Branche allocation familiale de la Sécurité sociale

L’Humanité - crèches : le nouveau racket du gouvernement sur les familles

Juillet 2018, par Info santé sécu social

Lundi, 9 Juillet, 2018 clotilde matthieu

C’est par téléphone que la rédaction a été informée de ce nouveau scandale. Si la publication du « plan pauvreté » a été repoussée en septembre, ce n’est pas la faute de l’aura médiatique écrasante de la Coupe du monde, mais parce que l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) n’ont pas encore ficelé leur nouvelle convention 2018-2022, qui servira en partie à financer le plan gouvernemental.

Négocié en toute discrétion, ce futur contrat promet la création de 30 000 places en crèche… en faisant la poche aux familles et aux collectivités locales : 2 % d’augmentation pendant cinq ans pour les premières ; tour de vis budgétaire pour les secondes.

L’Élysée presse. À marche forcée, les administrateurs de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) doivent se prononcer, mercredi, sur la nouvelle convention d’objectifs et de gestion (COG) que l’organisme doit signer avec l’État pour la période 2018-2022. Une décision importante pour le chef de l’État. Aujourd’hui, devant le Congrès à Versailles, il devrait livrer quelques grandes lignes de son « plan pauvreté », renvoyant à septembre le détail des mesures et des financements. Or, sur ce dernier point, cette convention avec la Cnaf est un élément déterminant… et inquiétant. Les documents que l’Humanité s’est procurés montrent que, dans le domaine de la petite enfance, le gouvernement s’apprête, une nouvelle fois, à taper dans le portefeuille des familles et dans les finances des collectivités locales.

Selon une note interne de la Direction des politiques familiales et sociales, datée du 25 juin, la Cnaf envisagerait d’augmenter de 2 % par an, pendant cinq ans, le reste à charge des familles (RAC) pour financer la création de 30 000 places en crèche (promises dans le plan pauvreté). Ces 2 % n’ont l’air de rien. Mais pour une famille monoparentale au Smic (1 177 euros mensuels net), c’est 2 euros de plus à verser par mois la première année, qui deviennent 10 euros quatre ans plus tard. Soit 120 euros à débourser à l’année pour la garde d’un enfant de moins de 3 ans à plein temps. Ce serait presque 20 euros mensuels de plus à la charge des familles gagnant 2 354 euros par mois et 38 euros pour celles touchant plus de 4 700 euros. Pour faire passer la pilule, la Cnaf note que « le plancher de ressources (le revenu à partir duquel un RAC est exigé – NDLR) sera relevé pour neutraliser l’augmentation de la hausse sur les plus défavorisés ». Les ménages gagnant moins que 1,2 Smic devraient ainsi être exclus de cette augmentation de charges, entérinant ainsi la logique d’un abandon progressif des prestations universelles au profit de leur cantonnement aux catégories les plus pauvres.

Cette augmentation des participations familiales représente un avantage certain pour la Caisse et l’État : « Elle aura pour impact de diminuer le montant de la PSU (prestation de service unique – NDLR) versées aux gestionnaires », c’est-à-dire l’ensemble des établissements d’accueil de jeunes enfants (Eaje), à l’exception des jardins d’éveil, précisent les auteurs de la note. Au lieu d’augmenter de 7,7 % pour suivre l’indice mixte prix-salaire, comme c’est le cas actuellement, celle-ci n’augmentera que de 4,6 %. Combiné à l’accroissement des charges pour les familles, ce tour de passe-passe devrait permettre à la CAF de réaliser 115 millions d’euros d’économies.

LES COLLECTIVITÉS LOCALES ONT AUSSI DU MOURON À SE FAIRE
Interrogé sur ce document, Michel Coronas, administrateur CGT de la Cnaf, s’insurge : « Comme on le voit, cette économie va être répercutée sur les parents, qui seront les premiers à en pâtir. » Lui et ses camarades ne soutiendront pas la future convention qui leur sera présentée demain. Ils pourraient d’ailleurs ne pas être les seuls à s’y opposer.

Les collectivités locales ont aussi du mouron à se faire. Car à cette augmentation du reste à charge des familles s’ajoute une baisse des dotations allouées au Fonds national d’action sociale (Fnas) de la Cnaf. Chargé de financer les dépenses de l’enfance et de la jeunesse, ce fonds bénéficiait en 2017 d’une enveloppe de 6,33 milliards d’euros et devait, selon la précédente COG, progresser de 7,5 % par an afin de remplir l’objectif de François Hollande de créer 100 000 places en crèche sur la durée de son quinquennat. La réalité fut moins ambitieuse. Pour différentes raisons, seules 61 800 places supplémentaires ont vu le jour sur la période 2014-2018, tandis que le Fnas bénéficiait de hausses annuelles plus proches de 6,8 %. Le gouvernement devrait prétexter ces objectifs non atteints pour, selon ce document, caper à 2 % la progression de ce fonds.

Pour tenir l’objectif de 30 000 places supplémentaires destinées aux plus pauvres, notamment aux familles monoparentales, les communes devront donc mettre au pot. Et pas qu’un peu. D’après les projections réalisées par les services de la Cnaf, et malgré les « bonus mixité » destinés à encourager l’accueil d’enfants de familles pauvres ou porteurs de handicap, le reste à financer par place va s’envoler de 21,8 %, en moyenne, pour les collectivités. En se basant sur un objectif d’augmentation des capacités d’accueil de 9 % en 2022, une ville comme Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) verrait son reste à financer passer de 9,7 millions d’euros en 2016 à 12,6 millions en 2022, soit 2,9 millions d’euros de plus à trouver. Facture équivalente pour Montreuil et astronomique pour Marseille, qui devrait dégoter 12 millions d’euros supplémentaires en 2022. Une augmentation qui va surtout frapper, comme le reconnaissent les auteurs de la note, « des communes où les besoins sont forts et où le potentiel financier est faible ». Une aberration lorsque l’on sait que cette charge financière est la raison principale du manque de créations de places. « Un phénomène qui freine de plus en plus l’accroissement du parc de crèches », constatait un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2017. En cas d’adoption, la nouvelle convention devrait donner un nouveau coup de frein. Désormais, les collectivités hésiteront toujours plus avant de réaliser ces investissements ou délégueront au privé cette mission de service public. Entre 2013 et 2017, un tiers des créations ont concerné des microcrèches, en majorité privées. Des structures où, note Michel Coronas, « la pression sur les personnels est extrêmement forte et les prestations de services moindres ».

UNE MISSION IMPOSSIBLE : « FAIRE MIEUX AVEC MOINS »
Preuve que le schéma de financement n’est pas suffisamment incitatif pour ses villes aux moyens faibles, où les besoins sociaux sont déjà importants, les auteurs de la note précisent que si « le nombre créé dans des territoires prioritaires devrait être significatif, la branche n’aura pas d’objectif quantitatif pour ces quartiers ». Pour le gouvernement, ce serait coup double. En pratiquant ainsi, il pourra facilement se dédouaner de n’avoir pas atteint les 30 000 créations de places en crèches annoncées et récupérer les moyens budgétés mais non dépensés. D’autant que la COG contient une clause de revoyure. À l’automne dernier, la nomination à la tête de la Cnaf de Vincent Mazauric, ex-directeur général adjoint des finances publiques, en inquiétait certains. Son but ? Laisser aux services, aux collectivités et aux structures d’accueil le soin de remplir une mission impossible : « faire mieux avec moins ». Comme le montre cette note interne, pour le mieux, on attendra. Pour le moins, en revanche, c’est pour bientôt.