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Le Monde.fr : La grippe saisonnière en 7 questions

Janvier 2017, par infosecusanté

La grippe saisonnière en 7 questions

Précocité de l’épidémie, taux de vaccination, vulnérabilité des seniors, mortalité : la grippe saisonnière met en exergue les carences du système de santé.

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 23.01.2017

Par Sandrine Cabut et Pascale Santi

Fièvre d’apparition brutale, douleurs musculaires, symptômes respiratoires… Plus d’un million de Français ont déjà ­consulté leur médecin pour des symptômes grippaux depuis le début de l’épidémie de grippe saisonnière, a annoncé mercredi 18 janvier le réseau de surveillance Sentinelles-Inserm, estimant que le pic n’avait pas encore été franchi au ­niveau national. Cela ne devrait plus tarder. Cette année, la grippe est principalement liée à une souche A (H3N2) (94 % des prélèvements positifs), connue pour affecter de façon plus sévère les personnes âgées. Pourquoi les seniors, même vaccinés, sont-ils si vulnérables ? Faut-il contraindre les soignants à se faire vacciner ? En sept questions, le point sur un ­virus familier mais toujours déroutant.

1/ Cette épidémie est-elle exceptionnelle ?

Depuis plusieurs semaines, la grippe est omniprésente en France. Dans les familles. Dans les hôpitaux, où l’arrivée en masse de personnes âgées a déstabilisé l’équilibre précaire des urgences et des services. Au total, 796 cas graves ont déjà été signalés. Dans les collectivités de seniors, où près de 1 200 foyers ont été recensés depuis le début de l’épidémie, précoce cette année. L’opinion publique a été en particulier frappée par les 13 décès survenus en quinze jours dans une maison de retraite lyonnaise, l’Ehpad Korian Berthelot. Une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales a été diligentée dans cet établissement. Les résultats n’ont pas encore été rendus publics.

« L’épidémie 2016-2017 n’a pas une ampleur particulière. Ce qui la caractérise, c’est sa sévérité chez les personnes âgées »

« L’épidémie 2016-2017 n’a pas une ampleur particulière en nombre de cas. Ce qui la caractérise, c’est sa sévérité chez les personnes âgées, précise le docteur Daniel Lévy-Bruhl, responsable de l’unité ­infections respiratoires et vaccination à l’établissement public Santé publique France, chargé entre autres de la surveillance épidémiologique. La mortalité sera probablement bien supérieure à celle de l’hiver 2015-2016. Cette sévérité est liée au virus A (H3N2) lui-même, mais l’impact aurait été réduit si le taux de vaccination avait été plus élevé ». Cette épidémie n’a rien d’exceptionnel, confirme le virologue Bruno Lina, coordonnateur du Centre national de référence (CNR) des virus grippaux.

2/ Quel est le système de surveillance ?

Le dispositif piloté par Santé publique France est basé sur la collecte et l’analyse de données ­épidémiologiques et virologiques. Il s’organise en quatre niveaux. Le réseau Sentinelles, développé par ­l’Inserm et l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) en 1984, fait la vigie grâce à 1 400 médecins généralistes et pédiatres – volontaires et bénévoles – qui répertorient le nombre de syndromes grippaux vus en consultation. L’autre capteur pour la médecine de ville est le réseau SOS-Médecins.

Au niveau hospitalier, la surveillance s’appuie sur deux réseaux : un premier pour les urgences ­ (Oscour), qui évalue en temps réel leur activité – pas seulement pour la grippe ; l’autre, spécifique de la grippe, dans les services de réanimation.

Il y a enfin le suivi de la mortalité, avec un délai de deux à trois semaines, grâce aux données de 3 000 communes, qui couvrent 80 % de la population. Parallèlement, la surveillance virologique est coordonnée par leCNR, qui comprend trois ­laboratoires, à Paris, Lyon et Cayenne.

Twitter ou Facebook seront-ils un jour des réseaux de surveillance de la grippe ?

