Du centre à la droite

La Tribune - Macron relance le vieux débat de la retraite universelle par points

Mars 2017, par Info santé sécu social

Par Jean-Christophe Chanut

Emmanuel Macron ressuscite la vieille idée d’instaurer un régime de retraite unique par points où chacun pourrait choisir le moment de son départ à la retraite en fonction du nombre de points accumulés. Un système qui ne répond pas à la question de savoir quelle part de la richesse nationale les Français seraient-ils prêts à affecter à ce nouveau régime ?

Emmanuel Macron ressuscite la vieille idée d’instaurer un régime de retraite unique par points où chacun pourrait choisir le moment de son départ à la retraite en fonction du nombre de points accumulés. Un système qui ne répond pas à la question de savoir quelle part de la richesse nationale les Français seraient-ils prêts à affecter à ce nouveau régime ? (Crédits : © Charles Platiau / Reuters)

L’ancien ministre de l’Économie prône l’instauration d’un régime unique de retraite par points pour l’ensemble de la population. Une vieille idée qui soulève pas mal de difficultés.

Vers un système universel de retraites ? Emmanuel Macron, en présentant le 2 mars son programme présidentiel, a ressuscité cette vieille idée d’instaurer une retraite par points pour tous : exit donc les régimes spéciaux et le régime spécifique aux fonctionnaires. Tout le monde bénéficierait des mêmes règles. Que dit exactement le programme d’Emmanuel Macron :

« Notre projet, ce n’est pas de changer encore une fois tel ou tel paramètre du système de retraites. Il n’est pas de sortir de la répartition. Il est de rétablir la confiance et de construire un système adapté aux parcours professionnels et de vie d’aujourd’hui et de demain. Il est de clarifier et de stabiliser les règles du jeu, une fois pour toutes, en mettant en place un système universel, juste, transparent et fiable, dans lequel chacun bénéficie exactement des mêmes droits. ».

Très concrètement, le leader du Mouvement En Marche ! suggère donc d’instituer un régime par points :

« Les cotisations, aux régimes de base comme aux régimes complémentaires, qu’elles soient versées sur les bases de revenus ou acquises au titre de la solidarité (pour les chômeurs par exemple) seront inscrites sur un compte individuel et revalorisées chaque année selon la croissance des salaires. Ainsi, chaque euro cotisé accroîtra de la même manière la pension future, quel que soit le statut du travailleur et l’origine de cette cotisation(...). Le total des droits accumulés sera converti au moment de la retraite en une pension, à l’aide d’un coefficient de conversion fonction de l’âge de départ et de l’année de naissance. »

Une question d’égalité et non pas financière

Pour Emmanuel Macron, ce système aurait le mérite de mettre tout le monde sur un pied d’égalité : « Fonctionnaires, salariés, indépendants auront tous les mêmes droits, le calcul de la retraite sera le même pour tous. On saura que, quand des personnes ont une retraite plus élevée, c’est qu’elles-mêmes, leurs employeurs, ou l’État au titre de la solidarité, ont cotisé davantage ».

L’ancien ministre de l’Économie insiste bien sur ce point, la vraie question est de créer une égalité devant la retraite, pas de résoudre un problème financier. Selon lui, en effet, après plus de vingt ans de réformes successives (1993, 2003, 2008, 2010, 2014 !), « le problème des retraites n’est plus un problème financier. Les travaux du Conseil d’orientation des retraites, qui font référence, le montrent ».

Certes, ce que dit Emmanuel Macron est partiellement exact, mais, en réalité, le COR se montre plus prudent. Selon son rapport annuel de juin 2016, les projections financières s’amélioreraient à l’horizon 2020 et ceci dans tous les scénarios économiques envisagés (avec une croissance annuelle variant de 1% à 2% et un taux de chômage stabilisé à 7% d’ici à dix ans, contre environ 10% actuellement). Le solde financier total de l’ensemble des régimes privés et publics s’établirait alors à -0,2% PIB, soit un déficit de 4 milliards d’euros.

A moyen terme, le système de retraite pourrait revenir à l’équilibre dès le milieu des années 2020, puis dégager des excédents, a la condition d’une croissance.... comprise entre 1,8% et 2%. Mais, à inverse, le système "resterait durablement en besoin de financement en cas de croissance des revenus d’activité inférieure à 1,5% par an à long terme". Dire que la question du financement des retraites est réglée s’avère donc légèrement optimiste.

Un régime unifié, une vieille idée...

