Les mobilisations sur les retraites

JIM - Retraites : comment peut-on ne pas se mobiliser ?

Janvier 2020, par Info santé sécu social

(Médecins libéraux)

Paris, le lundi 13 janvier 2020 –

Beaucoup d’analystes ont voulu voir dans la semaine qui vient de s’écouler une étape décisive du conflit autour de la réforme de notre système de retraites.

Outre la présentation du projet de loi et l’annonce d’une suspension de l’âge pivot qui a su satisfaire certains des syndicats (qui ont indiqué néanmoins demeurer vigilants), des discussions plus constructives semblent s’être engagées entre certaines professions libérales et le gouvernement. Ainsi, le Syndicat des médecins libéraux (SML) et la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) ont notamment exprimé leur satisfaction d’avoir été entendu sur plusieurs points, concernant notamment la sanctuarisation des réserves ou le maintien de l’Assurance santé vieillesse (ASV). Cet optimisme est partagé par l’Union nationale pour les professions libérales (UNAPL).

Tous cependant n’ont pas la même lecture des rencontres de la semaine dernière. Au sein du collectif SOS Retraites, qu’elle a contribué à créer, l’Union française pour une médecine libre (UFML) juge qu’aucune garantie n’a été donnée, en se référant notamment au libellé du projet de loi et à l’explication de texte du Premier ministre. Au-delà, l’organisation demeure totalement hostile à toute idée d’étatisation du système de retraites des médecins libéraux et rappelle que les exemples de gestion de l’État vis-à-vis des professions libérales ne sont guère rassurants.

Aussi, dans ce texte, son président, le docteur Jérôme Marty appelle une nouvelle fois à la mobilisation.

Par le docteur Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre

Nous sommes des professions libérales, et ce mode d’exercice est garant de notre indépendance professionnelle, elle-même garante de la protection de nos patients par le maintien de la liberté de soigner et d’être soigné au sein d’une médecine individualisée.

Parce que nos professions ont été exclues du régime général en 1945, elles ont créé leurs caisses de retraites, et construit des régimes autonomes à solidarité professionnelle qui respectent ainsi notre code de déontologie « les médecins se doivent aide dans l’adversité ».

Ce régime autonome a permis de faire face aux conséquences des politiques sanitaires : les médecins ont accepté de cotiser plus et de percevoir moins pour constituer des réserves et tamponner le sabotage de la médecine libérale organisé consciemment ou inconsciemment par les responsables politiques successifs.
Une vigilance précoce

Dès les premières annonces de la réforme des retraites, l’UFMLS s’est mobilisée, et a commandé son analyse à l’économiste Frédéric Bizard. Ce travail précis, technique et argumenté a été dès sa sortie en février 2019 mis à la disposition de l’ensemble des centrales syndicales médicales et paramédicales et nous avons multiplié les invitations pour des réunions communes… Peu ont bougé, nous y reviendrons…

L’UFMLS a contacté le Conseil National du Barreau au mois de juillet 2019 avec lequel elle a co-fondé le collectif SOS-Retraite. La structure n’a depuis cessé de grandir, la FMF et Le Bloc en sont membres, elle compte désormais 17 structures et se fait le relais du terrain face à des représentations "officielles" qui depuis plus de 18 mois ont fait le choix parfois de l’immobilisme, souvent de l’attentisme et toujours du suivisme.

Si l’UFMLS et le collectif SOS-Retraite avaient fait ces mêmes choix, les questions des spécificités de nos professions et de nos régimes auraient elles seulement été abordées ?

Lorsque l’UNAPL, ou des syndicats médicaux représentatifs non membres de SOS Retraites communiquent sur leur non-participation aux mouvements de grève et de manifestations, pour privilégier la "négociation", à qui veulent-ils faire croire que ces dites "négociations" seraient ouvertes s’il n’y avait pas la pression de la rue depuis des mois ?

Quelles que soient les avancées obtenues, celles-ci seront d’abord dues à l’existence de la mobilisation et des actions organisées depuis des mois, tout le reste n’est que communication de responsables au comportement de "Bernard l’Hermite".

L’UFMLS et le collectif SOS-Retraites ne peuvent soutenir des "négociations" qui se déroulent, sans les actuaires de nos caisses complémentaires, pourtant seuls techniciens de ce dossier complexe, et, quoiqu’en disent l’UNAPL, la CSMF ou MG France le gain est nul et l’étatisation de nos régimes de retraites toujours présente.
Un projet de loi loin d’être rassurant
Passons aux éléments factuels :

Personne ne peut dire si le gouvernement a accepté de limiter la part de la retraite universelle autour de 1 PASS, seul moyen de garder nos retraites complémentaires et la RU jusqu’à 3 PASS demeure "emportant" la CARMF et l’indépendance de gestion de nos professions.

Sur la gouvernance : il n’y aura pas de représentation pour chacune des professions libérales mais un siège pour l’ensemble des professions libérales, autant dire que celles-ci seront exclues de la gouvernance du système de retraite.

