Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

JIM - Soignants : ceux qui croyaient aux vaccins et ceux qui n’y croyaient pas

Septembre 2021, par Info santé sécu social

Paris, le samedi 18 septembre 2021

Les opposants à la vaccination obligatoire des soignants avaient voulu prédire une situation catastrophique à partir du mercredi 15 septembre dans les hôpitaux et les établissements hébergeant des personnes âgées (EHPAD). Il n’en fut rien : les suspensions ont été limitées et de nombreuses unités de soins et de structures ont pu fièrement afficher une couverture vaccinale frôlant les 100 %.

Damoclès
Cependant, les semaines qui viennent de s’écouler ont été marquées dans de nombreux établissements par une exacerbation des conflits autour de l’obligation vaccinale. Alors que dans les premières heures, la confrontation a d’abord porté sur un terrain scientifique, elle a glissé peu à peu sur celui de la responsabilité. Certains soignants vaccinés contre la Covid ont ressenti comme une trahison la future désertion de leur poste par leurs collègues. Aujourd’hui, de longues semaines vont sans doute être nécessaires pour resouder les liens entre ceux qui ont été vaccinés dès que cela leur a été possible et ceux qui ont fait planer, jusqu’à la dernière minute, sur le fonctionnement de l’hôpital une épée de Damoclès.

Déchirement
Et il y a ceux, rares, qui ont choisi de raccrocher la blouse. Une poignée témoignait sur Twitter cette semaine derrière le mot clé « Dernier jour ». Des médecins, des pharmaciens, des infirmiers évoquant la fin de carrières, parfois longues de plusieurs décennies. Si les « soignants vaccinés » ont voulu rétorquer à l’aide d’un mot clé parallèle qu’ils étaient bien plus nombreux non seulement à avoir eu confiance dans la vaccination mais aussi à avoir voulu se donner toutes les chances de protéger leurs patients, ces récits de ceux qui ont fermé leur cabinet ou quitté l’hôpital étaient inévitablement marquants. Alors que demeure forte l’image de métiers qui répondent à une vocation souvent nourrie dans l’enfance, de métiers passions qui engagent ceux qui les exercent parfois au-delà du champ professionnel, le fait de constater que certains se résignent à renoncer à ce qui constitue une part d’eux-mêmes pour « échapper » à une vaccination, même sous l’effet de la peur, de rejets politiques ou de fausses informations, interpelle nécessairement. « C’est bizarre à dire, mais je les aime ces vieux. Ce travail je l’ai dans le ventre », commente par exemple tristement dans les colonnes de Libération une aide-soignante qui à quelques heures du 15 septembre refusait encore la vaccination.

