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La Tribune - Sécu : Marisol Touraine oublie de soigner la branche maladie

Octobre 2016, par Info santé sécu social

Par François Charpentier

La présentation flatteuse par Marisol Touraine du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 mérite quelques commentaires. La dette progresse, et le déficit de solidarité se creuse, notamment en matière d’assurance maladie

Ce 5 octobre, le projet de loi de financement pour la sécurité sociale sera présenté en conseil des ministres. Un coup pour pas grand-chose en somme, car comme pour le budget de l’État, il est clair en année électorale que ceux qui bâtissent ces équilibres ne seront plus là pour les exécuter. Le jeu consiste alors tous les cinq ans pour la majorité sortante à peindre la réalité le plus en rose possible pour montrer qu’on "a fait le job" et à l’opposition de dénoncer cette situation en s’abstenant toutefois de prendre des engagements qu’elle serait incapable de tenir si elle parvient à son tour au pouvoir.

Le risque est grand dans l’intervalle que les acteurs du système cherchent à tirer parti de cette situation. On vient d’en avoir une illustration avec la signature de la dernière convention médiale. Le syndicat des médecins de France classé très à droite a donné sa signature au motif, exposé avec un parfait cynisme, qu’au point où il en est dans les sondages François Hollande lâche aujourd’hui beaucoup plus aux praticiens qu’une droite revenue au pouvoir ne pourra le faire compte tenu de l’ampleur des difficultés...

Dans le cas de la sécurité sociale, c’est donc le régime de la douche écossaise qui prévaut une nouvelle fois. Les experts - et Dieu sait s’il y en a dans ce secteur - ont établi des rapports pour approcher la vérité des comptes. C’est ainsi que le 20 septembre la Cour des comptes a dressé l’état des lieux dans un document de plus de 700 pages sur l’application des précédentes lois de financement de la sécurité sociale. C’est la version noire. Trois jours plus tard, a été rendu public, le rapport en deux tomes et 306 pages de la commission des comptes de la Sécurité sociale. Le ministre des Affaires sociales et de la Santé en a donné une interprétation autrement plus favorable de la même réalité. Pas sûr que les Français ni même les acteurs du système ne parviennent à se retrouver dans ces tonnes de papier que les médias lestés de ces "pavés" dans l’urgence sont bien en peine quant à eux de déchiffrer.

Mais où est passé le Fonds de Solidarité Vieillesse ?

Commençons par l’équilibre des comptes. Marisol Touraine a rappelé qu’il y a cinq ans "la sécurité sociale perdait 21 milliards d’euros". Aujourd’hui ce serait "3,4 milliards d’euros seulement" et la promesse d’un retour à l’équilibre en 2017. Bien évidemment, on ne peut que se féliciter que les recettes liées à une activité moins mauvaise que prévue se soient redressées, que l’Ondam (Objectif national des dépenses de santé) soit respecté et que les réformes des régimes de retraite produisent des effets. Ces résultats sont loin d’être négligeables et les magistrats de la Cour des comptes s’en félicitent. Il n’empêche que la présentation des déficits faite par le gouvernement est très optimiste.

D’abord parce que la ministre fait comme si les dépenses du Fonds de solidarité vieillesse (majoration des droits d’assurance pour les mères de famille, droits garantis aux chômeurs, minimum vieillesse) n’étaient pas des dépenses vieillesse à part entière, ce qu’elles sont en réalité. Sur ce point la Cour des comptes a été très claire : "tant que le FSV demeure en déficit (ce sera à nouveau le cas en 2016, indiquait le 20 septembre le premier président Didier Migaud), tout retour à l’équilibre de la branche vieillesse est un faux-semblant".

