Industrie pharmaceutique

L’Humanité - Prix des médicaments : la pub que les labos ne veulent pas voir

Juin 2016, par Info santé sécu social

Entretien réalisé par Alexandre Fache

Pour fustiger les tarifs excessifs de certains traitements, Médecins du monde lance aujourd’hui une pétition accompagnée de slogans chocs. Une campagne étrangement refusée par les grands réseaux d’affichage. De peur de froisser un secteur considéré parmi les plus gros annonceurs  ?

« Avec l’immobilier et le pétrole, quel est l’un des marchés les plus rentables ? La maladie » ; « Le cancer du sein, plus il est avancé, plus il est lucratif » ; « Une épidémie de grippe en décembre, c’est le bonus de fin d’année qui tombe »… Voilà quelques-uns des slogans chocs de la campagne que lance ce lundi Médecins du monde contre le prix excessif de certains médicaments. Des affiches au fond bicolore qui invitent à signer la pétition en ligne baptisée « Le prix de la vie », remise ensuite à la ministre de la Santé. Mais ces affiches, vous ne les verrez ni dans les rues, ni dans le métro parisien. Les grands réseaux publicitaires (JCDecaux, Mediatransports, Insert) ont refusé de les diffuser. Entretien avec le Dr Jean-François Corty, directeur des opérations internationales de l’association.

Comment expliquez-vous ce refus des réseaux d’affichage ?

Notre objectif était de toucher le grand public et, outre la presse et la pétition sur Internet, nous souhaitions que cette campagne soit visible sur les grands réseaux d’affichage. Nous avons contacté nos partenaires habituels et, effectivement, ils ont refusé notre campagne au prétexte qu’elle était trop violente, qu’elle risquait de décrédibiliser le secteur pharmaceutique et qu’elle pouvait être mal comprise par les citoyens. En réalité, c’est parce qu’ils ne voulaient pas froisser les laboratoires. Pourtant, nous ne disons pas que ces derniers ne font pas un métier important. On veut simplement pointer les abus majeurs de certains. On est un peu dubitatif face à cette forme de censure. On ne comprend pas pourquoi cela pose problème d’attirer l’attention sur les pratiques injustifiables de certains laboratoires. Il faut qu’il y ait un débat transparent sur ces sujets, et pour l’instant, c’est impossible.

Pourquoi vous engagez-vous sur cette thématique ?

Jean-François Corty Notre réflexion a démarré avec l’arrivée des nouveaux traitements contre l’hépatite C, les antiviraux à action directe, il y a deux ans. Ces médicaments révolutionnaires (qui guérissent 90 % des patients, sans effets secondaires) avaient le potentiel de casser la dynamique de l’épidémie, en France comme dans le monde. Sauf que la première molécule mise sur le marché, le sofosbuvir (vendu sous le nom de Sovaldi, par Gilead) était facturée en France 41 000 euros la cure de douze semaines, alors que son coût de production était estimé à 100 euros. Un écart inacceptable que les autorités françaises n’ont pas suffisamment combattu, préférant limiter l’accès des malades au traitement. Cette stratégie du tri menace aujourd’hui de s’étendre à d’autres traitements, contre le cancer par exemple, et va donc concerner des populations de plus en plus importantes. Nous vivons ce qu’ont vécu des pays comme le Brésil ou l’Inde avec les premiers antirétroviraux contre le sida : l’impossibilité de soigner tout le monde à cause des tarifs.

Vous avez déjà commencé à agir contre ces rationnements ?

Jean-François Corty Oui, sur l’hépatite C, nous avons lancé en février 2015 une démarche d’opposition aux brevets auprès de l’Office européen des brevets, à Munich. On attend les résultats pour septembre ou octobre de cette année. Cette campagne en est la suite. L’idée est de porter ce débat au cœur de la campagne présidentielle. Car le prix des médicaments met en péril notre système de santé solidaire. Aujourd’hui, 30 % de Français retardent leurs soins pour des raisons financières. Quant aux dépenses de médicaments en France, elles représentent 27 milliards d’euros. Cela vaut le coup de regarder d’un peu plus près ce poste budgétaire.

Sur l’hépatite C, la ministre a promis, sous la pression des associations, un accès universel aux traitements. Où en est-on ?

Jean-François Corty C’était une très bonne nouvelle, annoncée le 25 mai lors de la journée de lutte contre les hépatites virales. Il doit y avoir une première avancée dans les prochains jours, avant que l’accès universel ne soit effectif, a priori, en septembre ou octobre. Reste le prix. Marisol Touraine a dit qu’elle voulait le renégocier. Mais pour l’heure, il est toujours de 41 000 euros…

Le gouvernement dit vouloir porter cette question du prix des médicaments au G7 santé, prévu en septembre au Japon. Vous y croyez ?

Jean-François Corty On espère qu’il s’opposera à des prix dictés uniquement par la capacité de tel ou tel État à payer. Ainsi, les tarifs n’ont rien à voir, par exemple, avec le financement de la recherche. Ils sont juste soumis à une logique de marché. Est-ce que le gouvernement s’élèvera contre ça ? À voir. Il faut, en tout cas, réfléchir à un nouveau modèle. Continuer de financer la recherche publique, mais éviter que ce qu’elle produit ne soit phagocyté par les grands labos et revendu ensuite à prix fort. Et ne pas s’interdire d’utiliser l’arme de la licence obligatoire, qui permet de contourner les brevets quand il y un problème d’accès au traitement.

La solution n’est-elle pas de créer un vrai pôle public du médicament qui irait au-delà de la recherche et se lancerait dans la production ?

Jean-François Corty Pourquoi pas. Le problème aujourd’hui, c’est que la fixation du prix des médicaments est totalement opaque. D’un côté, le Leem, le syndicat des labos pharmaceutiques, parvient à mettre ce débat sous l’éteignoir. De l’autre, le Comité économique des produits de santé (Ceps), qui est chargé de fixer les prix, reste totalement fermé et obscur. Résultat : le débat est impossible. D’où notre campagne, qui rappelle que c’est un scandale d’avoir à payer un médicament 400 fois son coût de production, 200 fois pour d’autres molécules.

Le groupe JC Decaux a peur de « choquer » le public. Nous avons tenté d’obtenir des explications de la part des trois réseaux d’affichage (JCDecaux, Mediatransports, Insert) qui ont refusé la campagne de Médecins du monde. Seul le premier nommé nous a répondu, indiquant que sa « décision » avait été « fondée sur une recommandation de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité » pointant certains « risques ». Lesquels ? « Les sources des chiffres cités (dans la campagne) ne sont pas mentionnées. » Et « la référence à des maladies graves, dans ce contexte, peut être perçue comme choquante par le public, notamment par les personnes souffrant de ces pathologies (exemples : “L’hépatite C, on en vit très bien”, “Chaque année en France, le cancer rapporte…”, etc.) ». Des malades qui, bien sûr, ne seront pas choqués d’être exclus du traitement pour des raisons économiques…