutaient au dispositif (fermeture des frontières). Néanmoins, l’observation de multiples exemples à travers le monde converge vers la constatation d’une efficacité probable. Ainsi, dans un décryptage récent, après avoir passé en revue les historiques de Melbourne ou Anvers, le Figaro conclut : « En résumé, il semblerait que le couvre-feu soit en effet une mesure efficace dans le sens où elle participe, à une certaine échelle, à la réduction de la circulation du virus. Instaurer un couvre-feu permettrait donc d’éviter certains clusters, dont notamment les rassemblements en soirée. Mais le couvre-feu reste avant tout une mesure complémentaire au masque et aux mesures de distanciation sociale. Ainsi, selon le président de l’Académie de Médecine Jean-François Mattéi, pour que le couvre-feu soit réellement efficace, il s’agit avant tout de cumuler le « confinement individuel » (le masque), avec le confinement partiel (pour les métropoles au-dessus du seuil d’alerte), et le « confinement nocturne », terme « moins guerrier et moins violent » pour signifier « couvre-feu ». ». De façon plus actuelle, des signaux intéressants (mais qui ne peuvent être interprétés de façon trop rapide) concernent la ville du Québec où les récentes mesures (dont l’instauration d’un confinement) semblent avoir permis de très rapidement interrompre la dynamique de l’épidémie : cependant l’interdiction totale des rassemblements privés est en la matière une composante qui n’existe pas de façon aussi stricte en France pour des raisons que nous analysons aujourd’hui dans notre rubrique Côté cour.

La contamination, c’est toujours pire la nuit ?
Si on le voit les comparaisons, bien que toujours complexes, plaident en faveur d’une efficacité du couvre-feu, certains s’interrogent cependant sur la pertinence de cibler les échanges nocturnes, quand des données épidémiologiques suggèrent que les « clusters » sont plus fréquemment repérés dans les entreprises, les écoles ou encore les universités. Cet argument a notamment été largement relayé ces derniers jours sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, le Professeur Maxime Gignon (chef du pôle Préventions, risques, information médicale et épidémiologie du CHU d’Amiens) a tenu à décrypter : « Depuis le début de l’épidémie, nous avons eu, en France, 820 017 cas diagnostiqués (…). Or depuis la levée du confinement, le 11 mai 2020, les ARS investiguent les clusters (…). Or, depuis le 11 mai 2020 donc, nous avons au total, 3 207 clusters qui ont été signalés incluant seulement 34 767 cas. C’est peu. On a donc une minorité de cas qui sont rattaché à un cluster. De quoi relativiser » les tableaux présentant la fréquence des foyers épidémiques. « C’est complexe, la gestion d’une épidémie, et on peut se douter qu’un seul indicateur ne suffit pas pour en saisir la complexité. D’autant plus quand les indicateurs sont imparfaits. On touche là aux limites du contact-tracing. Tracer des contacts c’est complexe. Identifier le moment où ils ont pu se contaminer l’est encore plus : le midi au restaurant du personnel ? Le soir quand ils sont allés boire un verre ? Le week-end avec les cousins » s’interroge-t-il démontrant la complexité de la question et suggérant que si les interrogations concernant la parfaite pertinence du couvre-feu (cette mesure permettra-t-elle mieux que toutes les autres de limiter la propagation du virus ?) ne sont pas nécessairement illégitimes, on ne peut sans doute pas le dédaigner en invoquant l’existence de clusters en entreprise ou dans les écoles. En tout état de cause, pour certains, ces questionnements confirment la nécessité de ne pas restreindre notre action à cette seule mesure.

Les Français ont-ils assez peur pour respecter le couvre-feu ?
Enfin, au-delà des réflexions concernant notre démocratie et des interrogations sur son efficacité sanitaire, la question de l’acceptabilité du couvre-feu est importante. Plus indécis à la veille des annonces d’Emmanuel Macron (puisqu’un sondage de l’IFOP signalait que 35 % des Français étaient alors favorables à l’instauration d’un couvre-feu, 41 % y étaient hostiles et 24 % ni étaient ni favorables ni défavorables), les Français présentent selon les enquêtes ultérieures une adhésion majoritaire (entre 62 et 73 % selon les instituts). Cependant, les deux politologues, Sylvain Brouard et Martial Foucault (Sciences Po) jugent dans une analyse publiée sur The Conversation que le pari est « risqué ». « Les résultats des études sur le suivi, en France, des préconisations gouvernementales pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 sont éclairants. Ils mettent en exergue plusieurs facteurs déterminants. Premier facteur, les émotions : plus la peur de la Covid-19 est forte, plus les préconisations sanitaires sont respectées. Or, depuis la rentrée, la peur de la Covid-19 est à son niveau plancher. Second facteur, le consentement des citoyens concernés. Or celui-ci dépend du niveau de confiance dans les autorités publiques et leurs actions ainsi que dans les scientifiques, mais aussi de la perception d’un respect réciproque des règles sanitaires au sein de la population. Sur ce plan, les indicateurs sont de nouveau inquiétants : la satisfaction vis-à-vis de la gestion de la crise du coronavirus par l’exécutif a retrouvé son niveau le plus faible (38 %) et la confiance dans les scientifiques a décliné de 15 points depuis mars 2020 » observent les deux politologues. Surtout, concernant la perception de la gravité de l’épidémie, ils signalent : « 28 % des répondants considèrent les conséquences du coronavirus en France très graves alors qu’ils étaient 56 % fin mars 2020. Les citoyens semblent donc, majoritairement, considérer, à tort ou à raison, que ni le pays ni eux-mêmes ne se trouvent dans une situation comparable à celle vécue lors du confinement. Les effets bénéfiques possibles des sacrifices apparaissent donc mécaniquement moindres. Les fermetures des bars, restaurants et salles de spectacle à 21h vont bien évidemment diminuer les occasions de sortie, rendant plus facile le respect des mesures de distanciation sociale. Néanmoins les amendes de 135 Euros, puis 1 500 Euros et les peines allant jusqu’à 6 mois d’emprisonnement en cas de récidive seront-elles suffisamment dissuasives pour les personnes souhaitant passer leur soirée avec des amis ou de la famille ? En effet, il est peu probable que les contrôles soient suffisamment nombreux pour assigner à résidence nocturne, sans leur coopération a minima passive, près de 20 millions de personnes, à moins de transformer l’état d’urgence sanitaire en état d’urgence tout court ou en loi martiale. Les prochaines semaines apporteront des réponses à ces interrogations ainsi qu’à la plus importante de toutes, celle de l’efficacité sanitaire du confinement nocturne. Elle seule justifie en effet cette nouvelle remise en cause des libertés publiques alors que, depuis le 13 novembre 2015, les citoyens français ont vécu autant sous état d’urgence que selon les règles démocratiques normales… » concluent ces auteurs. Tandis que d’une façon plus poétique et plus synthétique, le docteur François-Marie Michaut remarque : « La France instaure un couvre-feu nocturne dans ses grandes métropoles. Au sens premier, répandre de la cendre sur un feu ouvert pour qu’il ne flambe plus et que les braises demeurent en sommeil pour pouvoir être réactivées pendant des heures. Saine économie domestique de nos anciens. Sous sa couverture, un feu continue de couver, n’est-ce pas ? ».