Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

L’Humanité - « Ils vont mourir de faim, pas du coronavirus »

Avril 2020, par Info santé sécu social

Manque de nour­ri­ture et d’ac­cès à l’eau : les condi­tions de vie dé­gra­dées dans les bi­don­villes ag­gravent la si­tua­tion so­ciale et sa­ni­taire. Les as­so­cia­tions s’in­quiètent. Et les au­to­ri­tés lo­cales res­tent sourdes à ces ap­pels à l’aide.

« La vie est en­core plus dure de­puis le co­ro­na­vi­rus. » Ha­bi­tant dans une ca­ra­vane à Tou­louse, Tar­zan est in­quiet pour son ave­nir et celui de ses en­fants. Lui qui s’est dé­brouillé jus­qu’à pré­sent grâce à la re­vente de fer­raille se voit dé­sor­mais contraint d’ar­rê­ter. « Je ne peux plus tra­vailler, ni ache­ter à man­ger pour ma fa­mille. Et mes pe­tits ne vont plus à l’école »,dé­plore le père de fa­mille. Il ne s’est pas aven­turé en de­hors du ter­rain de­puis trois se­maines.

De­puis le confi­ne­ment, la si­tua­tion sa­ni­taire des 19 000 per­sonnes vi­vant dans des bi­don­villes s’ag­grave. Ils manquent de tout. « En ma­tière d’aide ali­men­taire, les pre­mières se­maines, c’était dra­ma­tique, af­firme Clé­men­tine Sin­quin, dé­lé­guée gé­né­rale du Col­lec­tif na­tio­nal droits de l’homme Romeurope.​Les gens avaient très faim, l’aide n’était pas struc­tu­rée. » Dé­sor­mais, la dis­tri­bu­tion ali­men­taire s’or­ga­nise un peu par­tout sur le ter­ri­toire, à l’ex­cep­tion de cer­taines zones. À Bor­deaux, par exemple, « il y a une vé­ri­table crise ali­men­taire,alerte Jean-Luc Tari, res­pon­sable de la mis­sion bi­don­villes de Mé­de­cins du monde (MDM).En­vi­ron 500 per­sonnes, parmi les­quelles il y a des en­fants et des femmes en­ceintes, n’ont plus rien à man­ger. Les gens vont mou­rir de faim, pas du co­ro­na­vi­rus ».Mais les au­to­ri­tés po­li­tiques lo­cales ne bronchent pas, re­grette le mi­li­tant, qui fus­tige le manque de vo­lonté des élus. La si­tua­tion reste aussi ten­due à Tou­louse, Nantes et dans plu­sieurs dé­par­te­ments d’Île-de-France, dont les Hauts-de-Seine.

« Il faut tout faire pour mettre en place une veille sanitaire »
À l’échelle na­tio­nale, il aura fallu plu­sieurs se­maines pour que les as­so­cia­tions aient enfin des in­for­ma­tions. Une ins­truc­tion mi­nis­té­rielle du 27 mars, adres­sée aux pré­fets, in­dique les me­sures à prendre pour pro­té­ger les plus dé­mu­nis. Sans écrire une seule fois le mot « bi­don­ville » … Le pas­sage sur l’eau s’adresse vi­si­ble­ment plus aux per­sonnes iso­lées et à la rue qu’aux fa­milles des ter­rains. « Près de 80 % des per­sonnes vi­vant en bi­don­ville n’ont pas accès à l’eau,dé­nonce Clé­men­tine Sinquin.​Sans eau, les po­pu­la­tions ne peuvent pas boire, se laver les mains, cui­si­ner, etc. C’est donc im­pos­sible de res­pec­ter les me­sures d’hy­giène et de pré­ven­tion. » Le ré­seau mi­li­tant rap­pelle que l’État et les col­lec­ti­vi­tés lo­cales ont des obli­ga­tions en­vers ces po­pu­la­tions. « À Stains, le point d’eau du ci­me­tière qui per­met­tait à 220 per­sonnes d’avoir de l’eau est au­jour­d’hui fermé, les gens res­tent sans so­lu­tion »,re­grette-t-elle.

In­for­mer les po­pu­la­tions face aux risques épi­dé­miques, c’est le tra­vail ha­ras­sant des as­so­cia­tions qui or­ga­ni­sentdes ma­raudes sa­ni­taires. À Tou­louse, Ge­ne­viève Mo­lina, mé­de­cin et membre de MDM, est sur le front : « Nous al­lons sur le ter­rain pour aler­ter sur le virus, ex­pli­quer les gestes bar­rières, mais éga­le­ment four­nir des at­tes­ta­tions à ces po­pu­la­tions très anx­ieuses face aux risques de pro­pa­ga­tion du virus. Le sur­peu­ple­ment, la grande pro­mis­cuité et le manque d’hy­giène sont des condi­tions très dif­fi­ciles. » « Il faut tout faire pour mettre en place une veille sa­ni­taire. Si le Co­vid-19 se ré­pand sur un bi­don­ville ou un squat, ça sera une ca­tas­trophe »,pré­vient-elle.

« Il n’y a toujours pas de maraudes de prévention de l’épidémie »
Les ha­bi­tants et bé­né­voles se sentent com­plè­te­ment dé­lais­sés. « Si une per­sonne est conta­mi­née, que fait-on  ? de­mande Li­liana Hris­tache, de l’as­so­cia­tion Rom Réus­site, à Montreuil.​Rien n’est prévu pour pou­voir mettre des fa­milles en­tières en iso­le­ment. Et si une maman est seule, avec ses en­fants, com­ment agir  ? J’ai­me­rais bien que l’État ré­agisse. » Tous at­tendent des me­sures fortes pour af­fron­ter la crise sa­ni­taire. « Il n’y a tou­jours pas de ma­raudes de pré­ven­tion de l’épi­dé­mie dans une grande par­tie de l’Île-de-France, tan­dis qu’une per­sonne est dé­cé­dée du co­ro­na­vi­rus dans un squat dans le Val-d’Oise »,alerte ­Clémentine Sin­quin. La crise du co­ro­na­vi­rus a déjà convaincu des Roms de quit­ter la France. À Mon­treuil (Seine-Saint-De­nis), l’an­nonce du confi­ne­ment a vidé deux cam­pe­ments. Et deux autres, à Saint-De­nis (Seine-Saint-De­nis) et Bon­neuil-sur-Marne (Val-de-Marne), ont connu un scé­na­rio iden­tique.

par Lola Rus­cio ,