Bon débarras !
Dans les commentaires qui suivent les annonces de ceux qui déplaquent ou démissionnent à regret, on trouve beaucoup de messages de soutien, parfois de patients, qui louent une qualité d’écoute. Mais d’autres messages sont bien plus mordants : « C’est un soulagement pour la science et une chance pour vos (ex) patients » peut-on lire par exemple sous le message d’une femme médecin généraliste annonçant son « dernier jour » après 35 ans de pratique. Les condamnations vis-à-vis des soignants non vaccinés ont en effet pu être sans appel. Alors que cet été le Pr Gilbert Deray avait estimé interrogé par Radio Classique que les anti vaccins étaient des « criminels », cette semaine, le professeur Karine Lacombe analysait « Dans le soin, l’intérêt est collectif. Quand on s’engage dans le soin, on pense aux autres. Et penser aux autres, c’est faire en sorte d’être vacciné, protégé pour ne pas se contaminer et pour ne pas non plus contaminer les autres. C’est une démarche qui est altruiste. On ne veut pas se faire vacciner, on change de métier, on se met en disponibilité ». En filigrane, derrière ce type d’observations, qu’elles émanent d’utilisateurs anonymes sur Twitter ou de médecins fortement médiatisés, est suggérée l’idée que ces personnes n’avaient pas leur place dans le corps médical et donc que leur éviction, au-delà des problèmes pratiques qu’elle peut entraîner, ne doit pas nécessairement être considérée comme un dommage. On retrouve clairement énoncée cette idée dans le texte publié par un collectif de professionnels de santé dans le Quotidien du médecin cette semaine. Ce texte est né de l’indignation de nombreux praticiens face aux images d’autres soignants brulant leur blouse ou leur diplôme dans les manifestations contre le passe sanitaire ou l’obligation vaccinale. « Ces images de personnes se réclamant comme des professionnels de santé qui brûlent leurs diplômes pour protester contre la vaccination obligatoire et le passe sanitaire ont soulevé, chez beaucoup de professionnels impliqués dans cette terrible lutte contre la Covid, un sentiment de honte. Plus encore, ce geste est ressenti comme une trahison, un clivage profond sur le plan de l’éthique, de la déontologie et de l’humanisme au sein de la communauté des soignants. Quant aux patients, aux familles et autres aidants, c’est aussi bien une incompréhension totale qu’une révolte complète pour toutes celles et tous ceux qui ont contracté cette maladie dans un établissement de soins. (…) « En premier, ne pas nuire ». En vertu de ce principe fondamental, il n’est pas tolérable, quand on s’occupe de personnes en situation de vulnérabilité, de les mettre, par sa pratique professionnelle, en situation de danger. Or, le refus de se vacciner contre une maladie aussi contagieuse est en flagrante contradiction avec ce principe fondateur des soins depuis l’antiquité. (…) A l’heure où les soignants les plus méritants sont justement applaudis pour leurs efforts par la société tout entière, alors même que beaucoup font leurs métiers, nonobstant l’absence de considération et leurs médiocres conditions salariales, il faut que les familles, les aidants, et les autres acteurs de santé voient partir avec soulagement ceux qui brûlent leurs diplômes vers d’autres destinations professionnelles », écrivent-ils.
Des gens responsables et dévoués quel que soit le statut vaccinal
Ainsi, un soignant qui rejette la vaccination serait nécessairement un mauvais soignant. Des avis plus nuancés peuvent cependant être exprimés. D’abord, tout au long des semaines écoulées, on a vu de nombreux médecins montrer comment ils étaient parvenus dans leur service à faire fondre les réticences et les peurs de leurs confrères et collègues grâce à la pédagogie. Le Dr Gérald Kierzeck lui-même vacciné et qui a souvent signalé l’efficacité de la vaccination sur les formes graves (mais dont les discours relativisant la gravité de l’épidémie ont souvent été épinglés sur la toile) s’irrite pour sa part de la « stigmatisation » des personnels non vaccinés : « La seule logique est celle de l’exemplarité mais je ne tolère pas que les soignants au sens large, applaudis au printemps 2020 soient maintenant pointés du doigt et stigmatisés. Les soignants sont des gens responsables et dévoués et ne pas être vacciné n’est pas un acte criminel ! Sur le fond, le vaccin n’empêche pas d’être contaminé et contaminant ; il ne dispense pas des gestes barrières que nous appliquons tous au quotidien et cela bien avant le Covid d’ailleurs. Les clusters hospitaliers peuvent être évités non pas par la vaccination mais par un dépistage précoce, systématique et régulier dans les établissements (tests rapides, pooling salivaire...). Il faut aussi s’interroger sur la forme et sur les motivations de ces soignants qui refusent la vaccination. Donner ou déposer ses informations médicales de vaccination dans un portail administratif de déclaration est inadmissible sur un plan déontologique ; où est le secret médical ? Cela prouve aussi que le dialogue est rompu à l’hôpital (ou dans le système de santé d’ailleurs) entre le « management » et les acteurs du soin, entre ceux qui décident et ceux qui font. On peut véritablement parler de maltraitance institutionnelle et de harcèlement maintenant, entraînant un cercle vicieux de démissions, départs et manque de personnels préjudiciables à tous et ayant aggravé pour ne pas dire causé la crise sanitaire », s’indigne-t-il.

