Industrie pharmaceutique

Le Figaro - Dépakine : les conflits d’intérêt d’un expert judiciaire

Novembre 2016, par Info santé sécu social

INFO LE FIGARO - La justice a nommé un expert qui siégeait à l’Agence du médicament à des dates clés de l’histoire de l’antiépileptique.

Peut-on dire que les effets secondaires d’un médicament ont tardé à être reportés quand on a soi-même fait partie des autorités sanitaires en charge de leur signalement ? Selon nos informations, la Pr Nathalie Brion, pharmacologue et professeur des universités, est aujourd’hui expert judiciaire dans des dossiers médicaux concernant la Dépakine. Un produit passé à plusieurs reprises devant des commissions de l’Agence du médicament et pour laquelle elle était pourtant experte.

Aujourd’hui, la Pr Brion est nommée par la justice dans au moins une dizaine de dossiers d’expertises judiciaires par les tribunaux de grande instance de Paris et de Bobigny. Il s’agit de ce que l’on appelle des référés expertise, autrement dit d’un examen des responsabilités dans des préjudices médicaux, ici des malformations d’enfants nés de mères épileptiques et qui ont pris de la Dépakine pendant leur grossesse. Le référé expertise constitue donc l’étape indispensable pour chiffrer un préjudice et espérer obtenir la condamnation d’une partie. Dans ce cadre, la Pr Brion a déjà rendu des rapports définitifs. Par ailleurs, elle est souvent désignée comme la présidente de collèges d’experts. Son pouvoir est donc important. Jusque-là, rien d’exceptionnel.

Ex-rapporteur à l’ANSM

Là où l’histoire devient intéressante, c’est que cette même Pr Brion a été expert rapporteur auprès de la commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’Agence du médicament, de 2001 à 2013. En tant qu’expert de cette instance, elle a nécessairement vu, à plusieurs reprises, passer la Dépakine. Elle n’a donc pas manqué de suivre toute une partie de la vie de ce médicament.

Ainsi, en septembre 2003, concernant les retards de développement des enfants exposés in utero à la Dépakine, Sanofi a demandé une modification du résumé des caractéristiques du produit (RCP), à destination des professionnels de santé. Puis, en février 2004, l’agence refusera cette modification. Autre exemple avec, en janvier 2006, toujours le problème des retards de développement. L’Angleterre a déjà modifié son RCP. Mais la France est à la traîne. À l’agence, un groupe de travail est chargé de rendre un avis sur le sujet en janvier 2005. Las, l’examen n’aura lieu qu’en… juin, même si, in fine, des modifications du RCP et de la notice interviendront. Un retard traduit en langage de hauts fonctionnaires dans le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) : « du traitement d’examen de la demande européenne (octobre 2004) à la traduction dans le RCP français (janvier 2006), un délai conséquent a été requis. »

Dossier Mediator

La Pr Brion s’est également illustrée dans le dossier Mediator. Selon elle, il n’y avait pas lieu d’interdire le produit de Servier avant la date à laquelle il a été retiré du marché, soit en 2009. « Il n’y a pas eu de signal d’alerte significatif de valvulopathies en pharmacovigilance avant fin 2008 début 2009 », écrit-elle. Servier apprécie et cite d’ailleurs sa prose dans des conclusions récentes. Or en juillet 2016 la cour d’appel de Versailles et plus récemment le Conseil d’État ont estimé que la responsabilité des différents acteurs était engagée dès 1999 pour les valvulopathies.

Marine Martin, la présidente de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anti-convulsivant (Apesac), lanceuse d’alerte dans l’affaire Dépakine, déplore ce lien d’intérêt : « J’observe que la Pr Brion, dans le dossier d’expertise concernant mes deux enfants, prend systématiquement le parti de l’Agence du médicament et des autorités de santé. » Contactée par Le Figaro, la Pr Brion ne voit pas où est le problème : « À l’agence, j’intervenais uniquement pour la migraine. Et puis, je ne suis pas décisionnaire ».