A ces dispositifs classiques s’est ajouté le site GrippeNet.fr en janvier 2012, lancé par le réseau Sentinelles et Santé publique France. « Le réseau compte près de 6 500 participants chaque année et 1 500 ont au moins une fois eu des symptômes compatibles avec un syndrome grippal, explique Caroline Guerrisi, épidémiologiste au réseau Sentinelles. Cela permet d’avoir des informations sur les personnes qui ne passent pas par la case médecin en cas de grippe (60 % des participants de ­GrippeNet.fr) et de mieux cerner les facteurs de risque, l’impact de la vaccination. »

GrippeNet s’intègre dans un réseau de surveillance européen, ­Influenzanet, qui regroupe en tout dix pays, soit plus de 40 000 participants. Un effectif non ­négligeable, mais encore insuffisant pour assurer la fiabilité de ce système. Au niveau mondial, la surveillance est chapeautée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; elle s’appuie sur des laboratoires répartis dans plus de 100 pays.

A côté de ces réseaux traditionnels se développent des outils de big data. Lancé par Google en 2008, Flu Trends, qui se fondait sur les requêtes des internautes, s’est cependant arrêté en 2014, faute d’avoir pu établir des prévisions suffisamment fiables. D’autres recherches sont en cours pour évaluer l’utilité de réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook.

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3/ Quelles sont les particularités du vaccin ?

Le vaccin antigrippal, dont la composition est ­revue chaque année en fonction des virus qui circulent, protège contre trois souches : deux de type A et une de type B. Mais son efficacité est loin de la perfection, et l’immunité induite est courte (le temps de la saison grippale) quand celle conférée par une rencontre naturelle avec un virus grippal peut durer des décennies.

Quand la souche circulante est contenue dans le vaccin, son efficacité pour prévenir la grippe est de 50 % à 60 %, selon l’OMS

« C’est probablement le vaccin dont la durée de protection est la plus courte », souligne le professeur Daniel Floret, ­ancien président du Comité technique des vaccinations. D’où la nécessité de le refaire chaque ­année. Quand la souche circulante est contenue dans le vaccin, son efficacité pour prévenir la grippe est globalement de 50 % à 60 %, selon l’OMS. Elle est supérieure chez l’adulte sans pathologie, moindre chez le sujet âgé. Ces vaccins ne contiennent pas d’adjuvant, et sont bien tolérés.

Quid de la réduction des complications ? « Les données scientifiques sont peu nombreuses, et de mauvaise qualité, car historiquement, la vaccination a rapidement été étendue aux populations à risque sans que des études aient été préalablement réalisées. Mais des études observationnelles ont montré que ce vaccin entraîne bien une réduction des complications, des hospitalisations et de la mortalité directement liée à la grippe chez les personnes âgées, de l’ordre de 30 % pour cette dernière », poursuit M. Floret.

La stratégie vaccinale varie d’un pays à l’autre. En France, le vaccin est recommandé (et gratuit) pour les personnes de 65 ans et plus, les femmes enceintes, les personnes atteintes de pathologies (listées dans un décret), l’entourage familial des nourrissons de moins de six mois avec des facteurs de risque de grippe, les personnes vivant en établissement médico-social et les soignants.

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4/ Pourquoi est-il moins efficace chez les personnes âgées ?

La vaccination antigrippale des personnes âgées est recommandée dans de nombreux pays. Mais tous les spécialistes le disent, les seniors sont moins bien protégés que les autres adultes du fait de l’immunosénescence, le vieillissement de leur système immunitaire, qui limite la qualité de la réponse vaccinale, c’est-à-dire la fabrication d’anticorps. Le vieillissement entraîne aussi une diminution des cellules présentatrices d’antigènes comme les monocytes et les cellules dendritiques.

Après 65 ans, la vaccination n’évite guère qu’une grippe sur deux. Mieux que rien ?

Après 65 ans, la vaccination n’évite guère qu’une grippe sur deux, voire moins selon les études. Chez les plus de 75 ans, cette efficacité tombe à environ 35 % à 40 %. « Certes, ce n’est pas beaucoup, mais c’est mieux que rien », estime Bruno Lina.

