Les professionnels de santé

JIM - Une manifestation historique…pour rien ?

Février 2023, par Info santé sécu social

Paris, le mercredi 15 février 2023

La grande manifestation des médecins libéraux de ce mardi n’a pas fait reculer le Sénat, qui a adopté la loi Rist en première lecture.

« Médecins, pas larbins ! », « à vos Rist et péril », « infirmiers et médecins épuisés, la loi Rist va nous achever ! » : des milliers de médecins ont manifesté ce mardi dans les rues de Paris, entre la place Vauban et la place du Panthéon, pour exprimer leur colère contre les récentes orientations choisies par le gouvernement pour la médecine de ville. Entre 4 500 (selon la police) et 10 000 (selon les organisateurs) ont participé à cette manifestation historique, répondant à l’appel de tous les syndicats représentatifs de la médecine de ville (MG France, CSMF, FMF, UFML, SML, Avenir Spé) mais également des collectifs Médecins pour demain, Jeunes Médecins et Reagjir, de l’Ordre des Médecins, de SOS Médecins et de divers syndicats d’internes (Isni, Isnar-IMG) et d’hospitaliers (APH, Amuf).

Non substituables
Si une poignée de médecins hospitaliers s’est glissée dans le cortège, le gros des troupes était bien sûr constitué de praticiens de ville. Au-delà des revendications habituelles de la profession (hausse des tarifs, défense de la liberté d’installation, recul du temps administratif…), les participants à la manifestation, jeunes comme moins jeunes, expriment tous une réelle inquiétude quant à l’avenir de la profession.

« On fait de nous des médecins substituables, on nous enlève tout le plaisir de ce beau métier, ça nous fait du mal » explique un généraliste venu du Val-de-Marne pour manifester. « Franchement, je ne sais pas où je serais dans deux ans », avoue une jeune généraliste venue du Loiret, qui déplore une « dégradation des conditions d’exercice » et le « mépris de la CNAM ». « Ils font tous pour nous dégouter, jamais je ne m’installerais à ces conditions, ce n’est plus de la médecine libérale, c’est du salariat déguisé », s’emporte une généraliste remplaçante à Lyon.

Le Sénat adopte une loi Rist fortement amendée
Le principal mot d’ordre de la manifestation est bien sûr le rejet de la proposition de loi Rist, adoptée à l’unanimité en première lecture par l’Assemblée Nationale le 19 janvier dernier et qui prévoit de permettre l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA), aux kinésithérapeutes et aux orthophonistes et qui ouvre le droit à la primo-prescription aux IPA. « Après avoir réduit drastiquement le nombre de médecins, le gouvernement veut régler le problème en trois mois en inventant une recette miracle : coercition et dérégulation » lance au micro le Dr Agnès Giannoti, présidente de MG France, particulièrement impliquée dans le combat contre la loi Rist.

La manifestation de ce mardi coïncidait avec l’examen en première lecture par le Sénat de cette proposition de loi très décriée. Et sans surprise (mais sans grand enthousiasme), les sénateurs ont adopté le texte, par 199 voix pour et 14 contre. « Ne nous berçons pas de chimères, ce texte oppose à un problème structurel des réponses parcellaires et ne permettra pas de résoudre les graves difficultés auxquels certains de nos concitoyens sont confrontés » a mis en garde la rapporteure du texte, la sénatrice LR Corinne Imbert.

Les sénateurs ont entendu certaines des inquiétudes des médecins et ont donc fortement amendé le texte voté par les députés. L’accès direct aux paramédicaux et la primo-prescription pour les IPA ont ainsi été fortement encadrés, en s’assurant qu’ils ne seront possibles que dans le cadre d’un exercice coordonné par un médecin. Les sénateurs ont également effacé toute référence à un « engagement territorial » ou à une « responsabilité collective » des médecins, très mal perçu par ses derniers. Contre l’avis du gouvernement, la chambre haute a également adopté un amendement permettant de sanctionner les patients qui n’honorent pas leur rendez-vous médicaux sans raison valable. Une commission mixte paritaire va désormais être réuni pour parvenir à un texte commun entre les deux chambres.

L’Ordre des infirmiers salue le vote de la loi Rist
Appelé ce mardi matin à commenter la manifestation des médecins sur les antennes de Franceinfo, le ministre de la Santé François Braun a dit « comprendre l’inquiétude des médecins » vis-à-vis de la loi Rist « mais pas leur hostilité » alors que cette loi a selon lui le mérite de « redonner plus de temps de soins aux médecins ».

S’il dit « reconnaitre le rôle central du médecin traitant », il rappelle qu’il est « avant tout le ministre des Français, mon objectif est que leurs besoins de santé soient couverts ». L’ancien urgentiste a également défendu la proposition de la CNAM d’augmenter de 1,50 euros le tarif de la consultation, une hausse « loin d’être une marque de mépris » selon lui et qui pourra augmenter au cours des négociations conventionnelles (« 30 euros ce n’est pas absurde » a-t-il commenté), à condition que les médecins s’engagent à « couvrir les besoins de la population » a-t-il précisé.

Finalement, les grands gagnants de cette journée de manifestation de mardi ne sont ni les médecins, ni le gouvernement mais sans doute les infirmières, qui attendent depuis plusieurs années que l’on leur confie de nouvelles tâches et qu’on reconnaisse leurs compétences. Après l’annonce du vote par le Sénat, l’Ordre national des infirmiers (ONI) a salué « un premier pas vers la réforme nécessaire du système de santé au bénéfice des patients, en renforçant le rôle des IPA et en ouvrant la porte de l’évolution de l’ensemble de la profession infirmière ».

Quentin Haroche