Les mobilisations dans les hôpitaux

La Tribune - Année supplémentaire dans les déserts médicaux : la colère des internes en médecine générale

Octobre 2022, par Info santé sécu social

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2023 (PLFSS 2023) prévoit d’instaurer une quatrième année d’internat en médecine générale qui consistera en un stage à réaliser « en priorité » dans les « déserts médiaux ». Une solution pour pallier le manque de médecins dans ces zones délaissées mais qui est dénoncée par les internes. Interrogé par "La Tribune", l’InterSyndicale (ISNAR-IMG) dénonce « une année de formation sacrifiée » qui fait peser la responsabilité du manque de médecins sur ceux encore en formation.

Coline Vazquez
18 Oct 2022,

Selon Raphaël Presneau, président de l’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG), les internes en médecine générale travaillent en moyenne 58 heures par semaine.
Selon Raphaël Presneau, président de l’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG), les internes en médecine générale travaillent en moyenne 58 heures par semaine.

« Une année d’exploitation supplémentaire ». C’est ainsi que Raphaël Presneau résume l’article 23 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2023 (PLFSS) qui sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 20 octobre. Ce PLFSS prévoit d’instaurer une dixième année de formation en médecine générale, soit une quatrième année d’internat.

Au-delà d’enrichir l’enseignement des futurs médecins, cette « phase de consolidation » qui sera « exercée exclusivement en pratique ambulatoire », c’est-à-dire dans des cabinets de médecine libérale ou dans des centres de soins et non à l’hôpital a, bel et bien, une autre vocation : celle de « favoriser les installations en sortie de scolarité dans les déserts médicaux ». « Les stages en pratique ambulatoire seront proposés en priorité dans des zones où la démographie médicale est sous‑dense », conclut le texte.

Faire d’une pierre deux coups, c’est également ce qu’a laissé entendre le ministre de la Santé, François Braun. Interrogé le 27 septembre sur FranceInfo à ce sujet, il assurait que cette nouvelle année d’internat serait « faite pour améliorer la formation des médecins généralistes, absolument pas pour résoudre le problème des déserts médicaux » tout en indiquant que le gouvernement allait « inciter très fortement » les étudiants à y faire leur stage bien que cela ne serait « pas obligatoire ». Inciter d’abord financièrement avec une « rémunération différente », mais aussi des « possibilités de logements » et des « maîtres de stage bien formés qui vont les accompagner ».

« Un discours contradictoire »
« Si on nous envoie dans un désert médical, cela veut dire qu’il n’y a pas de médecin. Et si on exerce sans la présence d’un professionnel, cela veut dire que nous n’avons plus besoin d’être formé. C’est donc un discours contradictoire », tranche Raphaël Presneau, président de l’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). « Vendredi, en marge des manifestations, nous, syndicats et associations, avons été reçus par le cabinet de François Braun. On nous a assuré que les internes seraient encadrés par des médecins. Mais quand on regarde la réalité du terrain, ce n’est pas possible, car il n’y a pas assez de maîtres de stage universitaire. Il y a bien eu une augmentation ces dernières années, mais c’est loin d’être suffisant », explique-t-il, à La Tribune, rappelant que les internes, dans le cadre d’un stage en ambulatoire, ne peuvent travailler qu’aux côtés de médecins déjà installés et avec une patientèle déjà connue par le praticien. Et de dénoncer « une année de formation sacrifiée et une année d’exploitation supplémentaire ».

Selon lui, une telle mesure ferait, qui plus est, courir le risque de voir des étudiants se détourner des études de médecine générale alors que la France en manque. « On ne remplit déjà pas l’intégralité des postes d’internes », signale Raphaël Presneau, pointant la difficulté de ce cursus universitaire.

« Ce sont des études précarisantes sur le plan financier, professionnel et personnel », estime-t-il, rappelant que le nombre d’heures travaillées en moyenne par les internes en médecine générale s’élève à 58 heures par semaine.

« Selon les études menées avec les autres syndicats et associations représentatives, 75% des étudiants en médecine souffrent de symptômes anxieux et 25% ont avoué avoir des idées suicidaires les 12 derniers mois », déplore-t-il.

Et de conclure : « On a plus que rempli notre part de marché ». Pas question donc, pour le syndicat, de faire reposer la pénurie de médecins dans les déserts médicaux sur les internes encore en formation.

« On paye les trente ou quarante ans de numerus clausus »
Selon lui, la solution passe par un plus grand nombre de médecins formés, déplorant que la génération actuelle « paye les trente ou quarante ans de numerus clausus » (*) . Ce quota d’étudiants admis en deuxième année d’études de santé a été supprimé depuis la rentrée 2021 dans le but d’augmenter les effectifs en études de médecine. Une mesure qui a permis de faire passer de 14.800 étudiants admis en deuxième année en 2020 à 16.600 en 2021 dans les quatre filières de santé (médecin, sage-femme, dentiste, pharmacien), indiquait le ministère de la Santé à 20 Minutes en novembre 2021. Sur ce total, 11.180 d’entre eux s’orientaient en médecine contre 9.300 l’année précédente.

Mais est-ce suffisant ? Pas dans l’immédiat. Et en attendant que davantage d’étudiants viennent grossir les rangs des internats de France, les syndicats continuent de faire entendre leur voix. Après la mobilisation de vendredi dernier qui, selon les estimations de l’ISNAR-IMG, a rassemblé 40% de grévistes parmi les internes, le préavis a été prolongé jusqu’à début novembre.
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NOTE

(*) Le numérus clausus a été instauré il y a cinquante ans, en 1971. Lire aussi : Déserts médicaux : la fin du numérus clausus, un impact à long terme sur les territoires (in La Gazette des communes, 9.12.2021)