Protection sociale

La Tribune - Pourquoi la protection sociale va rester au centre du débat public

Janvier 2017, par Info santé sécu social

Pour la première fois dans une campagne présidentielle, la question de la protection sociale est au centre du débat.

Par François Charpentier, journaliste.

Pour la première fois dans une campagne présidentielle la question de la protection sociale est au centre du débat. Et elle intéresse manifestement les Français conscients que c’est leur bien commun qui est sur la sellette. Les spécialistesde ces questions qui désespéraient de voir les politiques s’emparer un jour de ce sujet sérieux ne trouveront qu’à s’en féliciter. Rendons à César ce qui lui revient, c’est à François Fillon que nous devons cette situation nouvelle, le paradoxe étant qu’en abordant ce dossier, il se soit tiré une balle dans le pied. Fort de son succès surprise à la primaire de la droite, il a en effet péché par orgueil.

Il s’est jugé suffisamment bien placé pour dire clairement à ses électeurs que la situation financière de l’assurance maladie imposerait des choix douloureux écartant notamment du remboursement des dépenses liées à des affection bénignes. En plein épisode grippal, l’annonce tombait on ne peut plus mal.

Fillon aurait été inspiré de relire l’histoire de la sécu

Il aurait été sage pour le candidat de droite de relire l’histoire. Il aurait appris qu’en 2002, Jacques Barrot, ancien ministre de la Santé et des Affaires sociales de 1979 à 1981, à l’époque président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, avait mis le feu à la Sécurité sociale en parlant d’opérer une distinction entre "gros risque" et "petit risque". Son faux pas aujourd’hui constitue une véritable aubaine pour les socialistes en panne de chef depuis la reddition de François Hollande, mais aussi pour Emmanuel Macron, qui ont réussi à convaincre une partie de l’électorat de droite que le démantèlement de l’assurance maladie serait en route avec l’élection de François Fillon. Acculé sur ce dossier piégé, reculant très sérieusement dans les sondages au point de repasser derrière Marine Le Pen, le candidat des Républicains a fait amende honorable et annoncé qu’il reverrait sa copie d’ici à quelques semaines. La protection sociale est donc appelée à rester sous les feux de l’actualité.

"Touche pas à ma Sécu !"De cet épisode il y a évidemment quelques leçons à tirer. D’abord, l’attachement des Français à la sécurité sociale ne se dément pas, en particulier dans une période où ils assistent tous les jours à la montée des inégalités. Ensuite, le renchérissement du coût de la santé est un sujet qui fâche. Les Français de ce point de vue ont pu constater ces dernières semaines que le coût de leur complémentaire s’envole et ils s’en alarment. Enfin, si la gauche est parvenue à enrayer la dynamique

Fillon, les problème posés, eux, restent en l’état et elle se doit évidemment de proposer des solutions alternatives.

Il en va à son tour de sa crédibilité. Sa posture sur ce dossier est d’autant plus délicate que Marisol Touraine pour préparer le terrain à une éventuelle candidature de François Hollande n’avait pas hésité ces derniers mois à maquiller grossièrement les chiffres des comptes 2015, 2016 et 2017 pour présenter aux Français un bilan financier tout à son avantage. Bien évidemment les experts, en particulier ceux de la Cour des comptes affichaient des résultats autrement plus alarmants, déplorant même que la question de l’assurance maladie n’ait pas été traitée depuis quinze ans au point de contribuer à une dramatique augmentation de la dette sociale dans des proportions inédites : plus de 150 milliards d’euros. Ce que vient de confirmer, le 4 janvier, le Haut conseil pour le financement de la protection sociale dans une note intitulée "État des lieux actualisé du financement de la protection sociale".

L’assurance vieillesse pas vraiment en bonne santé

Et si l’assurance vieillesse s’affiche un peu en meilleure santé c’est naturellement sans compter sur une promesse de croissance molle dans les dix ans à venir qui ne procurera pas des recettes à la hauteur des besoins liés au vieillissement des assurés. Quand aux régimes complémentaires Agirc et Arrco, ils sont à l’évidence promis à de graves difficultés. Allonger la durée des cotisations alors que l’on nous promet moins d’emplois du fait de la révolution numérique ? Baisser le montant des pensions alors qu’il faudrait aller vers une économie de la demande pour soutenir la croissance ?Augmenter lourdement les prélèvements ce qui ne manquerait pas de plomber la compétitivité ?

C’est finalement parce qu’ils sont conscients d’être dans une impasse qu’à gauche, comme quelque fois à droite, des voix s’élèvent pour qu’on sorte de la crise de financement la protection sociale à laquelle on assiste actuellement en changeant de système. D’où le débat sur le revenu universel d’existence.

