Amerique du Nord

L’Humanité - Face à la pénurie de vaccins, Joe Biden sort l’artillerie lourde

Janvier 2021, par Info santé sécu social

Vendredi 22 Janvier 2021
Thomas Lemahieu

Objectif : 100 millions d’Américains vaccinés sur les 100 premiers jours de sa présidence. À peine installé à la Maison-Blanche, le nouveau président américain lance une planification de grande ampleur sur toute la chaîne de production. Une initiative que les Européens seraient sans doute bien inspirés de suivre de près…

Face aux ruptures sur les chaînes de production des vaccins et aux désordres, similaires à ceux que l’Europe connaît, qu’elles créent dans les campagnes de vaccination, Joe Biden a décidé de sortir l’artillerie lourde. Impossible, en l’état actuel des choses, d’espérer atteindre l’objectif qu’il s’est donné : 100 millions d’Américains vaccinés sur les 100 premiers jours de sa présidence. Aussi le nouveau locataire de la Maison-Blanche a-t-il fait paraître, dès son entrée en fonction, un plan ambitieux et volontariste de plusieurs centaines de pages qui pourrait peut-être contribuer à une rupture dans la lutte contre le Covid-19. Une « stratégie agressive de vaccination », promet celui qui, avec les précommandes de Donald Trump, hérite d’un stock pharaonique de sérums... largement virtuels ! De quoi lui permettre de réaliser qu’il n’est pas utile d’en acheter encore, à ce stade, mais bien plus d’assurer la fabrication concrète, au besoin, par une intervention publique très appuyée…

À la différence des Européens qui, malgré des gesticulations - par exemple, quand le gouvernement français prie Sanofi, sans exercer de pression, d’examiner les conditions dans lesquelles il pourrait aider à la fabrication de vaccins concurrents (lire l’Humanité du 15 janvier) -, n’interviennent ni dans le champ de la propriété intellectuelle ni dans celui de la planification industrielle, Biden se montre déterminé à affronter la faillite de la production des vaccins, laissée aux mains de Big Pharma. Il ne remet toutefois pas du tout en question, lui non plus, le système des brevets, même si son administration promet un retour dans la coopération internationale, via notamment l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), pour vaincre la pandémie à l’échelle mondiale. Certes, le nouveau président américain n’exclut pas, dans son programme, d’utiliser des méthodes d’apprentis sorciers pour multiplier artificiellement les doses disponibles : après que le Royaume-Uni a repoussé jusqu’à trois mois - au lieu de trois ou quatre semaines - le délai prévu pour la seconde injection des vaccins, après que Pfizer a sans scrupule justifié la baisse de sa distribution en Europe en dénombrant désormais 6 doses, contre les 5 prévues, les États-Unis, sous la conduite de l’administration démocrate, envisage de diviser par deux les doses injectées. Ce qui leur permettrait, comme par magie, de pouvoir « vacciner » deux fois plus de monde… Cette idée, évoquée dans le programme de Biden, a immédiatement été rejetée par l’autorité de régulation, la Food and Drug Administration (FDA), qui la trouve « prématurée et pas étayée solidement par des éléments disponibles ».

Mais dans un contexte de pénurie grave, c’est sur le plan de la production industrielle des vaccins, mais également des masques, des tests et de tous les matériels nécessaires, que Biden compte agir vite et fort en activant le Defense Production Act (DPA). Créé en 1950 pour des impératifs militaires lors de la Guerre de Corée et élargi depuis aux nécessités sanitaires, ce cadre juridique permet aux autorités de contraindre les industriels à se caler sur les priorités d’intérêt général. Alors que, par exemple, les nanoparticules lipidiques, indispensables pour encapsuler l’ARN messager dans les vaccins de Pfizer-BioNTech, de Moderna et, demain, de CureVac ou d’autres, ne sont pas fabriquées en quantité suffisante aujourd’hui, l’administration étasunienne entend mobiliser les agences fédérales et tout le secteur privé pour démultiplier la production ou, à tout le moins, l’orienter vers les entreprises stratégiques à ses yeux. Les États-Unis ont identifié des pénuries pour une douzaine de matières premières ou autres produits, comme les seringues de haute précision pour extraire les doses de vaccins des fioles, et ils comptent bien rafler tout ce qu’ils peuvent à l’échelle mondiale, en assurant par ailleurs leur production propre dans leur pays. De manière plus frappante encore, Biden promet d’envoyer des agents publics dans les usines afin de « contrôler » et de « soutenir les opérations » de production.

Et pendant ce temps-là, l’Union européenne qui pâtit déjà de la priorité donnée aux États-Unis par Moderna pour ses premières livraisons (lire l’Humanité du 11 décembre 2020) risque de regarder les trains passer. Un peu moins que les pays les moins riches, littéralement privés d’accès aux sérums disponibles, mais tout de même ! Dans ce contexte, plutôt que d’affronter la question de la production globale, les Européens partent à la chasse aux vaccins. Dernier exemple en date avec la Hongrie qui, au motif des retards de livraison des commandes communes réalisées par la Commission, vient unilatéralement d’autoriser le vaccin russe Spoutnik V dont elle a commandé deux millions de doses.