Certes, on pourrait objecter que ces dépenses dites "non contributives", car non financées par des cotisations, étant financées par l’impôt ne sont pas des dépenses de sécurité sociale proprement dite. Mais ce serait faire fi d’une autre évolution, à savoir que la tendance se poursuit dans une période où le nombre de salariés n’a que très peu augmenté entre 2001 et 2015, de financer des prestations de plus en plus universelles par l’impôt : en 2016, selon la commission des comptes, 136 milliards d’euros de recettes de sécurité sociale provenaient de contributions sociales, impôts et taxes (80 milliards via la seule CSG !), contre 304 milliards de cotisations.

Si l’on intègre donc le déficit du FSV (-3,9 milliards d’euros en 2015 et une augmentation constante depuis 2013) dans celui du régime général de sécurité sociale, le déficit estimé pour 2016 n’est plus de 3,4 milliards d’euros, mais de près du double : 7,2 milliards d’euros. Peut-on le réduire ? Sauf à prélever des impôts et taxes supplémentaires, ce qui n’est guère porteur en période électorale, on ne voit pas. Quant à compter sur une baisse du chômage pour alléger la facture, on devine ce qu’il faut en penser...

Au-delà du déficit, la dette...

Ensuite, si la baisse des déficits est réelle grâce à une meilleure rentrée de cotisations liée à un redressement de l’activité et à quelques mesures ponctuelles, il reste une autre réalité, celle de la dette sociale. Quatorze années de déficits continuels du régime général et du FSV, avec un pic de -28 milliards d’euros en 2010 et une (trop) lente décrue par la suite pour revenir à -10,8 milliards d’euros en 2015, aboutissent à une dette cumulée de 156,4 milliards d’euros, soit près d’une année de dépenses d’assurance maladie ! Et cette dette devrait encore se gonfler (sans mesures correctrices) de 7,1 milliards d’euros en 2016 et 10,3 en 2017.

Dans la mesure où cette dette est prise en compte dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance la France ne peut s’accommoder durablement d’une situation qui contribue au dépassement du déficit public autorisé et qui a conduit à consacrer 16,5 milliards d’euros en 2015 au paiement des seuls intérêts de cette dette. Par ailleurs, la Cour des comptes rappelle que la plus grande partie de cette dette étant logée dans la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale), il est "essentiel" d’éteindre cette dette d’ici à 2024... Et si d’autres transferts doivent être opérés notamment de l’Acoss vers la Cades, il faudrait lui affecter des ressources correspondantes. Une majoration improbable de la CRDS (Contribution au remboursement de la dette sociale) bloquée depuis l’origine sur le taux de 0,5 % ou un appel tout aussi improbable à une autre recette fiscale ? Les paris sont lancés !

Il reste une certitude : on peut compter sur un consensus, à droite comme à gauche, pour ne pas traiter de cette question explosive en période électorale. Car tout le monde a joué avec la Cades. Alain Juppé qui a eu l’idée de cette "machine à se donner des claques" en 1996 pour "effacer" 30 milliards d’euros de "trou de la sécu" ; Lionel Jospin qui a rajouté quelques milliards de dettes et allongé la durée de vie de la Cades de 2009 à 2014 ; Philippe Douste-Blazy qui y a été de son petit versement ; puis François Fillon et Nicolas Sarkozy qui ont encore ajouté une petite centaine de milliards d’euros et porté la durée de vie de la Cades à 2024 ; François Hollande enfin qui a glissé discrètement quant à lui son obole par petits paquets de milliards d’euros dans les premiers mois de 2015. Bref, tout le monde est coupable et personne ne s’en vantera.

On a oublié de soigner la maladie

On aurait tort de penser pourtant que rien n’a été fait pour préserver la sécurité sociale ces dernières années. La Cour des comptes le souligne au contraire des mesures ont été prises en matière de retraite qui ont porté leur fruit et qui montrent qu’il est parfaitement possible de maîtriser une dépense appelée à une forte dérive. Il est vrai que pour le régime de l’assurance vieillesse, comme pour les régimes complémentaires, les réformes se sont faites en prenant l’argent là où il est, autrement dit chez les retraités qui bénéficient encore aujourd’hui d’un taux de remplacement plus élevé que partout ailleurs en Europe. Il reste que si la situation économique ne se redresse pas, cette manière de faire trouvera aussi ses limites. L’exemple déjà cité du déficit du FSV est là pour le montrer. En tout état de cause, les Français n’en ont pas terminé avec "une augmentation prévisible de l’âge de la retraite", le plus dur restant de leur expliquer que, dans un contexte de chômage persistant, cela signifie qu’ils devront partir avec des abattements donc que leurs pensions baisseront.