De l’allocation au revenu universel

Remarquons d’abord que ce débat n’est pas nouveau. Au milieu des années 1980 déjà des voix s’étaient élevées pour réclamer la disparition de toutes les prestations sociales et leur remplacement par une allocation unique et personnelle de la naissance à la mort. Le journaliste-philosophe André Gorz (1923-2007) s’était fait le propagandiste de ce système prévoyant le versement à tout un chacun d’une allocation indépendante des revenus perçus par ailleurs, allouée à un individu et pas à un ménage, inaliénable, versée en espèces, sans restriction d’usage, sans être conditionnée par un travail et cumulable avec tous les revenus individuels. Benoît Hamon se fait aujourd’hui le promoteur de cette même idée, rebaptisée revenu universel d’existence" (RUE), et balaie d’un revers, de mains tous les arguments qui lui sont, opposés au motif que ce seraient les mêmes que ceux utilisés en d’autres temps par les détracteurs de la sécurité sociale, du RMI, de la CMU et du RSA.

Au passage, l’ancien ministre de l’Éducation oublie de rappeler qu’au milieu des années 1980, il y avait un relatif consensus en France quand la formule du RMI était testée par le député-maire centriste Pierre Méhaignerie en Ille-et-Vilaine et peaufinée au ministère du Travail par le socialiste Michel Delebarre. Le projet de loi fut d’ailleurs voté à l’unanimité, moins une voix, celle de la députée FN, Yann Piat. Et les montants en cause n’étaient pas les mêmes, le RMI laissant subsister la plupart des autres minima sociaux.

Une réforme qui n’est ni souhaitable...

Le projet de Benoît Hamon, qu’il est désormais quasiment le seul à défendre aujourd’hui, repose sur la disparition de la plupart des minimas sociaux et d’un certain nombre de prestations. Devant l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) il a précisé le 13 janvier qu’il laisserait intactes l’allocation personnalisée logement (APL) et l’allocation adulte handicapés (AAH). Ce revenu se substituerait à "tout ce qui relève de la maladie", mais pas à la totalité de l’assurance chômage" et "il ne pourrait se substituer à une retraite". Il a encore confirmé qu’il serait attribué dans une première étape aux 18 à 25 ans et son coût, pour un montant de 750 euros mensuels, serait au bas mot de 300 milliards d’euros financé par des économies de cotisations et des transferts d’impôt sur le revenu.

Les adversaires de ce projet le disent sur tous les tons, une telle réforme n’est ni souhaitable, ni possible. Ni souhaitable car cette idée d’octroyer une aide à toutes les personnes, quel que soit le niveau de leur revenu contredit la philosophie sur laquelle se fonde la sécurité sociale, autrement dit sur cette solidarité qui veut que l’on contribue selon ses moyens et que l’on reçoive selon ses besoins.

Cette réforme ne serait pas souhaitable, encore, car ce serait baisser les bras devant le chômage et s’accommoder d’une situation dans laquelle on accepterait que la révolution numérique détruise des emplois sans aucune compensation. C’est le point de vue de Manuel Valls qui dit se battre pour le travail. Elle ne serait pas souhaitable enfin car on voit mal
un jeune de 18 ans qui ne serait même pas entré dans une formation supérieure s’enfermer dans une situation d’oisiveté dans laquelle il serait autorisé à ne jamais sortir.

...ni possible

Cette réforme ne serait pas possible ensuite en raison de son coût estimé entre 300 et 600 milliards d’euros. Même échelonnée dans le temps, un premier transfert de 40 milliards en début de quinquennat, un second enfin de quinquennat et une généralisation… plus tard, les transferts à opérer paraissent insurmontables. Quand Benoît Hamon évoque l’impôt sur le revenu, il oublie de dire qu’avec moins de 50 % des ménages imposables, il ne rapporte en France que 72 milliards d’euros. Partant de là, pour opérer les transferts nécessaires dans une perspective de généralisation du, il faudrait immanquablement revoir à la baisse un certain nombre d’autres prestations maladie ou vieillesse. Ne serait-ce pas s’engager alors dans ce démantèlement de la sécurité sociale qu’on reproche à François Fillon ? N’est-il pas suspect d’ailleurs qu’un député de droite comme Frédéric Lefèbvre (Les Républicains) - mais il n’est pas le seul - se soit rallié à cette idée de régime universel ? N’est-ce pas précisément avec l’idée qu’il y a là une bonne occasion d’en finir avec une sécurité sociale que la droite combat depuis 70 ans ?

Des pistes pour la maladie

L’option du revenu universel ne paraissant guère crédible, il reste évi-demment à apporter la réponse au problème posé : comment rendre à la sécurité sociale sa légitimité, donc vocation première, "mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain" ? Comment lui donner les moyens financiers d’accomplir cette mission et d’atteindre l’objectif ? En matière d’assurance maladie, il est surprenant de constater la timidité affichée par certains candidats de gauche qui se refusent à poser brutalement la question des dépassements d’honoraires et à envisager des déconventionnements dans les situations les plus extrêmes. S’il est par ailleurs difficile en plein épisode grippal de préconiser des mesures d’économies dans les hôpitaux, il est tout autant compliqué de dire qu’il faut faire des économies, mais procéder à des milliers d’embauches pour remédier à une situation de pénurie de personnels que l’on a soi même créé depuis la mise en oeuvre des 35 heures.