Une analyse de la littérature, publiée par la collaboration Cochrane en 2010, concluait que « les preuves disponibles sont de mauvaise qualité et ne donnent aucune indication quant à l’innocuité, l’efficacité potentielle et réelle des vaccins antigrippaux pour les personnes de 65 ans et plus ». Santé publique France estime de son côté à 2 000 le nombre de décès évités chez les seniors chaque année grâce à la vaccination.

5/ Faut-il rendre obligatoire la vaccination des soignants ?

La question de l’obligation vaccinale dépasse largement les professionnels de santé. Fin novembre 2016, après une concertation citoyenne, un rapport a préconisé de rendre transitoirement obligatoires les vaccins contre 11 maladies pour restaurer la confiance du public dans ce ­domaine. Ces propositions sont à l’étude, selon le ministère de la santé.

Chez les soignants, certaines vaccinations sont déjà obligatoires (hépatite B, par exemple), celle contre la grippe n’est que « fortement recommandée » par le dernier avis du Haut Conseil de santé publique (HCSP) d’octobre 2016. Mais face à la virulence de l’épidémie actuelle et à la faible couverture vaccinale des soignants (de l’ordre de 20 % dans les hôpitaux), la question de l’obligation a été reposée le 11 janvier par Benoît Vallet, le directeur général de la santé.

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L’objectif de la vaccination des soignants ­ (médecins, infirmiers, aides-soignants, kinés…) est double : les protéger eux-mêmes et protéger leurs patients. Mais dans le cas de la grippe, les bénéfices indirects sont mal établis. « Les études concernant l’efficacité de la vaccination des ­soignants pour protéger les patients sont peu nombreuses, difficiles à réaliser et entachées de nombreux biais. La majorité des résultats sont en faveur d’un effet protecteur mais le niveau de preuve est faible », pointait le HCSP dans un rapport en 2014. Une analyse de la littérature du ­réseau international indépendant Collaboration Cochrane, publiée en 2016, n’a, elle non plus, pas retrouvé de preuve concluante.

Sur le terrain, les médecins ont des contre arguments. « Les grippes nosocomiales existent, nous en avons régulièrement des foyers. De plus, il y a un sous-diagnostic car des cas passent inaperçus », relève Pascal Astagneau, professeur de santé publique et directeur du Centre de coordination de la lutte contre les infections associées aux soins à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). « La transmission nosocomiale est une évidence pour une maladie aussi contagieuse que la grippe », renchérit la professeure Anne Bergeron-Lafaurie, pneumologue à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP). L’un et l’autre se disent ­favorables à une obligation vaccinale pour les soignants, tout comme le Conseil national de l’ordre des médecins, et celui des pharmaciens.

10 % des infirmières seulement sont vaccinées en Ile-de-France

« C’est décourageant, nous menons une politique très volontariste, mais cela ne fonctionne pas, poursuit le professeur Astagneau. Selon notre ­enquête annuelle dans 200 établissements d’Ile-de-France, seulement un professionnel sur cinq est vacciné. La proportion est un peu plus élevée chez les médecins, 30 % à 35 %, mais très faible chez les infirmières : 10 %. De plus, le port du masque n’est pas entré dans les mœurs, sauf dans les blocs et certains services. » Pour ce spécialiste de santé publique, « on ne peut pas laisser les soignants faire ce qu’ils veulent quand on voit une épidémie aussi virulente que cette année ».

De son côté, Anne Bergeron-Lafaurie insiste sur la nécessité de faire preuve de pédagogie auprès des soignants et des familles. Cette année, pour la première fois, la quasi-totalité des soignants de son service a été vaccinée contre la grippe. « Ce qui a fonctionné, c’est que l’initiative est partie d’une ­infirmière, et pas de l’institution », estime-t-elle.

