Mardi 19 mai 2020
ET SI CHANGER le statut de l’hôpital public était la clé pour le sortir de son malaise ?
Une idée pas si iconoclaste, puisqu’elle est proposée par deux anciens dirigeants de l’hôpital public eux-mêmes : Gérard Vincent et Guy Collet, respectivement ancien délégué général et ancien conseiller en stratégie de la Fédération des hôpitaux de France (FHF). Fins connaisseurs du système de santé, tous deux estiment qu’il faut en finir avec le statut public, devenu un véritable carcan, et privilégier le modèle des hôpitaux privés à but non lucratif. À mi-chemin entre le public et le privé commercial, ce système de gouvernance existe déjà en France dans plus de 700 établissements (hôpital Saint-Joseph et Institut mutualiste Montsouris à Paris par exemple, hôpital Foch à Suresnes, etc.). Ce modèle est aussi celui qui prévaut en Allemagne, actuellement tant vantée, et dans quasiment toute l’Europe du Nord.
« Avec le coronavirus, l’hôpital public a montré qu’il pouvait s’adapter à une situation de crise. Il faut continuer à lui donner cette autonomie, à le responsabiliser en changeant le statut. C’est la clé », affirme Gérard Vincent. « Les hospitaliers ont montré qu’en s’affranchissant des règles, ils pouvaient être réactifs et efficaces. Pour pérenniser l’aventure qu’ils viennent de vivre, il faut changer le statut public », conforte Guy Collet.
Concrètement, il s’agirait de transformer les hôpitaux publics en établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic), qui assurent des missions de service public et sont financés de la même façon que les établissements publics, mais sont gérés par une personne morale de droit privé, souvent une fondation. « Ce modèle donne aux établissements la liberté de s’organiser comme ils veulent sans dépendre de règles ministérielles, sans passer par des tas de commissions et procédures. Le directeur, le conseil d’administration et les médecins, décident ensemble de l’organisation, y compris des rémunérations. Ils ne sont pas dépendants d’une grille de la fonction publique ! Les soignants peuvent être mieux rémunérés, dans le cadre d’un contrat négocié, en fonction des performances de l’établissement », explique Gérard Vincent. « Si on garde le statut de la fonction publique, quand on augmente les hospitaliers, il faut augmenter tous les autres. C’est tout l’édifice qui est concerné. C’est pour-quoi le gouvernement propose des primes », ajoute Guy Collet. Sans compter que la grille de la fonction publique oblige à payer une infirmière de la région parisienne comme sa consœur de province, où le coût de la vie et celui du logement sont souvent bien inférieurs.
Comment toucher au sacro-saint statut sans déclencher une forte opposition sociale ? Les personnels se verraient proposer le choix, un peu comme ce fut le cas en son temps chez France Télécom, de garder leur spécificité de fonctionnaire hospitalier ou d’accepter d’être détaché. Mais pour cela, il faut que la loi permette aux hospitaliers de choisir leur propre statut. « Si on oblige à un changement brutal du jour au lendemain, ce sera la levée de boucliers. Il faut expérimenter, chercher des volontaires, et démontrer le bénéfice par l’exemple. Ensuite tous y viendront », affirme Guy Collet. Lui-même a dirigé par le passé un établissement public passé dans le giron de la Croix-Rouge : « Le personnel avait le choix de rester fonc-tionnaire ou de passer à la Croix-Rouge. Or, au bout de quelques années, ils avaient tous basculé. »
“Si on oblige à unchangement brutal de statut du jour au lendemain, ce sera la levée de boucliers. Il faut expérimenter, chercher des volontaires et démontrer le bénéfice par l’exemple” GUY COLLET, ANCIEN CONSEILLER EN STRATÉGIE DE LA FÉDÉRATION DES HÔPITAUX DE FRANCE
Cette proposition a le mérite de poser la question du rôle et de la place du service public dans le système de santé, sans réclamer tou-jours plus de moyens, alors même que le déficit de la Sécu devrait exploser cette année à plus de 40 milliards d’euros. « Le budget de l’hôpital, c’est deux fois et demi le budget de la défense nationale, le commun des mortels n’en a pas conscience », rappelle Gérard Vincent. Or la crise a montré que les moyens ne font pas tout. La France s’est révélée moins performante que d’autres pays, alors qu’elle consacre plus de 200 milliards d’euros soit 11,3 % de son PIB à la santé. L’hôpital étant le premier poste de dépense.
par M.-C. R.