Quant à l’idée d’instituer un régime par points, elle ne date pas d’hier. Mais son application se heurte depuis des années au casse-tête de la période de transition. Comment faire pour modifier progressivement les paramètres ?

Déjà, durant sa campagne électorale de 2012, le candidat François Hollande avait évoqué une « réforme systémique » des retraites, beaucoup plus ambitieuse que la réforme qui sera finalement votée en 2014. Il était soutenu sur ce point par la CFDT, qui milite aussi fortement depuis longtemps pour des modifications d’ampleur.

Même avant cela, et c’est un peu oublié, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la loi de 2010 réformant les retraites prévoyait dans son article 16 « qu’à compter du premier semestre 2013, le comité de pilotage des régimes de retraite organise une réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique de la prise en charge du risque vieillesse. Parmi les thèmes de cette réflexion, figurent [...] les conditions de mise en place d’un régime universel par points ou en comptes notionnels, dans le respect du principe de répartition ».

De fait, l’idée récurrente, reprise par Emmanuel Macron, est en effet d’aller vers un régime de base unique pour l’ensemble des salariés, du public comme du privé, à l’instar de ce qui existe déjà dans des pays comme le Canada, les États-Unis, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou la Suède. Cette idée, d’ailleurs, n’est pas nouvelle. Le programme du Conseil national de la résistance la prévoyait. Mais, en 1945, elle n’a pu être réalisée, certains régimes spéciaux voulant sauvegarder leur indépendance ayant refusé une intégration dans un régime généralisé (agriculteurs, indépendants, etc.). Résultat, coexistent actuellement en France plus de 30 régimes de retraite de base.

... difficile à mettre en place

Comme le souligne fort justement Emmanuel Macron, le régime unique aurait pour principale qualité de mettre fin aux inégalités de traitement face à la retraite. Des inégalités de plus en plus dénoncées par les salariés affiliés au régime général au fur et à mesure que les règles régissant les retraites se durcissent (surtout depuis la réforme Balladur de 1993) en raison du déséquilibre démographique (selon le COR, de 2,1 cotisants par retraité en 2010, le ratio démographique devrait passer à 1,65 cotisant par retraité en 2020 et à 1,4 en 2040) et donc des difficultés de financement. Ce mouvement vers l’unification, on en perçoit déjà quelques prémices. Au niveau institutionnel, d’abord, avec un mouvement de rapprochement de diverses caisses. Ainsi la création en 2006 du Régime social des indépendants (RSI), né de la fusion de la Cancava (artisans) et de l’Organic (industriels et commerçants)... Et ce n’est certes pas un grand succès. Les régimes des professions libérales également, sont unifiés et gérés depuis 2004 par la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL). Sans parler, pour les régimes complémentaires, cette fois, de l’union de plus en plus étroite entre l’Arrco (salariés) et l’Agirc (cadres).

Mais cette marche vers un régime unique, on la retrouve également dans les règles régissant les différents régimes. Ainsi, ce n’est peut-être pas assez dit, mais depuis la réforme de 2003, le régime de base de retraite des fonctionnaires a perdu de son attrait : alignement de la durée d’assurance requise pour bénéficier du taux plein sur celle applicable dans le régime général, indexation des pensions sur l’indice des prix hors tabac.

Un mouvement qui s’est poursuivi après la réforme Woerth de 2010 : report progressif de l’âge de la retraite (60 à 62 ans pour les sédentaires), suppression du dispositif de départ anticipé pour les parents de trois enfants après quinze ans de carrière. Après la réforme de 2014, la cotisation retraite des fonctionnaires a progressivement augmenté pour atteindre une hausse de 0,15% en 2017. Idem pour la durée de cotisation qui passera de 41,5 ans à 43 ans d’ici 2035

Mais il reste tout de même une grande différence, celle qui énerve le plus les salariés du privé : les pensions des fonctionnaires sont toujours calculées sur la base du traitement de référence des six derniers mois, hors prime, au lieu de la prise en compte des 25 meilleures années dans le privé, depuis la réforme Balladur de 1993 (auparavant, le calcul s’effectuait sur la base des 10 meilleures années). La commission qui avait planché sur la réforme de 2014 suggérait avec prudence de remettre en cause progressivement ce mode de calcul, avec une étape, par exemple, passant par la prise en compte des trois dernières années au lieu des six derniers mois.