« Il n’est plus temps de débattre, agissons », écrit dans une tribune du Monde.fr le docteur Cyril Goulenok, également partisan de l’obligation vaccinale. Pour ce réanimateur, les professionnels de santé ont un devoir d’exemplarité. C’est aussi une question d’altruisme. « Je suis inquiet que la liberté individuelle passe au-dessus du ­devoir collectif, assure-t-il. Aujourd’hui, il y a un altruisme à deux vitesses, où l’on accepte de protéger ses proches mais pas les personnes que l’on ne connaît pas. Dans un monde idéal, les soignants porteraient un badge avec l’inscription “je me suis vacciné, pour vous”. Cela contribuerait sans doute à plus de confiance et de reconnaissance. »

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Pour Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), le problème est bien plus vaste. « Si on dit au personnel soignant des Ehpad et des services à domicile “vaccinez-vous”, sans prendre en compte les questions plus globales du manque de temps passé avec les résidents et des manques d’effectifs, le message ne passe pas. La pédagogie est insuffisante », dit-il.

6/ Va-t-on vers un vaccin universel ?

Chaque année, le vaccin est développé contre les trois ou quatre souches les plus susceptibles de se propager. Le vaccin universel reste le Graal de la recherche depuis de nombreuses années mais on en est loin. « S’il s’agit de l’objectif ultime, la mise au point d’un vaccin antigrippal à plus large spectre sera une étape intermédiaire », indique-t-on chez Sanofi Pasteur. « Le vaccin actuel est ­dirigé contre deux antigènes de ces virus, l’hémagglutinine et la neuraminidase, mais il y a certainement d’autres facteurs qui interviennent dans l’immunité contre la grippe, précise M. Floret. Des recherches ciblent de nouveaux antigènes, mais sont pour l’heure au stade préclinique, et surtout le fait de laboratoires académiques. »

Les enjeux majeurs sont de protéger plus efficacement, et plus longtemps. Sanofi Pasteur étudie ainsi un vaccin « à dose élevée », qui ­contient quatre fois plus d’antigène que le vaccin standard.

7/ Quel est le coût médico-économique ?

Chaque année, la grippe touche de 2 à 8 millions de personnes en France, de tous âges. Ces millions de cas provoquent un absentéisme évalué à 2 millions de journées de travail pour les ­épidémies faibles et jusqu’à 12 millions pour les épidémies intenses. De quoi désorganiser la vie économique et sociale.

Pour l’Assurance-maladie, le coût financier de la grippe pour l’année ­civile 2016 est estimé à 154 millions d’euros (180 millions pour l’épidémie 2014-2015). La moitié provient des consultations, le solde venant des dépenses de médicaments, et du versement des indemnités journalières liées aux arrêts de travail. Cette estimation ne prend toutefois pas en compte les coûts d’hospitalisation.

Le chiffrage est difficile, les infections grippales étant rarement diagnostiquées de façon certaine. Le Groupe d’expertise et d’informations sur la grippe (GEIG, association financée par des laboratoires), chiffre le coût de la grippe en médecine ambulatoire (hors hospitalisations et pertes de production) entre 230 et 840 millions d’euros par an selon la gravité.

Les chiffres de la grippe

11 millions

En France, le vaccin contre la grippe est recommandé et gratuit pour toutes les personnes de plus de 65 ans et celles ­considérées comme fragiles (souffrant de certaines ­pathologies chroniques telles que les affections respiratoires et le diabète, ou les femmes enceintes…). Ces 11 millions d’individus, dont près de 80 % ont plus de 65 ans, reçoivent une invitation à la vaccination par l’Assurance-maladie. La vaccination est en outre ­recommandée pour les ­professionnels de santé.

10 millions

En 2015 comme en 2014, ­environ 10 millions de vaccins antigrippaux ont été vendus en France, pour les pharmacies et les hôpitaux – pour un coût d’environ 6 euros la dose.

50,8 %

Durant la saison 2015-2016, 50,8 % des 65 ans et plus se sont fait vacciner contre la grippe. La proportion était de 64,8 % en 2008-2009, selon les données de l’Assurance­maladie. Pendant cette même période, le taux de ­vaccination chez les personnes de moins de 65 ans à risque pour la grippe est, lui, resté ­stable à 39 %.

2,5 millions

La grippe saisonnière touche chaque année en moyenne 2,5 millions de personnes en France, mais l’ampleur et la sévérité des épidémies sont très variables.

2 500

Selon les estimations de Santé publique France, à partir des données sur la période 2000-2009, la vaccination évite ­chaque année 2 500 décès chez les plus de 65 ans.