Les professionnels de santé

L’Ordre National des Infirmiers alerte sur la situation des 700 000 infirmiers de France alors que l’épidémie s’accélère à nouveau

Octobre 2020, par Info santé sécu social

Résultats d’une consultation à laquelle près de 60 000 infirmiers ont répondu, sur l’impact de la crise sanitaire sur leurs conditions de travail

Alors que plusieurs métropoles sont désormais classées en zone « alerte renforcée », voire « maximale » et que les épidémiologistes prévoient que la majorité de notre territoire le sera également dans quelques semaines, l’Ordre National des Infirmiers alerte sur une situation en tension pour les infirmiers. Si les indicateurs communiqués chaque jour – nombre de patients contaminés, nombre d’admission en réanimation, etc. – sont essentiels au suivi de la progression de l’épidémie, ne perdons pas de vue une autre donnée cruciale : celle des moyens humains. Ce sont en effet les professionnels de santé qui sont en première ligne pour prendre en charge les patients au quotidien. Dans une consultation réalisée début octobre 1 , les infirmiers décrivent une organisation fragilisée, parfois même en risque de rupture, et un état de fatigue et de découragement avancés. Dans ce contexte, adopter et mettre en place des mesures urgentes pour protéger les infirmiers à court terme et renforcer à plus long terme l’attractivité de la profession sont indispensables, si l’on veut pérenniser l’engagement des professionnels et en attirer de nouveaux.

Chiffres clés
 Quasi doublement des situations d’épuisement professionnel en quelques mois.
 Plus d’un tiers des infirmiers salariés indiquent être en effectifs réduits par rapport à la normale.
 57% des infirmiers salariés estiment ne pas disposer du temps nécessaire pour prendre en charge les patients.
 2/3 des infirmiers déclarent que leurs conditions de travail se sont détériorées depuis le début de la crise.
 Plus de 30% des infirmiers exercent des taches qui sortent de leur champ de compétences réglementaire pour faire face au surcroit d’activité général lié au Covid.
 43% des infirmiers ne savent pas s’ils seront toujours infirmiers dans 5 ans.

Des points de fragilité dans l’organisation
Dans un contexte de recrudescence de l’épidémie et alors que notre système de santé est entièrement mobilisé pour à la fois lutter contre l’épidémie de Covid19 et assurer la continuité des autres soins, la consultation réalisée début octobre montre certains points de fragilité inquiétants pour notre capacité collective à remporter ce marathon sanitaire prévu pour durer encore plusieurs mois.

46% des infirmiers déclarent que « des filières séparées covid/non covid ont été mises en place », en établissement comme en ville, alors que cette organisation permet à la fois de mieux soigner les patients covid+ et de garantir la continuité des soins indispensable à la bonne santé du plus grand nombre.

Par ailleurs, les effectifs sont d’ores et déjà en tension. Parmi les infirmiers exerçant en établissement, un tiers (33%) considère « être moins nombreux que d’habitude ». Avec une conséquence : des établissements médicaux en risque de rupture, puisque 57% des infirmiers exerçant en établissement indiquent « ne pas disposer du temps nécessaire pour prendre en charge les patients ».

En outre, les enseignements tirés de la première vague ne sont pas suffisamment pris en compte et 43% des infirmiers (46% pour les libéraux) ont le sentiment que « nous ne sommes pas mieux préparés collectivement pour répondre à une nouvelle vague de contaminations ». A cet égard, 47% des infirmiers (55% parmi les libéraux) considèrent « qu’on ne se repose pas suffisamment sur eux en ville pour lutter contre la covid et ses conséquences » (par exemple pour réaliser les tests de dépistage, poursuivre les soins des patients chroniques et/ou non covid, ou encore pour le suivi à domicile des patients contaminés).

Enfin, se pose la question des équipements de protection, qui se révèlent de nouveau en quantité insuffisante pour 44% des infirmiers (68% pour les libéraux).

