Complementaires santé

La Tribune - Complémentaire santé pour tous : comment sortir du fiasco ?

Janvier 2017, par Info santé sécu social

Par Ivan Best

Prévue théoriquement le premier janvier 2016, la complémentaire santé d’entreprise pour tous les salariés est un échec. 40% des TPE ne l’offriraient pas à leurs salariés, étant donc hors la loi. Et, quand elle existe, les employés la refusent souvent. C’est par le dialogue au sein de l’entreprise qu’il serait possible de sortir de ce fiasco.

Comment une « belle idée » syndicale, celle d’offrir une assurance complémentaire santé à tous les salariés du privé, a-t-elle pu déboucher sur un tel fiasco ? Un après l’entrée en vigueur de l’obligation pour tout employeur de prévoir une telle complémentaire, c’est le constat qui s’impose. Les employeurs concernés -des patrons de TPE, pour la plupart, les autres ayant mis en place de longue date une telle assurance- sont mécontents, car c’est une nouvelle obligation qui leur est imposée, mais les salariés concernés le sont aussi, auxquels on a offert des contrats aux rabais, qu’ils ont donc, souvent, refusés.

Avant la réforme, un peu moins de cinq millions de salariés ne disposaient pas de complémentaire santé via leur employeur. Et, sur ces cinq millions, près de 500.000 n’avaient aucune couverture, tandis que la grande majorité disposaient de contrats individuels. Ce qui était annoncé lors du vote de la loi, en 2013, c’est un grand basculement de l’assurance individuelle vers des contrats collectifs d’entreprise, pour ces cinq millions de salariés. Et une hausse du taux de couverture par une complémentaire santé.

1% de salariés couverts en plus

Quelle est la réalité, un an après l’échéance du premier janvier 2016 ? « La progression du taux de couverture a été d’un point » seulement, estime Stéphane Junique, président de la première mutuelle santé française, Harmonie Mutuelle. Plus précisément, 94% des Français étaient auparavant couverts par une complémentaire santé, et cette proportion atteint désormais 95%. Tout ça pour ça ? A la suite de l’accord entre partenaires sociaux sur cette généralisation, le gouvernement a décidé la taxation de la contribution de l’employeur à la complémentaire - augmentant ainsi l’impôt sur le revenu de la moitié des ménages français. Et Marisol Tournaine a imposé des contrats dits responsables, répondant à des normes très strictes, qui aboutissent à une hausse du reste à charge pour les malades ayant affaire à des médecins pratiquant les dépassements d’honoraires. Bref, le gouvernement a bouleversé cet écosystème, pour faire progresser d’un seul petit point le taux de couverture...

S’agissant du basculement de l’individuel vers le collectif, il n’a pas vraiment au lieu. Les données diffusées Harmonie Mutuelle sont éloquentes : sur 4,3 millions de personnes couvertes par cette mutuelle -chiffre stable d’une année sur l’autre- 53% sont assurées en collectif, contre 50% avant la généralisation de la complémentaire, signe logique d’une tendance au basculement vers une assurance en entreprise. C’est donc à peine l’amorce d’un passage de l’individuel au collectif.

40% des TPE seraient hors la loi

Plus généralement, un double phénomène se produit, qui explique l’échec de l’ambition de la CFDT. Premièrement, les salariés ont eu tendance à refuser les contrats aux rabais. En théorie, ils n’ont pas le choix, et doivent prendre ce que leur propose leur employeur. En réalité, des cas de dispense existent, que les salariés ont fait jouer à plein. En moyenne, dans les PME, six sur salariés sur 10 ont préféré faire jouer ces clauses de dispense, estimait Christophe Scherrer, directeur général adjoint de Malokoff Médéric, en février 2016. Autrement dit, seule une minorité de 4 salariés sur 10 acceptaient le contrat de leur employeur ! La plupart préféraient rester avec leur ancienne assurance individuelle ou s’affilier sur celle du conjoint. Cette proportion de refus a baissé depuis, mais environ la moitié des salariés d’entreprises ayant bel et prévu un contrat sont encore en situation de dispense, selon les estimations des assureurs.

Deuxièmement, beaucoup d’entreprises ne respectent pas la loi. Selon Harmonie Mutuelle, 20% des entreprises françaises n’ont toujours pas satisfait à l’obligation légale d’offrir une complémentaire à leurs salariés. Cette non couverture concernerait donc encore 5 à 6% des salariés. Aucune sanction n’étant prévue, si ce n’est un éventuel recours d’un employé devant les prud’hommes, certains employeurs ne se pressent pas vraiment. S’agissant des TPE, entreprises versement concernées par la complémentaire santé pour tous (les autres étaient équipées auparavant), « la proportion de non respect de la loi atteint même 40% », selon Hubert Gorron, directeur général du groupe MGC.