Lutte des classes

La « rupture » de ce dialogue évoqué par Gérald Kierzeck pourrait n’être qu’un nouveau symptôme des conflits de classe qui de tout temps ont existé à l’hôpital. Si juste avant l’épidémie, les actions du collectif Inter-Urgences avaient semblé offrir une forme d’apaisement à ces scissions historiques avec une prise de position de médecins en faveur de leurs collègues paramédicaux, la crise a comme gelé ces rapprochements. C’est ce qu’analyse le sociologue Frédéric Pierru (CNRS) spécialiste du champ médical cité par Libération, évoquant les rapports entre personnels médicaux et paramédicaux : « On parle de domination professionnelle mais pas que. Le recrutement bourgeois de la profession médicale amène à une hiérarchie sociale : des classes aisées qui donnent des ordres aux classes moyennes et populaires ». Or, relève-t-il concernant le refus de la vaccination « Plus vous descendez dans l’échelle, plus les réticences sont fortes (…) il peut y avoir un message : nous les aides-soignants et infirmiers, nous ne sommes pas aux ordres des médecins ».

Sens sacrificiel de la vocation de soignant
Si l’on écarte la question de la désinformation et au-delà de l’influence certaine des considérations de classes et politiques, au-delà de la volonté de certains d’affirmer leur liberté ou leur refus d’être considérés comme incapables de protéger leurs patients, ce sont probablement deux conceptions différentes de la profession de « soignant » qui s’affrontent. La première, portée par les défenseurs sans nuance de l’obligation vaccinale (qui pour la première fois puisqu’il n’y a jamais eu d’obligation vaccinale des soignants contre la grippe n’est pas seulement destinée à protéger le soignant mais aussi, voire surtout, à protéger les patients) concerne probablement une certaine idée de la vocation. Au nom de cette dernière, des « sacrifices », surtout aussi infimes (et bénéfiques pour soi !) que celui de se faire vacciner, doivent nécessairement être consentis. C’est oublier que pour une partie des soignants, quoi qu’en dise l’image d’Epinal, enfiler la blouse est l’aboutissement de choix pragmatiques dans un pays où le monde médical est un de celui qui offre la plus grande certitude de trouver un emploi. Que soigner peut être considéré comme une activité professionnelle comme une autre, que l’on accepte de faire, et de faire bien, mais sans pourtant renoncer à ses propres convictions. Tout le monde n’embrasse pas une carrière médicale ou paramédicale comme un sacerdoce.

Le soin n’est pas une science

L’autre écart majeur est le lien établi entre la science et le soin. Pour les premiers, il est absolu : la médecine doit d’abord être dictée par la science et c’est à ce titre que toute mise en doute du bien-fondé de la vaccination est appréhendée comme quasiment antinomique avec le fait de soigner. Pourtant, outre quelques « complotistes », chez ceux qui refusent la vaccination obligatoire contre la Covid, il y a l’idée que le soin n’est pas d’abord un processus qui découle de preuves scientifiques. Ils mettent en avant qu’il y a d’autres façons de « prendre soin » et de « protéger » que de recourir à des techniques extérieures. Bien sûr, beaucoup assurent que cet écart résulte d’un défaut de culture et de formation scientifique de certains soignants. Pourtant, il n’est pas sûr que la connaissance permette systématiquement de faire évoluer la position de certains sur cette façon de concevoir le « soin ». En tout état de cause, on peut noter combien une fois encore la crise sanitaire a entraîné une cristallisation des scissions qui ont toujours existé mais qui pourtant n’empêchaient pas le travail en bonne intelligence, scissions probablement exacerbées par des considérations politiques et par les réseaux sociaux.