Des infirmiers fatigués, malmenés et surchargés alors que les signaux sont au rouge sur une grande partie des métropoles

Dans ce contexte d’organisation parfois défaillante, et alors même que la 1ère vague du printemps dernier a rappelé au plus grand nombre leur rôle indispensable au sein du système de santé, les infirmiers subissent des conditions de travail dégradées :

 59% des infirmiers ont vu « leur charge de travail augmenter depuis le début de la crise » (75% pour les infirmiers salariés / exerçant en établissement) ;
 Près des 2/3 des infirmiers déclarent que « leurs conditions de travail se sont détériorées depuis le début de la crise » (64% pour les infirmiers salariés / exerçant en établissement) ;
 Près d’1 infirmier sur 5 « n’a pas pu prendre de congés depuis mars dernier » (29% parmi les libéraux !).

Par ailleurs, trop d’infirmiers se retrouvent confrontés à une forme d’insécurité réglementaire :

 30% des infirmiers « exercent des taches qui sortent de leur champ de compétences réglementaire pour faire face au surcroit d’activité général lié au Covid », aussi bien en ville qu’en établissement.
 3,5% des infirmiers déclarent avoir été invités à venir travailler alors qu’ils avaient été testés positif au covid19 (4,5% en établissement) ; Autre point important : 1 infirmier sur 5 a observé qu’il a été demandé à un de ses collègues de venir travailler bien que positif au covid (ce chiffre monte à 27% en établissement). Nous rappelons que la délivrance de l’arrêt de travail reste de la compétence du médecin. Toutefois, comme indiqué dans notre CP du 24 septembre 2020, nous recommandons que les infirmiers contaminés par la COVID 19, même asymptomatiques, soient maintenus en isolement.

Dans ces conditions, il parait urgent de revoir le décret qui encadre l’exercice de notre profession pour prendre en compte et officialiser ces compétences additionnelles, d’ores et déjà mises en œuvre au quotidien par les infirmiers.

Des infirmiers désabusés qui risquent de « jeter leur blouse »
Ces conditions de travail ont des conséquences graves sur l’état de fatigue et de santé des infirmiers, qui appellent à des mesures urgentes pour y remédier.

 33% des infirmiers déclarent « qu’ils étaient en situation d’épuisement professionnel avant la crise », ils sont aujourd’hui 57% à déclarer « être en situation d’épuisement professionnel depuis le début de la crise », avec « un fort risque d’impact sur la qualité des soins pour près de la moitié d’entre eux » (48%).
 Alors que 34 000 postes d’infirmiers sont vacants en cette rentrée 2020 et qu’il faudrait en créer encore plus pour répondre réellement aux besoins du terrain, ces conditions de travail dégradées nous font courir le risque de voir toujours plus d’infirmiers « jeter leur blouse » :

 37% des infirmiers estiment que « la crise que nous traversons leur a donné l’envie de changer de métier » et 43% « ne savent pas s’ils seront toujours infirmiers dans 5 ans ».

« Les infirmiers doivent aujourd’hui de nouveau faire face à la recrudescence des cas de Covid-19 et se sentent désarmés pour y parvenir, au point de se demander s’ils vont continuer à exercer leurs fonctions à l’avenir. Nous ne pouvons pas accepter cela. Les infirmiers sont indispensables au fonctionnement du système de soins. Au-delà des considérations de court terme et de gestion de crise, nous devons à tout prix revaloriser la profession infirmière, certes financièrement, mais aussi et surtout la rendre plus attractive, par exemple en permettant aux infirmiers d’évoluer tout au long de leur carrière, en reconnaissant leur contribution réelle à l’offre de soins, en leur permettant d’avancer vers davantage d’autonomie…

J’en appelle également à la responsabilité de chacun. Il est essentiel que les Françaises et les Français respectent scrupuleusement les gestes-barrières (distanciation physique, port du masque, lavage des mains régulier…) pour que nous puissions vaincre collectivement l’épidémie. »

Patrick Chamboredon, Président de l’Ordre National des Infirmiers.