Dans ces conditions, faute de marges de manoeuvre, le plus probable sera que le numérique et l’intelligence artificielle seront de plus en plus sollicités et mis au service de la santé, soit en amont pour développer la prévention grâce aux objets connectés, soit en aval pour mettre en place une médecine et une chirurgie ambulatoires moins dévoreuses de lits, donc beaucoup moins coûteuses. Au delà, la multiplication des maisons de santé, un usage plus large des médicaments génériques, une autre distribution des professionnels de santé sur le territoire, une énième mais vraie réforme hospitalière peuvent s’envisager sans que l’on soit certain que ces remèdes prescrits de longue date soient à la hauteur du mal.

Vers un grand régime universel ? Et après ?

De sorte qu’il faut regarder de près la proposition que viennent d’avancer deux spécialistes de la santé (Le Monde du 15 janvier 2017), Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé à Sciences Po et Martin Hirsch, directeur de l’Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP). Selon eux, à partir du moment où les complémentaires santé sont obligatoires, on ne voit pas pourquoi on aurait, d’un côté une assurance maladie universelle, de l’autre quelque 500 organismes complémentaires, cet appareillage complexe générant quelque 12,5 milliards de frais de gestion. Fusionnons le tout et mettons en place un grand régime universel. Ce serait plus clair, plus simple et plus transparent. De plus, non seulement on réalisera d’importantes économies de gestion, mais au surplus cette couverture unique ferait disparaître la CMU (couverture maladie universelle), l’ACS (aide à la complémentaire santé) et même les ALD (affections de longue durée remboursées à 100%). L’idée est évidemment séduisante. Sauf que réaliser des économies de gestion c’est un peu "le fusil à un coup" et que ce faisant, on ne s’attaque pas à la dynamique des dépenses. Moyennant quoi, le déficit réapparaîtrait ultérieurement. Second inconvénient de la manoeuvre, on fait disparaître les mutuelles qui ont dans un passé récent assuré le soutien financier de la gauche non communiste. Alors que le PS est à l’agonie, ce serait évidemment lui donner le coup de grâce.

Basculer en régimes par points

Si le chemin qui mène à des économies dans la santé est malaisé, personne ne s’aventure à en proposer en matière de retraite. De fait, la gauche sait très bien que pour réaliser des économies, il faudrait une fois pour toutes harmoniser les pensions des secteurs privé et public. Passer d’un régime en annuités à un régime en points permettrait, donc de passer d’un système redistributif à un système contributif dans lequel le montant des pensions serait strictement fonction des cotisations versées. Facile à dire, mais beaucoup plus difficile à faire quand les salariés du secteur public qui soutiennent la gauche n’accepteraient pas de renoncer spontanément à leurs privilèges : départs en retraite plus précoces que dans le privé, calcul des pensions sur les six derniers mois d’activité et jusqu’à ces dernières semaines, à EDF, par exemple, retraite octroyée pour les mères de trois enfants après 15 ans de service... .

S’agissant de la remise à niveau des retraites complémentaires Agirc- Arrco, elle passe par la disparition du régime des cadres, donc par une rupture avec la période bénie où l’on faisait miroiter aux Français qu’ils finiraient tous cadres, letés de retraites abondantes. Ce n’est évidemment pas un sujet que les candidats vont mettre sur la table dans une campagne où ils cherchent à gagner la sympathie des électeurs…

Un début de discours sur la dépendance

Et puis, c’est encore une nouveauté de cette campagne, pour la première fois on y parle de la dépendance. Et pas seulement pour déplorer que rien de très sérieux, à l’exception d’une meilleure prise en compte des problèmes spécifiques des aidants familiaux, n’ait été fait au cours du quinquennat qui s’achève. Toutefois, la mise en place d’une "super APA" (aide personnalisée à l’autonomie), version Montebourg, ne saurait tenir lieu de réponse pour faire face à une situation qui exige de repenser la politique de la ville et de l’habitat pour tenir compte des besoins des plus âgés, voire d’imaginer des modes de gestion du patrimoine qui permettent de mieux financer les investissements d’aujourd’hui tout en garantissant aux plus âgés la prise en charge de leurs besoins en cas de perte d’autonomie. Là aussi il y a beaucoup à faire, la réflexion, pour le moment, ne dépassant pas le cercle de quelques spécialistes alors que les besoins s’exacerbent et que le nombre de centenaires augmente de manière vertigineuse (21 000 aujourd’hui).

Allez, encore un effort, la campagne ne fait que commencer. On peut donc encore nourrir l’espoir que François Fillon, qui connaît bien ces sujets pour avoir été l’auteur des réforme des retraites de 2003 et 2011, s’aventure à en traiter. Sauf qu’il connaît aussi le proverbe : "chat échaudé craint l’eau froide"...

par François Charpentier