L’Anticapitaliste Hebdo du NPA

L’Anticapitaliste hebdo Meurtre de Sarah Halimi : un acte « fou » ET antisémite

Mai 2021, par infosecusanté

L’Anticapitaliste hebdo Meurtre de Sarah Halimi : un acte « fou » ET antisémite

Hebdo L’Anticapitaliste - 567 (06/05/2021)

Jean-Claude Laumonier

En avril 2017, Kobili Traoré s’est introduit dans l’appartement de Sarah Halimi, sa voisine, l’a défenestrée après l’avoir battue, au cri de « Allahou Akbar ». L’irresponsabilité pénale, prononcée par le tribunal, a été confirmée en appel, puis en cassation, en application de l’article 122-1 du code pénal selon lequel « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».

Le 25 avril, à l’appel d’institutions juives, des milliers de personnes ont manifesté dans toute la France pour protester contre la confirmation par le Conseil d’État de l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi. Des manifestations ont également eu lieu en Israël et dans plusieurs autres pays.

En plein virage sécuritaire, en vue de la présidentielle de 2022, Macron réchauffe les vieilles recettes de Sarkozy. L’émotion suscitée par cet événement dramatique devient l’occasion pour lui de faire voter en urgence une nouvelle loi. Il a demandé au Garde des Sceaux la rédaction immédiate d’un projet de loi sur la responsabilité pénale qui doit être présenté avant la fin mai en Conseil des ministres. L’ironie de cette affaire est que le texte trop « laxiste » qui doit être « corrigé », provient.... de Sarkozy lui-même, suite à l’assassinat par un patient de deux soignantes à Pau. Belle illustration de la logique sécuritaire qui puise une justification sans cesse renouvelée dans son propre échec. L’impuissance des politiques sécuritaires à éviter les drames qu’elle prétendent faire cesser justifient de nouvelles mesures liberticides qui, échouant à leur tour, serviront de prétexte à un nouveau « tour de vis ».
Un acte « fou » ET antisémite
Dans le cas de l’assassinat de Sarah Halimi, l’horreur et l’indignation que suscite l’acte lui même, se doublent de la crainte de voir banalisé ou nié un crime antisémite. C’est ce que les manifestantEs dénonçaient comme un nouveau « permis de tuer les juifs ».

Le fait de déclarer « non punissable » le meurtre d’une personne tuée en raison de son appartenance à une communauté ou une religion heurte doublement l’exigence de justice, celle de voir un meurtrier échapper à sa condamnation et celle de laisser impunie une violence raciste allant jusqu’au meurtre.

Se mobiliser contre ce que dit le meurtre de Sarah Halimi de l’antisémitisme dans la société est légitime. Cela est vrai dans le cas de Sarah Halimi, comme cela était vrai, en Allemagne, après les meurtres de Hanau en 2018.

Quand Tobias Rathjen a assassiné neuf personnes (Kurdes, Roms ou d’origine turque) dans deux bars à chicha de cette banlieue de Francfort, des dizaines de milliers de personnes étaient à juste titre descendues dans les rues pour dénoncer ce crime raciste

Le « manifeste » laissé par l’auteur du crime témoignait à la fois de graves perturbations psychiques et des motivations racistes de son acte. Au milieu de propos délirants, il était affirmé la nécessité d’éliminer les populations jugées « inassimilables », d’épurer le peuple allemand pour le réduire de moitié. Le meurtrier s’était suicidé après avoir a tué sa mère âgée de 72 ans.

Les mobilisations du 25 avril soulèvent par contre deux autres graves questions. Loin de s’opposer à toute forme de haine de l’autre, leurs organisateurs et la plupart des participantEs ne disent pas, loin de là, leur rejet de l’islamophobie ou d’autres formes de racisme comme source de crimes. Ce combat ne peut pourtant être sélectif.

En refusant, par ailleurs, d’admettre que le meurtrier ait pu agir, comme en attestent les expertises, dans un moment ou son discernement était très réduit ou aboli, et en considérant ce fait comme une « excuse », ils ramènent l’exigence de justice à celle d’une vengeance.
Décider de se rendre fou pour être impuni ?
Pour Macron, « en république, on ne juge pas les citoyens qui sont malades et n’ont plus de discernement, on les traite. Mais décider de prendre des stupéfiants et devenir alors "comme fou" ne devrait pas à mes yeux supprimer votre responsabilité pénale ».

Si l’on comprend bien les paroles présidentielles : ayant « décidé » de se rendre fou par la consommation de stupéfiants, Kobili Traoré serait donc responsable de son acte, et ne saurait donc échapper à une condamnation pénale.

