Dans le monde

L’Humanité - Il manque 50 millions d’emplois dans la santé dans le monde

Janvier 2017, par Info santé sécu social

Damien Roustel

Un rapport de l’Organisation internationale du travail alerte sur le déficit de personnel pour assurer les soins essentiels. L’objectif de parvenir, d’ici à 2030, à une couverture sanitaire universelle est compromis. Selon cette étude, investir dans la santé stimulerait pourtant la croissance.

« On estime qu’il manque 50 millions d’emplois décents en 2016 pour faire face aux besoins mondiaux de soins essentiels à travers la couverture sanitaire universelle (CSU) et pour assurer la sécurité humaine, en particulier dans le cas de maladies très contagieuses comme Ebola. » Dans un rapport publié le 9 décembre 2016, « Personnels de santé : une approche de la chaîne d’approvisionnement mondiale », l’Organisation internationale du travail (OIT) a alerté sur un phénomène qui devrait prendre de l’ampleur. Selon cette agence onusienne basée à Genève, ce sont plus de 80 millions d’emplois qui vont faire défaut dans le monde dans les quinze prochaines années en raison du vieillissement démographique.

L’objectif de la communauté internationale de parvenir à la couverture sanitaire universelle d’ici 2030 est donc loin d’être gagné. Celle-ci consiste « à veiller à ce que l’ensemble de la population ait accès aux services préventifs, curatifs, palliatifs, de réadaptation et de promotion de la santé dont elle a besoin et à ce que ces services soient de qualité suffisante pour être efficaces, sans que leur coût n’entraîne des difficultés financières pour les usagers », selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En 2012, une résolution des Nations unies prévoyant de redoubler d’efforts pour évoluer vers la CSU a été adoptée par 193 États membres de l’OMS.

Transformer les soins informels non rémunérés en emplois qualifiés

Le déficit en personnel de santé est une situation d’autant plus anormale qu’investir dans un médecin ou une infirmière générerait deux emplois hors des personnels de santé, selon l’OIT. « La quatrième révolution industrielle pourrait rendre certains emplois obsolètes et déplacer l’emploi, mais les services de soins de santé vont générer des millions d’emplois », a affirmé Isabel Ortiz, directrice du département de la protection sociale de l’OIT. « La création des millions d’emplois qui font défaut va permettre d’améliorer le niveau de vie, la croissance économique et le développement, en particulier dans les pays qui ont un fort niveau de chômage parmi les travailleurs peu qualifiés et qui manquent de services de santé », a-t-elle ajouté.

Près de 90 % du potentiel d’emploi dans la santé se situent dans les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire inférieur d’Afrique et d’Asie. « En Afrique, actuellement 15 millions de travailleurs pourraient être employés dans l’économie formelle si des investissements suffisants étaient consacrés à la CSU. En Asie, le potentiel actuel d’emplois s’élève à 29 millions de travailleurs dans les professions de santé et en dehors. D’ici à 2030, 27 millions d’emplois supplémentaires pourraient être créés en Afrique et 39 millions en Asie », détaille l’auteur du rapport, Xenia Scheil-Adlung, coordinatrice des politiques de santé de l’OIT.

L’étude de l’OIT révèle aussi l’existence d’une « vaste main-d’œuvre invisible » de 57 millions de travailleurs non rémunérés qui sert à combler « les énormes pénuries de personnels de santé qualifiés ». Il s’agit pour la plupart d’entre eux de femmes qui ont quitté leur emploi pour s’occuper, par exemple, de personnes âgées dans leur famille. À ces 57 millions d’emplois informels, il faut ajouter, selon l’OIT, 45,5 millions de travailleurs « souvent peu rémunérés pour des emplois dépourvus de conditions de travail décentes, surtout dans les domaines de la maintenance, du nettoyage, de l’appui administratif et des soins informels ».

Le rapport de l’OIT attire l’attention sur la nécessité de transformer les soins informels non rémunérés en emplois suffisamment nombreux pour des travailleurs qualifiés, assortis de conditions de travail décentes. « Cela aurait un impact positif direct sur l’économie et pour des millions de femmes qui ont quitté leur emploi formel pour prendre soin des personnes âgées de leur famille en l’absence de personnel de santé qualifié », répète l’OIT. « Nous devons repenser les politiques actuelles pour parvenir à une couverture de santé universelle en débloquant le potentiel d’emplois décents », conclut Xenia Scheil-Adlung.