Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

JIM - Une partie de la communauté médicale prend ses distances avec les Cassandres

Mars 2021, par Info santé sécu social

Paris, le mardi 30 mars 2021

Plusieurs journaux se sont plu ces dernières semaines (et encore aujourd’hui Le Monde) à décrire le Président de la République en apprenti « épidémiologiste » ayant choisi depuis le début de l’année de décrypter lui-même les différents travaux publiés sur la Covid plutôt que se fier uniquement aux analyses du Conseil scientifique (après avoir notamment constaté, comme beaucoup d’autres, un écart important entre certaines projections qui ont pu lui être présentées et la réalité). Cette attitude forcerait l’admiration de ses apôtres de toujours et ne manquerait pas d’agacer a contrario un certain nombre de praticiens.

Une méthode contre-productive
Ce ne sont cependant pas les dissensions qui se font jour actuellement au sein de la communauté médicale (et qui sont le reflet de lignes divergentes depuis le début de l’épidémie) qui pourraient cependant le faire douter de la pertinence de ses velléités d’indépendance (si tenté qu’Emmanuel Macron soit adepte du doute). On observe en effet ces dernières heures une prise de distance certaine avec les discours catastrophistes qui ont été entendus ce week-end. Les mots des auteurs de la tribune publiée ce week-end dans le Monde (huit spécialistes d’anesthésie-réanimation) étaient sans nuance. « La situation actuelle tend vers une priorisation, autrement appelée « tri », qui consiste, lorsqu’il ne reste qu’un seul lit de réanimation disponible mais que deux patients peuvent en bénéficier, à décider lequel sera admis (et survivra peut-être) et lequel ne sera pas admis (et mourra assez probablement). C’est bien vers cela que nous nous dirigeons » écrivent-ils, en accusant tout aussi clairement le gouvernement d’être responsable de cet état de fait. Cette présentation a cependant été regrettée par la Fédération hospitalière de France (FHF). Si la FHF pourrait être en accord avec les signataires de ce texte quant à l’urgence d’adopter des mesures plus strictes (son président, Frédéric Valletoux s’est ainsi exprimé dans ce sens la semaine dernière), elle récuse « la véhémence » du propos qui « est de nature à inquiéter les malades et leurs familles ». Le responsable de la FHF Ile-de-France Serge Blisko déplore également une « tribune qui affole et n’est utile, ni pour les soignants et ne peut que nuire à la relation de confiance entre la population et les hôpitaux… ». Le président de la Société de réanimation de langue française à l’hôpital Saint-Antoine, Eric Maury, cité par le Parisien partage le même malaise face à la teneur du message : « Je ne crois pas que ce soit très judicieux », commente-t-il.

Un plateau haut, mais pas de catastrophe ni de tri

Ce n’est pas uniquement sur la forme que certains praticiens émettent des réserves, mais également sur le fond. Président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), Patrick Pelloux rappelle tout d’abord ce que signifient les chiffres qui sont aujourd’hui répétés pour signaler notamment que le pic de patients admis en réanimation de novembre a été dépassé. Ainsi, sur les près de 5000 personnes qui sont prises en charge en soins intensifs : « seuls 25 % sont en réanimation, avec intubation et respirateur. Tous les autres sont dans des unités de soins continus qui dépendent des réanimateurs, mais ce ne sont pas des réanimations » signale-t-il. Celui qui s’est fait connaître pour avoir dénoncé il y a près de vingt ans la saturation des hôpitaux pendant la canicule de 2003 relève en outre. « On est sur un plateau haut, notre activité est constante avec une petite augmentation mais, en gros, on y arrive (…). Il y aura toujours un médecin au pied du malade. Il n’y aura pas d’abandon ». Le docteur Martin Blachier notait pour sa part hier sur LCI que le rythme de l’augmentation constaté aujourd’hui n’a rien de comparable à celui du printemps dernier. Eric Maury assure encore : « On n’en est pas encore au tri » et signale que la situation est « hétérogène ».

