Afrique

Journal International de Médecine - La confiance : une arme contre la peste !

Novembre 2017, par Info santé sécu social

Interview à Madagascar du Dr Jagatic de MSF

Paris, le lundi 13 novembre 2017 - Une épidémie de peste sévit actuellement sur l’île de Madagascar. Pour comprendre comment l’on prend en charge une telle catastrophe sanitaire anachronique, le Journal international de médecine, qui a rarement aussi bien porté son nom, s’est entretenu avec le Dr Tomislav Jagatic qui participe, au côté de son équipe de Médecins sans frontières (MSF), à la lutte contre Yersinia pestis sur l’île.

JIM.fr : Où en est actuellement l’épidémie de peste à Madagascar ?

Dr Tomislav Jagatic : Plus de 1800 cas ont été dénombrés au dernier relevé avec une réduction de la fréquence depuis le lundi 6 novembre. Plus de 60 % des formes sont pulmonaires. Cette forme pulmonaire à début brutal s’accompagne d’une fièvre très élevée, d’une toux et d’une dyspnée majeure avec une mortalité de presque 90 % sans traitement.

JIM.fr : Quelle particularité de cette épidémie par rapport aux précédentes ?

Dr Tomislav Jagatic : Ce qui est très important pour comprendre l’évolution de la peste, c’est qu’au départ, il y atoujours un cas bubonique. Ici il y a des zones d’endémie, dans les hauts plateaux par exemple. Le cas index était originaire de cette région, une puce l’a piqué, il a commencé à avoir des symptômes de peste bubonique avec fièvre et inflammation d’un ganglion lymphatique près de la piqure. Au bout de quatre à cinq jours il a évolué en une forme pulmonaire. Le 21 août, ce cas index, a transmis la maladie au cours d’une crise de toux dans un autobus. La particularité de cette épidémie est le pourcentage important de cas pulmonaire.

JIM.fr : Quelles mesures sanitaires ont été mises en place pour limiter l’épidémie en particulier dans les ports et les aéroports ?

Dr Tomislav Jagatic : Au-delà des mesures classiques de santé publique qui ont été prises dans les ports et les aéroports, dans notre équipe, la personne la plus importante, à mon avis, est le HP (Health Promotor ou promoteur de santé). Ce professionnel est chargé d’entrer en contact avec la population, notamment pour démentir les rumeurs, comme celles qui veulent que la peste n’existe pas ou que la peste est causée par le gouvernement.

JIM.fr : Y a-t-il des réticences de la population à la prise en charge comme on l’a connu avec Ebola ?

Dr Tomislav Jagatic : Il y a vraiment une différence entre Ebola et la peste du fait que nous avons un traitement simple. Il s’agit d’un antibiotique connu, la doxycycline, qui permet de ramener le taux de mortalité entre 5 et 8 %. Le problème est surtout de prendre les patients vraiment au début de l’infection. Certains malades refusent d’être isolés, nous acceptons alors de les laisser partir avec un traitement adéquat. Ce n’est pas très bon pour l’épidémie, mais c’est capital pour gagner la confiance de la population. Et la confiance est un des moyens de stopper la propagation de la maladie. Donner l’impression que l’on enferme les patients, surtout quand certains pensent que la peste n’existe pas, est plus dangereux que de les laisser choisir d’être isolé ou non.

JIM.fr : Est-ce que des membre de votre équipe ont été atteints ?

Dr Tomislav Jagatic : Non. Ce n’est pas trop compliqué pour nous d’éviter les contaminations. Moi, par exemple, chaque jour j’ai beaucoup de contact avec les malades, mais avec un masque approprié on évite tous risques de contamination, de plus nous suivons tous une chimioprophylaxie dont l’efficacité approche les 100 %. On prescrit également, à tous les contacts des malades, de la doxycycline qui permet d’éviter les transmissions.

JIM.fr : Dans quelle mesure l’expérience d’Ebola a été utile à la prise en charge de cette épidémie de peste ?

Dr Tomislav Jagatic : L’expérience d’Ebola nous a permis d’améliorer le fonctionnement de nos centres de traitements et de disposer de meilleurs équipements de protection.

Propos recueillis par Frédéric Haroche