Les maladies

JIM - « Les médecins ont une méconnaissance de l’évolution de la profession de vétérinaire, pourtant entre animaux et humains, il y a des similitudes »

Décembre 2022, par Info santé sécu social

Publié le 30/12/2022

Valérie Freiche, vétérinaire gastro-entérologue à Maisons Alfort et détentrice d’un PhD-Recherche Clinique en Médecine comparée, a décidé de faire tomber la cloison entre espèces. En incarnant le « One Health » elle a pu poser un pied dans le monde médical. Retour sur un parcours atypique.

What’s up doc : Vous avez un pied dans la médecine vétérinaire et un dans la médecine humaine, comment cela se fait-il ?

Valérie Freiche : J’ai exercé comme vétérinaire clinicien, de toutes les manières possibles. D’abord vétérinaire généraliste, j’ai très vite voulu me spécialiser dans un domaine d’activité peu répandu en France, la gastro-entérologie. L’activité vétérinaire est segmentée de la même manière que la médecine humaine, il y a autant de spécialités. En 1992 j’ai créé la consultation de gastro-entérologie de l’École vétérinaire. Ces 25 dernières années, j’ai travaillé de manière de plus en plus intensive sur cette spécialité. Il y a environ une quinzaine d’années, je me suis rendue compte que le cancer digestif du chat devenait de plus en plus fréquent. Ce cancer est dû à des conditions environnementales. À force de solliciter un certain nombre d’interlocuteurs, de réunions… je suis entrée en contact avec le professeur Olivier Hermine, chef de service à l’hôpital Necker, qui dirige un laboratoire au sein du laboratoire Imagine. Olivier Hermine était sensibilisé à la fibre vétérinaire, si je puis dire. Il a pensé que les vétérinaires pouvaient échanger avec les médecins, il a eu la gentillesse de me recevoir en 2015. Nous avons commencé à discuter de manière informelle. Je lui ai présenté mes interrogations au sujet de cette maladie digestive du chat. Très rapidement, il a réuni une équipe de personnes, et nous nous sommes aperçus que cette maladie si fréquente chez le chat nous conduirait à mieux comprendre une maladie rarissime chez l’homme, et pourrait à terme, conduire à de nouvelles pistes thérapeutiques bénéfiques aux deux espèces. Dans ce contexte, j’ai obtenu un doctorat de recherche, un Phd, encadré uniquement par des médecins et co-dirigé par des chercheurs de l’Institut Imagine. Ce travail commun continue. Nous nous réunissons fréquemment avec Olivier Hermine et l’Institut Imagine.

Est-ce un parcours commun à d’autres vétérinaires ? Êtes-vous un cas particulier ?

VF. : Mon parcours est lié à ma volonté acharnée de comprendre ce sujet. À partir de là, plusieurs projets de recherche médicale sont nés. Ils seront lancés en septembre prochain, pour le bénéfice des deux espèces.
Des vétérinaires qui font une thèse de science, il y en a régulièrement mais, en général, ils sont encadrés par des vétérinaires ou des biologistes. Ce qui est original, c’est qu’un vétérinaire soit encadré uniquement par des médecins et que cet encadrement soit pérenne dans le temps.

Est-il simple de rassembler vétérinaires et médecins ?

VF. : La difficulté réside dans une méconnaissance réciproque. Nous avons payé le tribu de la pandémie de Covid-19. Les études sont segmentées, nous ne dépendons pas du même ministère. Les vétérinaires ont une réputation de niveau scientifique inférieur. Les médecins ont une méconnaissance de l’évolution de la profession de vétérinaire, comme de leur capacité ou leur souhait de s’impliquer dans la recherche. Par exemple, j’ai voulu m’inscrire sur les listes pour aider à la vaccination pour la Covid. Notre profession n’apparaissait pas, bien que nous pratiquions plus d’injections au quotidien que la plupart des médecins.

Dans quelle mesure vos compétences vétérinaires sont utiles ?