Et si les accusateurs étaient en partie coupables ?
De son côté le porte-parole de l’AMUF, le docteur Christophe Prudhomme qui refuse de considérer la situation comme « catastrophique » insiste néanmoins : « Oui, la situation est tendue et on augmente le nombre de lits au fil de l’eau. Mais on manque surtout de personnel. S’ils avaient doublé le nombre d’internes formés en réanimation, si on avait ouvert ces postes à des jeunes en novembre, comme on l’avait demandé, ça irait mieux », s’emporte-t-il. « Ils » ce ne sont pas les pouvoirs publics, mais les rédacteurs de la tribune publiée dans le Journal du Dimanche, les quarante-neuf directeurs médicaux de crise de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris (AP-HP). Christophe Prudhomme considère en effet qu’ils sont en partie responsables d’un défaut d’anticipation, qui un an après le début de la crise, conduit une fois encore la France au bord de la paralyse par une sous-dimension de ses capacités en réanimation. De façon plus directe encore sur le site Sputnik France (lié au gouvernement russe), il pointe du doigt « le directeur médical de crise [de l’AP-HP]. C’est lui qui, au mois de mai, a refusé de maintenir ouverts les lits que nous avions mis en place avec le personnel formé durant la première vague ». Dans Le Figaro, il y a quelques jours, il faisait une analyse comparable : « Les « enfermistes » et le gouvernement agitent le chiffon rouge du confinement pour ne pas avoir à évoquer les problèmes de l’hôpital et des lits, pour lesquels, ils ont une part de responsabilité. En brandissant cette menace, ils évacuent les questions sensibles. Il y a une technostructure médico-administrative au sein de laquelle vous avez notamment Martin Hirsch, le directeur général de l’assistance publique et Bruno Riou, directeur médical de crise, qui sont en faveur d’un confinement et qui font de la politique ». Il analysait encore ciblant également le gouvernement : « Moins de 1200 lits de réanimation en Île-de-France pour l’une des premières métropoles mondiales et 12 millions d’habitants…Il y a un problème. Problème soulevé l’année dernière. La situation n’était donc pas imprévisible. Par exemple l’Allemagne a 2,5 fois plus de lits que la France, depuis 2003. Nous sommes face à un gouvernement qui a une posture idéologique. Aujourd’hui, l’hôpital n’arrive pas à répondre à une crise qui est sévère mais qui n’a rien de catastrophique. L’année dernière au niveau mondial, la mortalité concernant le Covid était à peu près de deux millions de personnes. C’est ce qui est provoqué par la tuberculose et le paludisme réunis, chaque année dans le monde. Il ne s’agit pas de minorer les choses mais on nous oriente vers des discussions qui ne sont pas les bonnes. Nous payons aujourd’hui, la non-action des gouvernements successifs. C’est 60 000 lits en moins à l’hôpital depuis la période de Roseline Bachelot au ministère de la santé ! ».

Le confinement est-il encore utile aujourd’hui ?
Si bien sûr il est peu probable que cette argumentation (dont certains remarqueront que pour pertinente qu’elle soit, elle pourrait être inadaptée à « l’urgence ») retiendra l’intérêt d’Emmanuel Macron, il se montrera peut-être plus sensible à d’autres arguments de l’urgentiste, également soutenus par d’autres professionnels, concernant les doutes quant à l’efficacité d’un confinement à la française. « Il n’y a que deux stratégies de confinement qui ont réellement fait preuve de leur efficacité : les stratégies chinoises et sud coréennes. Confiner, tester isoler de manière assez brutale et dès qu’il y a une zone confrontée au virus, tester tout le monde et isoler de manière stricte les sujets. L’autre (stratégie) est réalisable sur les îles, comme ce fut le cas, par exemple, avec la Nouvelle-Zélande ou la Nouvelle-Calédonie. Vous pouvez bloquer toutes les entrées et isoler les personnes contaminées, ce qui permet de casser la propagation de l’épidémie. En France, ou le virus circule activement et avec de nombreux variants, aucune étude n’a montré que le confinement ou le couvre-feu avait une réelle efficacité contre la propagation du virus. Ce qui est important c’est le respect des gestes barrières et surtout dans les lieux clos, à l’intérieur. (…) Il vaut mieux insister sur la protection en milieu fermé, aux niveaux familial et amical. Il n’y a jamais de solutions absolues, il faut toujours mesurer le rapport bénéfices/risques. Lorsqu’ils disent vouloir confiner, comment veulent-ils confiner ? La méthode chinoise avec le taux de circulation du virus n’est plus valide » observe le docteur Christophe Prudhomme, semblant donc en partie rejoindre les mesures actuelles de « freinage ».