Le problème explique la Cour des comptes est que, d’une certaine façon, pendant qu’on s’occupait des retraites, on oubliait un peu la branche maladie qui "doit être réformée en profondeur". Le constat effectué sur ce point par la Cour des comptes rejoint celui de tous les experts : la couverture des assurés tend à se dégrader fortement. Pour le comprendre, il faut se référer à un graphique montrant "un quasi-doublement en 20 ans du nombre d’assurés en Affection de longue durée (ALD)". En 2000, 5,8 millions de personnes, soit 11,5% des assurés étaient placés dans ce régime les remboursant à 100% pour une pathologie principale (surtout diabète, cancers, troubles cardio-vasculaires, asthme). En 2014, ils étaient 9,8 millions, soit 16,2% des assurés. Depuis le mois de mars le cap des 10 millions a été franchi. Et ce n’est pas terminé puisque la ministre se propose de placer en ALD les patients atteints par la maladie de Lyme.

Conséquence de cette situation, plus de 60% des dépenses de santé aujourd’hui présentées au remboursement sont le fait de personnes en affection de longue durée qui représentent moins de 20% des assurés. Moyennant quoi, rappelle la Fnim (Fédération nationale indépendante des mutuelles), selon la Cour des comptes elle-même, derrière le chiffre global et officiel de prise en charge des dépenses de 76,8% par la sécurité sociale, "la prise en charge réelle n’était que de 61,3% pour les personnes hors affection de longue durée et de 51% pour les soins de ville". Et comme moins d’une personne sur six bénéficie de l’exonération du ticket modérateur, "83% de la population a une prise en charge réelle par la Sécurité sociale plus proche de 60% que des 76,8% affichés".

Une séparation gros risques-petits risques ?

Bien évidemment les ALD ne sont qu’une facette du problème. Il y a aussi les dépassements d’honoraires qui jouent au détriment des plus modestes et qui, dans certains cas, freinent l’accès aux soins. La très modérée CFTC a regretté dans un communiqué que la nouvelle convention médicale ne traite pas cette question et pour cette raison a refusé de donner un avis favorable. Pour autant, la médecine libérale n’est pas seule en cause puisque si la Cour des comptes a montré que le taux de renoncement aux soins bucco-dentaires pouvait atteindre 41 % dans les tranches de revenus les plus basses, l’Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé), qui vient de mener une enquête [1] sur les restes à charge en fonction des revenus, a aussi montré qu’à l’hôpital, le forfait journalier et le ticket modérateur pesaient proportionnellement davantage sur les bas revenus. Une solidarité à l’envers en somme qui naturellement ne correspond pas du tout à l’éthique des défenseurs de la sécurité sociale.

Pour être complet, il faut évidemment revenir sur le virage opéré le 20 octobre 2012 quand surprenant tout le monde François Hollande s’en est pris devant le congrès de la Mutualité à Nice aux contrats collectifs d’entreprise à ses yeux trop aidés fiscalement et a lancé l’idée d’une généralisation de la complémentaire santé. Une idée a priori généreuse, mais qui semble se retourner aujourd’hui contre un certain nombre de salariés. S’il est certes un peu tôt pour dresser un bilan définitif d’une mesure entrée en vigueur le 1er janvier dernier, il apparaît déjà que les nouveaux contrats se calent sur une participation minimum de l’employeur ramenée de 60 % à 50 % et sur la non-prise en compte du conjoint et des enfants, ce qui était depuis les années 1980 la valeur ajoutée de ce type de couverture. Surtout la question reste posée de savoir si on n’encourage pas ce faisant un transfert des dépenses de sécurité sociale vers des complémentaires de plus en plus coûteuses et sur un partage de fait petits risques-gros risques qui avait déclenché une forte riposte des syndicats en novembre 2002 quand l’ancien ministre Jacques Barrot, à l’époque président du groupe UMP, avait évoqué l’idée de réserver à la sécu la couverture des maladies graves. Le faire sans le dire ?