VF. : Ce n’est pas de l’expérimentation animale. Nous exploitons des données issues de maladies spontanées chez le chien. Leur atout par rapport aux souris est de partager le même micro-environnement que leur propriétaire. Ils ont la même diversité génétique, ils partagent aussi le même microbiote, cela a été prouvé. De plus, leur espérance de vie est accélérée de sept fois par rapport à l’homme. Cela en fait un remarquable modèle d’étude dans le cas de maladie commune. L’idée n’est absolument pas de se servir des uns et des autres comme de modèles d’expérimentation. Le but est d’utiliser des prélèvements, réalisés dans le cadre du diagnostic de ces maladies. Comparer les résultats d’un certain nombre d’analyses et voir des similitudes afin de déterminer surtout quelles informations peuvent bénéficier à l’une et l’autre espèce. Je vais m’intéresser par exemple au séquençage du microbiote des chats : les uns présentent un cancer digestif, les autres une inflammation digestive que l’on compare à un groupe de chats sains. Quand nous effectuons le séquençage, nous nous apercevons que nous avons le même type de séquençage qu’une population d’êtres humains qui présentent une inflammation digestive chronique comme une maladie de Crohn. Il y a des similitudes méconnues qui mériteraient qu’on s’y intéresse. Au lieu de transmettre des maladies à des souris pour essayer de valider certains modèles, nous pourrions juste prendre des animaux que nous avons sous la main, et qui malheureusement présentent les mêmes maladies que les hommes. Les chiens font des cancers du sein, de la thyroïde, des sarcomes que l’on retrouve dans la maladie de l’enfant.

Quels sont vos projets actuels ?

VF.  : Nous commençons une étude sur le cancer de l’estomac du chien avec le CNRS de Rennes. Nous avons aussi un projet avec l’Institut Imagine, sur une étude du cancer de l’estomac de l’homme. Nous allons créer un maillage de collaborations.
Nous souhaitons créer une alliance avec l’Institut Imagine afin de continuer de travailler ensemble, pas seulement dans le domaine de l’oncologie et de la gastro-entérologie. Nous avons créé un congrès : Oncodays. Il aura lieu l’année prochaine à Monaco, « Monaco One Health », afin de développer tous les pans One Health. Notre objectif est de renforcer les passerelles, promouvoir des actions concrètes. Tant que j’exercerai, ce sera mon objectif.

En travaillant encadrée par des médecins, vous êtes vous sentie considérée ?

VF. : À l’Institut Imagine et à l’hôpital Necker, cela a toujours été exceptionnel. Les médecins sont bienveillants, ouverts d’esprit et disponibles. C’est fabuleux ! Le jury de ma thèse aussi. Cela a été un peu plus compliqué à l’École doctorale de Gustave Roussy. Là j’ai eu la sensation que je n’étais pas à ma place. On m’a vraiment fait ressentir une forme de mépris.

Vous êtes à la tête d’un nouveau projet. Pouvez-vous nous en dire plus ?

VF.  : Portée par l’expérience, les difficultés auxquelles j’ai été confrontées, plus les leçons tirées de cette pandémie, je me suis dit un jour : C’est dommage que le « One Health » soit brassé par des personnes extrêmement compétentes chacune dans leur coin. Il y a une difficulté à rendre les choses concrètes. Je voulais résoudre cette équation. J’ai proposé à mon ancien directeur de thèse de créer ensemble une structure qui soit continuellement connectée avec la recherche en médecine humaine, où l’on arrive à promouvoir ces collaborations et cette équation. Nous allons créé un hôpital de novo qui sera tourné vers l’interrogation scientifique des maladies spontanées des animaux, se rapprochant des maladies de l’homme méconnues. La principauté de Monaco s’est imposée comme le lieu idéal. Elle est connue pour ses recherches dans le domaine océanographique.

Cet article est republié à partir du site What’s up Doc. Découvrez What’s up Doc
Interview réalisée par Albane Cousin