A l’heure ou j’écris cette chronique, je découvre le projet de loi et la lettre du premier Ministre aux partenaires sociaux.

Dans son article 20 le projet de loi précise : « Entre 1 et 3 PASS (entre 40 000 et 120 000 euros) il est proposé que les travailleurs indépendants cotisent uniquement à hauteur de la part salariale des cotisations. Puisqu’ils cotisent moins, les travailleurs indépendants s’ouvriront moins de droits que les salariés ayant des revenus identiques ».

« En tant qu’ils doivent participer équitablement au financement du système de retraite, les travailleurs indépendants s’acquitteront de surcroit de la totalité de la cotisation déplafonnée qui sera due sur l’ensemble des revenus d’activités ».

S’agissant des réserves, dans son article 21 il est précisé : « Les caisses de professions libérales auront vocation à être parties prenantes de cette transition via la définition de plans de convergence vers le système universel. Ces plans de convergence détermineront les évolutions nécessaires sur les taux, seuils et plafonds applicables aux barèmes actuels de cotisations des professions libérales pour atteindre le barème cible de cotisations, tout en tenant compte du changement d’assiettes des prélèvements sociaux. Ils détermineront aussi des leviers qui seront à la disposition des caisses pour accompagner cette transition, et notamment l’utilisation des réserves qui ont été constituées par ces caisses. Pour les professions les plus éloignées de l’application de ce barème, cette transition devra être réalisée au plus tard dans un délai de 15 ans ».

Tout est écrit : nos taux de rendements (pensions) seront diminués, et nos réserves spoliées pour abonder la transition vers le nouveau régime. Nos caisses autonomes seront en faillite dans les 10 ans, et l’état deviendra seul responsable de nos capacités contributives et de la hauteur de nos niveaux de retraites !
Des précédents plus que fâcheux
Tout ce qu’annonce l’UFMLS depuis 18 mois se réalise !

De plus, le gouvernement a la liberté de modifier nombre de points de la loi par ordonnance, et la hauteur du point, nous le savons tous, variera au grès des nécessités économiques du pays.

Pour s’en persuader, il n’est qu’à regarder les règles de fonctionnement de l’ONDAM en lien avec la loi de financement de la sécurité sociale qui encadre nos tarifs en lien avec l’état économique du pays.

C’est donc bien l’état qui aujourd’hui encadre nos évolutions tarifaires qui demain déterminera la hauteur du point et de nos retraites.

La lettre du Premier Ministre aux partenaires sociaux tend à laisser imaginer un tableau plus noir encore. En effet, dans son point 6, celui-ci écrit : « La conférence sur l’équilibre et le financement des retraites remettra ses conclusions d’ici la fin du mois d’avril 2020, afin qu’elles puissent être prises en compte avant le vote du projet de loi en seconde lecture. A l’été 2020, lors de la publication de la loi, les Français auront ainsi une vision complète de la réforme et de ses effets ».

Passons sur l’absurdité d’un parlement qui discutera donc du projet de loi en première lecture sans aucun élément financier, pour souligner avec gravité la possibilité d’un alourdissement des conséquences pour nos professions dont le poids dans la conférence de financement sera aussi important que celui de leur part dans la gouvernance du système.

Dans le point 7 de sa lettre, le Premier Ministre écrit : « Le gouvernement modifiera le projet de loi pour demander au Parlement une habilitation large lui permettant de prendre par ordonnance toute mesure permettant d’assurer l’équilibre du système de retraite à l’horizon 2027 ».

Fermez le ban, nous sommes bien dans une étatisation totale et nos professions deviennent traitées comme autant de salariés ou de fonctionnaires sans aucun de leurs avantages et soumises comme eux, aux bon vouloir et à l’appréciation des responsables politiques en charge des intérêts du pays.

Nous sommes pourtant des professions indépendantes et cette indépendance est au centre de nos exercices.

Cette loi, jusqu’alors mal pensée, mal conçue, non aboutie, est dangereuse pour la médecine de France.

Les gouvernements successifs se sont montrés incapables de gérer la santé de notre pays, et chaque amplification de la mainmise de l’État s’est traduite par une accélération de l’effondrement de notre système sanitaire.

La situation de l’hôpital public, des urgences, de la médecine de ville nous le rappelle tous les jours.

Il n’est pas une profession du soin qui n’ait eu à subir gravement les conséquences désastreuses des politiques sanitaires.

C’est pourtant ce même État qui prétend aujourd’hui à la gestion de nos retraites, parce que nous savons tous la catastrophe qui s’annonce, nous avons la responsabilité de nous y opposer, fermement, et entièrement. Il n’y a pas d’aménagement possible face à l’étatisation.

Soit les professions libérales et en particulier médicales, se lèvent et font face comme le leur demandent l’UFMLS et le collectif SOS Retraites et elles garderont leur solidarité professionnelle et leur indépendance, soient elles restent silencieuses et les pseudos négociations continueront avec pour seule victoire un gain possible sur le poids de leurs chaines.