Ni mieux ni plus mal

Confusion sémantique entre "dette" et "déficit" ; apparition de recettes "discutables" sous forme de "produit exceptionnel de CSG" ne correspondant à aucune recette supplémentaire ; acrobatie comptable visant à inscrire dans le PLFSS des prélèvements sur les fonds de formation de la fonction publique dénoncée par la CFDT ; promesse de réduction du déficit de l’assurance maladie alors que l’évolution des soins de ville reste "très insuffisamment maîtrisée", que les augmentations de salaires accordées dans la fonction publique hospitalière et les revalorisations tarifaires inscrites dans la nouvelle convention médicale pourraient conduire à un dépassement significatif de l’Ondam... Bref, si le gouvernement n’a probablement fait ni mieux ni plus mal que ses prédécesseurs pour tenir les comptes de la sécurité sociale dans un contexte économique et social difficile, l’essentiel des réformes reste tout de même à faire s’agissant de la maladie. C’est le sens du rapport de la Cour des comptes, les magistrats de la rue Cambon n’attendant à l’évidence rien des politiques en année pré électorale. Mais passée l’échéance, il serait temps de redonner la parole aux experts.

Il faut revoir la méthode

Nul ne conteste en effet le travail de la Cour des comptes ni celui de la commission des comptes. Seul l’usage qui est aujourd’hui fait de leurs travaux est contestable. On rappellera en effet que la commission des comptes de la sécurité sociale a été créée en 1979 par Raymond Barre avec pour mission d’éclairer les choix du gouvernement sur la base de données incontestables qui devaient être connues de tous. Présidents et directeurs de caisses, parlementaires, experts et bien évidemment ministres concernés siègent dans cette assemblée présidée par le secrétaire général, autrefois Jean Marmot, puis François Monier, aujourd’hui Christian Charpy. Autrefois, mais c’était dans l’autre siècle, les médias recevaient les textes des rapports en amont de la réunion. La conférence de presse de présentation se déroulait au siège du ministère des Affaires sociales avenue de Ségur. Elle se tenait en présence des membres de la commission et était présidée par le secrétaire général qui donnait la parole aux membres de la commission, notamment au ministre en charge du dossier.

Rien de tel depuis une vingtaine d’années. Le rapport de la commission des comptes servant d’appui pour l’élaboration du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un transfert s’est opéré des experts vers les politiques. L’habitude s’est prise de réunir les médias à Bercy en tout début de matinée pour leur donner des "éléments de langage". À partir de là, la messe est dite. Le rapport ne leur sera remis que plus tard dans la journée au cours d’une conférence des presse conduite par le ministre et, le plus souvent, hors la présence du secrétaire général de la commission et sans que les médias aient la possibilité d’échanger avec ses membres. Partant de là, seule la parole ministérielle fait foi, l’absence de recul sur le contenu de dossiers impénétrables à chaud interdisant l’analyse et l’explication, sauf à encourir le risque d’être soupçonné d’attaquer "notre modèle social". La sécurité sociale mérite mieux que cela, un vrai débat public et démocratique, faute de quoi les vrais adversaires de l’institution - ils existent - ne manqueront pas un jour, l’an prochain, ou plus tard, de surfer sur des difficultés devenues insurmontables pour tout remettre en cause.

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[1] Restes à charge publics en ville et à l’hôpital : des taux d’effort inégalement répartis, Questions d’économie de la santé, mai 2016