Même les régimes spéciaux (SNCF, RATP, etc.) ont commencé doucement à évoluer depuis la réforme de 2008 : recul progressif de l’âge de la retraite (mais selon un calendrier particulier, il est vrai), introduction d’un mécanisme de surcote et de décote, etc.

Vers un régime à la carte et par points

Pour autant, la marche vers une égalisation des régimes de retraite est encore un long chemin. Et comment parvenir à ce mythique régime unique ?

L’hypothèse la plus généralement retenue, c’est d’ailleurs donc celle retenue par Emmanuel Macron, est l’institution d’un régime par répartition fonctionnant à la carte et par points. C’est, en tout cas, le dispositif proposé par des économistes classés à droite comme à gauche.... Ce qui ne peut que plaire au positionnement adopté par l’ancien ministre de l’Économie.

Ainsi, l’Institut Montaigne, d’obédience plutôt libérale, plaidait dans une note de juin 2010 - « Réformer les retraites : pourquoi et comment » - pour l’instauration d’un régime unique remplaçant les régimes obligatoires et complémentaires actuels. Ce régime unique, détaillait la note, « rétablirait l’égalité, à condition que toute contribution se traduise par l’obtention de points dans le respect du principe "à contributions égales, droits égaux", ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ».

La notion d’âge légal de départ à la retraite serait supprimée et remplacée par celle de « plage légale » (par exemple à partir de 55 ans et jusqu’à 70 ans). Chaque bénéficiaire serait ainsi en mesure de décider librement du moment où il se retire en liquidant tout ou partie de sa pension. Bien entendu, ce principe devrait respecter la neutralité actuarielle.

Concrètement, explique l’Institut Montaigne, si l’on part plus tôt, on touche moins, mais plus longtemps. Ainsi, en attribuant un coefficient 1 à la pension mensuelle due à 60 ans, et un coefficient 1,25 en cas de départ à 65 ans, « on offre la liberté de choix aux assurés sociaux sans que cela pose des problèmes à la Caisse de retraite : ceux qui préfèrent partir tôt en ayant moins chaque mois le font ; ceux qui préfèrent partir plus tard pour disposer de plus d’argent chaque mois le font. Les choix individuels ne perturbent pas l’équilibre financier du système de retraite ».

En outre, ce système devrait obéir à certaines règles pour ne pas connaître de déséquilibres : adopter le principe des cotisations définies ; ne distribuer aux retraités que ce qui provient des cotisations prélevées sur les actifs, « à un taux raisonnable » ; s’interdire de recourir à l’emprunt.

C’est un « big-bang » assez semblable que proposaient les économistes Antoine Bozio et Thomas Piketty dans leur ouvrage « Pour un nouveau système de retraite » (éditions Rue d’Ulm, 2008). Eux aussi, à la multiplicité des caisses et régimes actuels, opposaient l’instauration d’un système unique où chaque individu accumulerait des points de retraite durant sa vie professionnelle. Ces points seraient porteurs d’un intérêt réel indexé sur l’évolution de la masse salariale. Chacun déciderait de sa date de départ à la retraite : il n’y aurait plus d’âge légal. Et la pension serait alors calculée en fonction du nombre de points accumulés et de l’espérance de vie moyenne à l’âge choisi pour se retirer de la vie active. Les avantages non contributifs (ceux versés sans rapport avec les cotisations) seraient financés par l’État ou d’autres prélèvements spécifiques.

Quelle part du PIB affecter aux retraites ?

Emmanuel Macron dispose donc de travaux antérieurs pour nourrir sa réflexion sur un « big-bang » des retraites. Mais, même après l’éventuelle instauration d’un régime par points, sachant, répétons-le, que les modalités de la période de transition sont extrêmement difficiles à régler (d’ailleurs le plan Macron prévoit que les salariés à 5 ans de la retraite ne seraient pas concernés par le nouveau dispositif) une question demeurera. En effet, un régime unique par point ne résoudrait pas la question du financement du déficit démographique. Il resterait alors un sujet épineux à régler pour déterminer le montant des cotisations, de la valeur du point et des pensions : quelle part du PIB les Français seraient-ils prêts à affecter à ce nouveau régime ?

Actuellement, déjà, le coût des retraites représente environ 13 % du PIB. Sans les multiples réformes intervenues depuis 1993, il atteindrait 18 %. Selon l’Insee, le poids des dépenses d retraites devrait s’alléger à compter de 2025 pour représenter 11,2% du PIB, grâce à l’ensemble des réformes adoptées jusqu’ici.