Cette version des faits semble peu compatible avec l’analyse des différents experts psychiatres qui ont longuement rencontré Traoré après son acte. Ils écrivent1 : « Dans les jours qui ont précédé son passage à l’acte, il était halluciné, soliloquait en répondant à des voix imaginaires, inquiétait tout le monde, y compris ses parents, ses voisins maliens qu’il avait séquestrés et qui avaient appelé la police… Lui-même, persuadé d’être en danger de mort, poursuivi par des démons, était préalablement allé à la mosquée, avait consulté un exorciste, pensait que son beau-père voulait le "marabouter", que l’auxiliaire de vie (d’origine haïtienne) de sa sœur lui appliquait des rituels vaudous… […] C’est en s’enfuyant par le balcon de chez les voisins, alors qu’il se pensait poursuivi par des démons qu’il est entré dans l’appartement de Sarah Halimi, initialement pour lui demander de l’aide, et que l’enchaînement fatal est survenu. Il était, au moment des faits, en proie à une angoisse psychotique massive, et la vision du chandelier à sept branches a déclenché sa fureur meurtrière. Le crime était celui d’un fou, ce qui ne l’empêche pas d’être antisémite. »

Quant à la Cour de Cassation, elle affirme très explicitement : « Aucun élément du dossier n’indique que la consommation de cannabis par l’intéressé », dont c’était la première crise, « ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle manifestation. »

Le nouveau projet de loi annoncé s’inscrit dans une continuité de durcissement de la législation concernant la psychiatrie vers une psychiatrie d’ordre public, dont la fonction première serait non de soigner des personnes en souffrance mais de protéger la société contre la dangerosité supposée du fou, par des mesures de contraintes et d’enfermement de plus en plus lourdes.

Lors d’une table ronde au 11e congrès de l’Union syndicale de la psychiatrie, à l’automne 2020, la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, Sarah Massoud, a abordé la question de l’irresponsabilité pénale pour trouble mental, et insisté sur « le constat de "surpénalisation" de la maladie mentale » : « La notion de dangerosité vient percuter nos pratiques professionnelles, nous magistrats, mais aussi celles des experts psychiatres [...] de façon extrêmement violente », a-t-elle déclaré. La justice et les experts « sont enjoints de manière de plus en plus précise, à maîtriser [une sorte] d’art divinatoire, qui est l’évaluation du risque de la récidive. […] On est alors dans une logique d’enfermement et donc dans une logique de surincarcération des malades mentaux ». Elle a rappelé la très forte hausse des incarcérations de malades psychiatriques ainsi que la forte tendance à pénaliser les « mauvais malades » ne prenant pas leur traitement. Le projet de loi annoncé se situe clairement dans cette perspective
« On ne juge pas les fous » : une réponse déshumanisante
Nous sommes partie prenante du combat contre le durcissement sécuritaire et le retour à une psychiatrie d’enfermement et de contrôle social, dont la loi Sarkozy de 2011, maintenue par ses successeurs, a été un jalon, tout comme la loi de rétention de sureté qui permet de prolonger l’incarcération de personnes jugées dangereuses ayant ­accompli leur peine.

Faut-il pour autant placer cette lutte sur le terrain de « l’irresponsabilité pénale », et considérer comme un principe humaniste qu’on « ne juge pas les fous », comme l’a répété après bien d’autres Dupond-Moretti, déchirant ainsi le voile d’hypocrisie des discours lénifiants sur « l’intégration » des malades mentaux qui seraient des hommes et des femmes « comme les autres » ?

Dire que l’on ne peut juger un « fou », c’est dire qu’il n’appartient pas tout à fait à la société des humains et à l’humanité. C’est certes un moyen commode de mettre à distance cette vérité dérangeante que « le fou est un homme » (ou une femme), et que ses actes, même les plus sombres, sont des actes humains qui doivent être jugés comme tels.

Cette mise à distance d’hommes et de femmes qui seraient par nature différents, justifie alors la législation d’exception qui continue de régir les institutions psychiatriques. Elles permet de les priver, sans justification autre qu’un avis de la « science » médicale et sur ordre de l’autorité administrative, de leurs droits fondamentaux, comme celui d’aller et venir. Elle a ouvert la porte, il faut le rappeler, en d’autres circonstances, à l’extermination des malades mentaux, qui furent les premiers à être envoyés dans les chambres à gaz comme « race inférieure », précédant les juifs et les tsiganes.

Il existe une alternative possible au non-lieu pour cause d’irresponsabilité pénale, qui ne tombe pas dans les travers sécuritaires. Le rapport Demay, rédigé en 1983 à la demande du ministre PCF Jack Ralite, traçait quelques pistes qui restent aujourd’hui d’actualité. Il posait comme principe que la procédure devait avoir lieu, mais qu’elle pouvait être « suspendue » au cas où l’état de santé du présumé coupable le justifierait, puis poursuivie lorsqu’une commission ad hoc aurait déclaré que le présumé coupable « pouvait prendre part à tout ce qui touche au problème de sa responsabilité pour aboutir à une décision judiciaire ».

Comme dans tout autre procès, la notion de « circonstances atténuantes » résultant des conditions dans lesquelles l’acte a été commis devrait pouvoir être pleinement reconnue, tout comme l’incarcération ne devrait pas être considérée comme une réponse.

C’est à ces conditions, nous semble-t-il, que « justice pourrait être rendue », en permettant aux victimes d’être entendues, au contexte qui a engendré l’acte d’être mis en lumière et à celui ou celle qui l’a commis de ne pas être l’objet d’un lynchage judiciaire ou de son rejet hors de l’humanité.
1. Tribune collective publiée dans le Monde le 24 avril 2021.