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L’Autorité de la concurrence ouvre une enquête sur les prix des prothèses auditives

Février 2016

L’Autorité de la concurrence ouvre une enquête sur les prix des prothèses auditives

LE MONDE ECONOMIE

11.02.2016 à 11h00

Par Dominique Gallois

Des coûts d’appareillage trop élevés, des Français sous-équipés. L’Autorité de la concurrence a décidé, mercredi 10 février, d’étudier la distribution des audioprothèses. Il s’agit de comprendre les raisons conduisant à des niveaux de prix tels – 1 550 euros par oreille en moyenne – que des malentendants soient obligés de renoncer à s’appareiller.

L’antitrust évaluera l’état de la concurrence sur l’ensemble du secteur : une investigation qui ira de la concentration des fabricants – quatre d’entre eux détiennent 80 % du marché mondial – aux marges très élevées des distributeurs, en passant par le numerus clausus imposé aux étudiants pour protéger ce marché. Deux étapes rythmeront cette procédure. A l’été, un rapport intermédiaire donnera lieu à une consultation publique. L’avis définitif sera rendu en décembre. Il comportera des propositions d’amélioration.

Lire aussi : Les audioprothèses, trop chères pour 2,1 millions de Français malentendants

L’Autorité de la concurrence est partie d’un constat : sur les 4,4 millions de personnes appareillables en France, seuls 1,5 million ont des audioprothèses, soit un taux d’équipement de 32 %, contre 41 % au Royaume-Uni. « Parmi les causes invoquées pour expliquer ce sous-équipement, le prix des appareils est régulièrement avancé », souligne-t-elle. Les 1 550 euros par oreille incluent l’achat et le suivi du patient durant les cinq années qui suivent. « Ce montant peut constituer un frein à l’achat, d’autant que les remboursements de l’Assurance-maladie et des complémentaires santé demeurent faibles en France, le reste à charge s’élevant à 1 100 euros par oreille en moyenne », note l’autorité.

Relever le numerus clausus

L’une de ses interrogations porte sur les marges des audioprothésistes. « Si celles des fabricants ou des centrales d’achat, qui servent d’intermédiaires entre les fabricants et les distributeurs, paraissent de prime abord et sous réserve de vérifications, modérées, celles des audioprothésistes sont en revanche beaucoup plus élevées », relève l’autorité publique. Elle se réfère à un rapport de la Cour de comptes de 2013 indiquant que ces derniers appliquent un coefficient multiplicateur de 3 à 3,5 sur le prix d’achat des audioprothèses. « Dès lors, la marge brute moyenne réalisée par les audioprothésistes varie entre 650 euros pour une prothèse en entrée de gamme et 1 250 euros pour une prothèse haut de gamme, soit une marge brute d’environ 70 à 75 % ».

En septembre 2015, l’UFC-Que Choisir avait déjà dénoncé « ce marché verrouillé », où 3 100 professionnels bénéficient d’une « rente de rareté non justifiée et non justifiable » leur permettant de pratiquer des prix « dissuasifs ». L’association de défense des consommateurs préconisait de faire d’abord baisser les salaires et les prix en mettant fin à la « pénurie » d’audioprothésistes et en renforçant la concurrence. En juillet 2015, un arrêté ministériel avait introduit un numerus clausus pour les études qui mènent à cette profession : pas plus de 199 élèves par an. Trop peu par rapport aux besoins, ce qui conduit l’UFC-Que Choisir à réclamer un relèvement rapide et durable de ce plafond.

« Le coût de l’accompagnement »

Du côté des professionnels, l’autosaisine de l’autorité de la concurrence est bien accueillie. « Nous voyons cela de façon positive et sereine », affirme Luis Godinho, le président du syndicat national des audioprothésistes (Unsaf). Revenant sur le niveau des prix, « comme l’autorité de la concurrence l’a indiqué, il intègre l’appareillage, mais aussi le coût de l’accompagnement pendant cinq ans, souligne-t-il. Nous ne vendons pas simplement un équipement. » En décembre, l’Unsaf, qui avait réalisé sa propre étude sectorielle, notait que les tarifs se situent « clairement dans la moyenne basse européenne ».

Pour ce syndicat, l’audioprothèse contribue à la qualité du système de soins, citant une étude de l’Inserm selon laquelle l’utilisation des appareils auditifs évite le déclin cognitif chez les malentendants âgés. L’Unsaf a donc demandé, en décembre 2015, d’augmenter la prise en charge par l’Assurance-maladie pour diminuer le reste à charge, plus élevé que dans les pays voisins. Les bases n’ont pas évolué depuis 1986. Elle est de 120 euros par oreille contre 840 en Allemagne.

L’Autorité de la concurrence va donc se lancer dans l’étude de la filière comme elle l’avait fait en 2012 pour la distribution de pièces automobiles et l’année suivante pour les médicaments. Sa proposition recommandant la vente de médicaments sans ordonnance ailleurs qu’en pharmacie, mais avec un pharmacien, avait fait grand bruit.