Industrie pharmaceutique

L’Humanité - Uvestérol D : l’Agence Nationale de Sécurité des Médicaments mise sur la sellette

Janvier 2017, par Info santé sécu social

Après le décès d’un nourrisson le 21 décembre qui a amené la ministre de la Santé, Marisol Touraine, à suspendre la commercialisation de l’Uvestérol D, le députée européenne Michèle Rivasi (Verts/ALE) met en cause le manque de réactivité de l’Agence Nationale de Sécurité des Médicaments. « Il y a a eu 93 cas d’effets secondaires recensés, on attend combien de morts pour interdire ce médicament ? » demande-t-elle. Explications.

Il semble que les autorités sanitaires avaient été alertées sur les effets secondaires de l’Uvestérol D. Avez-vous des détails sur ces signalements ?

Michèle Rivasi : « On parle de 2006, mais dès 96, il y avait eu le cas d’un enfant qui avait fait un malaise suite à l’ingestion de ce médicament. Il y a eu 93 cas recensés qui ont été notifiés à l’ANSM ( Agence Nationale de Sécurité des Médicaments ) soit pour des malaises, soit pour des étouffements. Donc il y avait un effet dû à l’ingestion de ce médicament. Suite à cela, l’ANSM a notifié au laboratoire ( Crinex ndlr ) qu’il y avait un problème. Le laboratoire s’est posé la question de savoir si c’était dû à la dose, donc ils ont diminué la dose, ou est-ce que c’était dû à la seringue, donc ils ont modifié la seringue. Malgré tout cela, il y avait toujours des problèmes. « Prescrire », une revue indépendante, avait alors demandé que ce médicament soit retiré de la vente. Vous voyez, « Prescrire » avait déjà alerté depuis 96, il y a plus de 21 ans.

Comment expliquez-vous qu’il n’ait pas été tenu compte de ces alertes ?

M. R. Parce qu’il y a une inertie, c’est comme pour le Mediator. Il a fallu attendre 20 ans pour le Mediator, eh bien là, avec l’Uvestérol D, il a fallu plus de 10 ans, bien qu’il y ait eu des remontées d’effets secondaires importantes. On n’est d’ailleurs pas à l’abri qu’il y ait eu d’autres morts d’enfants. Parce qu’il a fallu qu’il y ait ce mort le 21 décembre pour arrêter ce médicament, mais qui dit qu’il n’y en a pas eu d’autres sans qu’on fasse la relation de causalité avec le médicament. J’ai vu des témoignages de médecins qui soulèvent cette question.

Comment le mode de fonctionnement de l’Agence Nationale de Sécurité des Médicaments explique-t-il ces lenteurs selon vous  ?

M. R. Ce n’est pas la première fois qu’on critique le fonctionnement de l’ANSM. On dirait que le doute fonctionne toujours au bénéfice du laboratoire et jamais au bénéfice des victimes. Il y a un dysfonctionnement au niveau de cette agence, où les remontées au niveau des effets secondaires ne sont pas suffisamment prises en compte. On dirait que l’ANSM a peur de l’attaque des laboratoires, parce qu’il faut prouver la relation de causalité entre le médicament et les effets secondaires. Mais là quand même, ça fait dix ans que ça dure et il y a eu 93 notifications graves, mais ils n’ont pas supprimé ce médicament. Ce qui est surprenant c’est qu’il y a d’autres médicaments pour la vitamine D et pour lesquels il n’y a eu aucune remontée d’effets secondaires. On lit dans les journaux que c’est la seringue qui serait en cause. Moi le doute que j’ai, c’est qu’on n’en est même pas sûr. Ce n’est pas forcément la seringue, c’est peut-être le dosage, ou peut-être les excipients qui sont mis avec la vitamine D. Il y a plusieurs hypothèses.

Selon vos informations, une réunion de la Commission nationale de pharmacovigilance a eu lieu en juillet dernier à propos de l’Uvestérol D. En savez-vous plus ?

M. R. Non, nous n’avons pas d’informations plus précises pour l’instant mais beaucoup de gens se posent des questions sur ce qui s’y est dit. Je demande à ce qu’on ait une transparence totale de l’information sur cette dernière commission.

Quel est le fond du problème selon vous ?

M. R. Il paraît étonnant qu’on ait continué à prescrire ce médicament alors qu’il y avait d’autres alternatives. Est-ce que c’est parce que c’est un laboratoire français ? On me dit pourquoi appliquer le principe de précaution pour interdire ce médicament ? Mais là nous ne sommes pas sur le principe de précaution, on est sur le principe de prévention puisqu’on sait que ce médicament a eu des effets secondaires dangereux, il y a eu 93 cas recensés. On attend combien de morts pour interdire ce médicament ? Donc, ce n’est pas le principe de précaution qui doit être invoqué. Le principe de précaution, c’est lorsqu’on soupçonne qu’il y a un effet. Mais là, il y a eu une notification d’effets secondaires, c’est le principe de prévention qui doit être appliqué. Donc il est temps d’arrêter ce médicament.

Est-ce qu’il y a eu une surveillance de l’Uvestérol D au niveau européen ?

M. R. Sur le plan européen, il y a un organisme qui s’appelle Eudravigilance qui dépend de l’Agence européenne des Médicaments, et qui recense tous les effets secondaires des médicaments dont l’autorisation a été donnée par l’Agence européenne des médicaments. Donc ce qu’il faut voir, c’est si l’autorisation de ce médicament a été donnée par la France ou est-ce que elle a été donnée sur le plan européen. S’il elle a été donnée sur le plan européen on devrait avoir des effets secondaires qui sont remontés d’autres pays européens, mais je pense que c’est surtout sur le plan français qu’il était distribué.

Mais où il y a une faute pour moi, c’est du côté de l’ANSM puisqu’ils ils ont reconnu eux-mêmes qu’il y avait des remontées d’effet secondaires. Je trouve qu’ils n’ont pas tapé du poing sur la table suffisamment fort. Notre système de pharmaco-vigilance ne profite pas assez aux patients, il ne profite qu’aux labos. Est-ce qu’on a peur d’attaques en justice de leur part ? Il suffit de leur demander : pourquoi les autres médicaments qui utilisent la vitamine D n’ont aucun effet secondaire alors que celui-là justement en a un. C’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas, à vous de le prouver. C’est au laboratoire de prouver qu’il y a un problème, il ne faut pas attendre les morts pour arrêter. Il y a eu un décès de trop. »