Une "mise en œuvre pas terminée"

De façon très sobre, Harmonie Mutuelle conclut que cette réforme « n’est pas suffisante » et que sa « mise en œuvre n’est pas terminée ». Cette réforme favorisant théoriquement l’assurance collective (via l’entreprise) au détriment de la complémentaire au niveau individuel, aurait dû impacter fortement et négativement les mutuelles, spécialisées dans l’individuel. Compte tenu du refus de nombre de salariés d’être affiliés à l’assurance proposée par leur employeur, les mutuelles ont, en fait, relativement bien résisté, même si elles perdent certainement des parts de marché, prolongeant une tendance de plusieurs années. Comme l’expliquait Christophe Scherrer

« Notre travail, c’est de convaincre les salariés d’adhérer au contrat proposé par leur employeur. Cela explique largement pourquoi la montée en puissance de l’ANI sera étalée dans le temps. Et pourquoi la distinction habituelle entre assurance collective et individuelle tend à disparaitre : désormais, il ne suffit plus de signer avec l’employeur, il faut presque aller voir les salariés un par un. C’est ce que nos experts marketing appellent le « B to B to C ». Cela peut prendre en pratique la forme d’une réunion des salariés sur le site de l’entreprise .... »

Très bons résultats pour Generali

Tant d’un point du vue politique que business, la complémentaire santé pour tous, qui s’annonçait comme une véritable révolution dans le monde de l’assurance santé, n’a donc pas tenu ses promesses.

Ce qui n’empêche pas certains acteurs d’afficher une réussite commerciale. D’aucuns annonçaient une percée des bancassureurs -le Crédit Agricole, par exemple, avait annoncé miser beaucoup sur l’ANI- , elle n’a pas vraiment eu lieu, même si la Banque verte se félicite de bons résultats. Les Institutions de prévoyance, mises à mal par la fin des désignations -la possibilité pour les partenaires sociaux d’imposer un opérateur à toutes les entreprises d’une branche- et que l’on annonçait perdantes, ont en relativement bien résisté. Même s’il n’y pas de quoi pavoiser. Le chiffre d’affaires de Malakoff Médéric est, ainsi, resté stable, en 2016.

Les vrais gagnants, ce sont les assureurs qui ont voulu s’implanter de façon offensive sur ce marché, et qui l’ont fait en proposant des prix très attractifs aux patrons de TPE, qui sont déjà, souvent, leurs clients par ailleurs. Ils sont aussi passés par des agents généraux, qui se sont lancés très tôt dans la bataille commerciale. Le patron de Generali France, Eric Lombard, se félicite ainsi de très bons résultats. Il faut dire « qu’il a cassé les prix en proposant des contrats à 11 euros mensuels par salarié » affirme Hubert Gorron. Eric Lombard craignait de perdre beaucoup d’assurés en individuel, cela n’a pas été finalement le cas. Gagnant sur tous les tableaux, donc.

Le marché est-il désormais figé ? Non, notamment en raison des conséquences à moyen terme des politiques commerciales agressives.

Ainsi que le disait, Christophe Scherrer"Ceux qui pratiquent des prix très bas vont devoir les ajuster par la suite. Il y aura un redressement d’ici deux à trois ans, probablement. Il est difficile d’imaginer que des pertes sur la complémentaire santé soient compensées par des bénéfices par ailleurs. Tous les assureurs veulent équilibrer leurs comptes branche par branche ».

En termes très concrets, certains assureurs seront contraints d’augmenter fortement leurs prix, ce qui risque de faire fuir leurs clients.

Sortir par le haut

Comment faire en sorte que la complémentaire santé pour tous ressemble plus, à l’avenir, à une avancée sociale qu’à un échec complet ? Commenter persuader les patrons de TPE de rentrer dans le cadre de la loi ? Et les salariés d’accepter l’offre de leur employeur ?

« C’est sans doute par la communication et la négociation entre salariés et employeurs qu’il est possible d’améliorer la situation » avance Hubert Gorron. Si les patrons de TPE voulaient bien mettre la main à la poche, offrant à leurs salariés des assurances santé complémentaires convenables -pas à 15 euros par mois, mais plutôt à 30 euros !-, et si les salariés acceptaient, en contrepartie de cet avantage "en nature", de renoncer à des hausses de salaires, tout le monde pourrait sortir gagnant. Une complémentaire santé même d’un prix élevé est toujours moins coûteuse pour un employeur qu’une augmentation de salaire équivalente : le prix de l’assurance est partagé à 50/50 avec le salarié, la contribution de l’employeur n’est pas grevée par des charges patronales, et elle est déductible du bénéfice imposable.
Il faut donc que les fédérations patronales parviennent à convaincre leurs adhérents de faire un effort financier. Et que les patrons de TPE acceptent de nouer le dialogue sur le sujet avec leurs salariés, au lieu de ne rien prévoir ou de mettre en place de manière unilatérale des contrats au rabais.