La résistance d’Emmanuel Macron à son propre gouvernement

C’est très probablement en partie parce qu’il est nourri de ces analyses ambivalentes sur le confinement qu’Emmanuel Macron continue à hésiter et à résister face à la pression d’une partie de son gouvernement, le Premier ministre et le ministre de la Santé en tête. Le chef de l’Etat serait également encore convaincu que des marges de manœuvre demeurent dans l’hospitalisation privée (ce que récuse Christophe Prudhomme) qui ne serait dans les faits activement sollicitée que depuis quelques jours. Enfin, encore et toujours, c’est le caractère antinomique d’une décision de confinement alors qu’existe la vaccination, qui retiendrait le chef de l’Etat et ce d’autant plus que les effets de la vaccination se font sentir en France, avec une mortalité en nette diminution par rapport au début de l’année (donnée rassurante qui n’est que rarement analysée).

Les bénéfices de la vaccination bientôt balayés par la troisième vague ? Mais ces chiffres encourageants pourraient être rapidement remis en question par la flambée épidémique actuelle assurent certains spécialistes. « Je peux le dire sans être grand clerc, dans deux semaines, on aura 600 morts par jour » assure ainsi le professeur Jean-François Timsit (hôpital Bichat) dans les colonnes de Libération. La saturation des hôpitaux ne serait pas étrangère à cette hausse de la mortalité pour le praticien : « La vraie difficulté, c’est qu’on devra faire au mieux avec les moyens du bord, du matériel pas toujours adapté et surtout des soignants épuisés, insuffisamment nombreux et déprimés face au peu de soutien de la société. En clair, on va devoir pratiquer de la médecine dégradée, ça donne envie de pleurer ». Cette analyse fait écho aux modélisations qui viennent d’être publiées par l’AP-HP. Un confinement dès le 1er avril (permettant en outre d’assurer que les lits de traumatologie seront plus facilement mobilisables) pourrait être associée en Ile de France à un pic de 3 470 le 22 avril en réanimation (contre 2 877 le 8 avril 2020). Une semaine d’hésitation supplémentaire pourrait conduire à 4 466 patients en réanimation le 29 avril (pour 1 200 lits avant la crise !). Quelles que soient les dispositions qui seront prises et leur efficacité et les marges d’incertitude qui existent (par exemple sur le niveau de contamination des prochains jours), le professeur Bruno Megarbane (Saint-Antoine) sur BFM-TV refuse lui-aussi que des messages apocalyptiques soient envoyés aux populations. « On sait que la situation d’aujourd’hui correspond aux contaminations d’il y a 15 jours. Et on sait que dans les 15 jours qui ont suivi il y a eu une augmentation des contaminations donc nous nous attendons à une augmentation des admissions à l’hôpital sur les 15 jours. Les projections laissent penser que dans trois semaines nous doublerons le nombre de patients. Nous l’avons déjà fait en mars-avril, si on doit le refaire nous le referons. Évidemment nous avons besoin de renforcement de moyens mais nous nous débrouillerons. Il n’y a pas de raison d’abandonner » conclut-il.

Aurélie Haroche