Industrie pharmaceutique

L’Industrie pharmaceutique. Pleins feux sur l’opacité des contrats dans la course aux vaccins

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Le 18 novembre 2020

Prix fixés par les labos, brevets soigneusement protégés, clauses transférant la responsabilité aux États en cas de pépin… Les grandes puissances capitalistes font la fortune de Big Pharma, mais surtout privent le monde des moyens d’enrayer la pandémie.

Il y a ce qu’on dit et ce qu’on fait. Rarement, le fossé aura pu paraître si profond qu’aujourd’hui, en pleine pandémie de Covid-19. Le décalage n’est pas simplement choquant, il est criminel car des millions de vies sont en jeu. D’après un modèle mathématique élaboré en septembre par un département spécialisé de la Northeastern University, le Mobs Lab, à Boston (États-Unis), le scénario dans lequel les pays les plus riches confisquent les premières doses de vaccins provoquerait deux fois plus de décès qu’un autre basé sur une répartition équitable de ces produits sur la planète : dans le second cas, 61 % des morts dues à la pandémie pourraient être évitées, contre 33 % dans le premier.

Or, comme le démontre aujourd’hui en détail l’Humanité (voir nos infographies), derrière les discours plus généreux les uns que les autres sur le vaccin qui devrait impérativement être un « bien public mondial », sûr, efficace et accessible à un prix abordable dans le monde entier, les grandes puissances capitalistes raflent littéralement, à travers le mécanisme opaque des engagements d’achats à l’avance (« advance purchase commitments »), tous les premiers stocks de doses mises au point par les multinationales occidentales et disponibles, peut-être, à partir de la fin de l’année. D’après nos calculs, les États-Unis, l’Union ­européenne, le Royaume-Uni, la Suisse, le Canada, le Japon et l’Australie détiennent d’ores et déjà dans leurs portefeuilles respectifs un total de près de 6 milliards de vaccins potentiels – préachats fermes et options confondus –, alors que le mécanisme de mutualisation Covax, mis en place sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ne peut prétendre, à ce stade, qu’à quelques centaines de millions de doses à répartir entre 92 pays parmi les plus pauvres de la planète…

Après les communiqués aussi fracassants que parcellaires de Pfizer-BioNTech et de Moderna sur l’efficacité de leurs vaccins, le marketing mondial turbine et le casino spéculatif tourne plus que jamais à plein régime pour Big Pharma. Dans le secteur, les fortunes explosent : celles de Stéphane Bancel, président actionnaire français de la start-up américaine qui appelle l’Europe à remercier Trump pour avoir « financé à 100 % » son vaccin, ou de son concurrent Albert Bourla qui a vendu 60 % de ses titres Pfizer pour la bagatelle de 4,7 millions d’euros la ­semaine dernière. Mais il y a mieux encore avec les frères Andreas et Thomas Struengmann qui, détenteurs de 51 % du capital de BioNTech, se sont enrichis depuis quelques mois de 6,7 milliards d’euros, alors même que l’Allemagne et la Banque européenne d’investissement sortaient leurs carnets de chèques pour apporter sans contrepartie à leur boîte un montant de 475 millions d’euros.

Un bien pratique « secret des affaires »
Quelle aubaine pour le marché, vraiment, ce nouveau coronavirus, et à plus d’un titre : toute la recherche, ou presque, a été menée dans le secteur public, mais les brevets sont bien à l’abri dans le giron des multinationales pharmaceutiques, malgré les appels, largement ­infructueux jusqu’ici, à placer tous les éléments de propriété intellectuelle et les savoir-faire sur la plateforme dédiée au partage des technologies créée par l’OMS ; entraînés par l’administration Trump outre-Atlantique dans une compétition extrêmement agressive, les États les plus riches se pressent pour financer directement les multinationales dans leurs essais, mais aussi pour la fabrication ou la logistique ; les grands labos gardent la possibilité de fixer librement leurs prix sans aucun contrôle ; certains contrats – ceux d’AstraZeneca, en tout cas – prévoient des clauses reportant sur les pouvoirs publics la responsabilité en cas d’effets indésirables non repérés lors de la phase de recherche et développement, etc.

Les mastodontes de Big Pharma ne sont grands que parce que les États sont à genoux devant eux… Et dans cette séquence, l’Union européenne est encore plus à plat ventre que les États-Unis. Alors que les Américains, absents de l’initiative multilatérale de solidarité Covax, ne dissimulent pas les prix souvent exorbitants auxquels ils ont précommandé les stocks de vaccins, les Européens, très loquaces sur leurs engagements solidaires, mais largement virtuels, avec les pays du Sud, se retranchent, eux, derrière le « secret des affaires » pour ne rien laisser filtrer ni de la facture de leurs achats, ni de leurs clauses exactes. Toutefois, si – hypothèse hautement probable – l’Union européenne achète à des tarifs similaires à ceux en vigueur outre-­Atlantique, on peut estimer à plus de 23 milliards d’euros le montant dépensé en précommandes, fermes ou avec option, ces derniers mois pour son propre compte. Une somme faramineuse qui rend tout d’un coup nettement moins spectaculaires les promesses de dons de quelques centaines de millions d’euros, annoncées plusieurs fois ces derniers mois, au profit de l’initiative Covax, même si, évidemment, les États membres de l’UE seront invités à donner à leur bon cœur une part de leurs stocks aux pays du Sud…

Toute l’Europe bientôt exaspérée
Doublée de cynisme et d’hypocrisie, cette opacité entretenue par la Commission européenne, qui négocie les accords commerciaux avec les grands labos occidentaux au nom des Vingt-Sept, commence à exaspérer dans toute l’Europe. La semaine dernière, au Parlement européen, sous la pression des parlementaires de gauche et écologistes, mais également désormais de quelques centristes comme le macroniste Pascal Canfin, Stella Kyriakides, la commissaire à la Santé, a biaisé en promettant de présenter prochainement à quelques eurodéputés triés sur le volet, non pas les contrats en tant que tels, mais quelques « informations » sélectionnées à leur sujet… « La Commission réussit le tour de force d’être moins transparente que les États-Unis, et même que l’industrie pharmaceutique, dénonce le député belge Marc Botenga, membre du groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE-NGL) et animateur de la campagne européenne Right2Cure. On a reçu ici les représentants de Sanofi et de Curevac, et ces derniers ont, eux, promis de rendre disponibles les contrats. Être en retard sur Trump et Big Pharma, c’est un comble, quand même ! »

Par Thomas Lemahieu

Autour de spoutnik-v, Poutine veut rassembler les Brics

À l’occasion d’un sommet les réunissant, le président russe a appelé les pays du groupe dit des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) à s’unir autour du Spoutnik-V, le vaccin développé par l’institut de recherches Gamaleya à Moscou, qui revendique une efficacité de 92 % contre le Covid-19. « Des vaccins russes existent, ils sont efficaces et sûrs, estime Vladimir Poutine. La question qui reste est celle de leur production de masse. » Des coopérations existent déjà, puisque des essais cliniques de ce candidat vaccin sont en cours au Brésil et en Inde.