Les retraites

Le Généraliste - Pourquoi la réforme des retraites fait très peur aux médecins

Septembre 2019, par Info santé sécu social

Camille Roux, Stéphane Lancelot
| 13.09.2019

Les médecins libéraux seront-ils les grands perdants de la réforme des retraites ? C’est ce que redoutent leurs représentants depuis la remise cet été à Emmanuel Macron du rapport de Jean-Paul Delevoye, chargé de piloter le chantier. Baisse de la pension, allongement de la durée de cotisation, dispersion des réserves, disparition de la Carmf, devenir de l’ASV… Le Généraliste fait le point sur les principales craintes de la profession.

Après avoir remis mi-juillet à Emmanuel Macron son rapport sur la réforme des retraites, le haut-commissaire à cette réforme, Jean-Paul Delevoye – qui a depuis intégré le gouvernement – vient d’entamer un second cycle de négociations avec les partenaires sociaux. À l’issue du premier, les syndicats de médecins libéraux sont montés au créneau, inquiets de la disparition en 2025 de leur régime spécifique (avec 41 autres) pour un régime universel. La FMF, l’UFML-S et Le Bloc ont créé avec des avocats, pilotes de ligne et d’autres professions de santé le collectif #SOS Retraites et ont appelé à manifester ce lundi 16 septembre à Paris contre la réforme. La CSMF, le SML et MG France laissent une dernière chance à la négociation. Mais s’ils n’obtiennent pas satisfaction, les syndicats ont déjà prévenu qu’ils seraient prêts à se lancer dans un conflit dur. Le Généraliste a listé pour vous les questions qui se posent et auxquelles Jean-Paul Delevoye devra répondre dans les semaines à venir pour rassurer la profession.

>Une baisse d’un tiers de vos pensions  ?

En l’état actuel, la réforme Delevoye prévoit que les médecins libéraux cotisent moins pour leur retraite qu’actuellement. Ce qui aurait pu être une bonne nouvelle… si leur pension ne diminuait pas encore davantage. Selon le Dr Yves Decalf, président du Syndicat national des médecins concernés par la retraite et membre de la CSMF, les cotisations baisseraient d’un quart ou d’un cinquième tandis que les pensions diminueraient d’environ un tiers.

D’après les calculs du Dr Decalf, les cotisations d’un médecin dont le revenu atteindrait le plafond annuel de sécurité sociale (PASS, environ 40 000 euros) baisseraient de 22 %, mais le montant de sa pension plongerait de 38 %. Pour une rémunération de deux PASS, la baisse de cotisations serait de 20 %, celle de la pension de 33 %. À trois PASS, un médecin cotiserait 19 % de moins mais verrait sa pension baisser de 30 %. « La pension de retraite moyenne des médecins, aujourd’hui d’un peu plus de 2 660 euros pour un médecin libéral (2 709 euros pour un généraliste), passerait sous la barre des 2 000 euros », souligne le Dr Decalf.

>Une retraite plus tardive  ?

Actuellement, les médecins nés à partir de 1955 doivent attendre leurs 67 ans (ou d’avoir cotisé entre 41 et 43 années) pour obtenir une pension sans décote. L’avènement pour tous les Français d’une retraite à taux plein conditionnée par la durée de cotisation plutôt qu’un âge pivot à 64 ans, comme suggéré fin août par Emmanuel Macron, pénaliserait les libéraux. Avec le nombre d’années d’exercice comme unique critère, les médecins pourraient avoir à travailler jusqu’à 70 ans. « Une durée de cotisation uniforme pénalisera les médecins puisque ceux-ci finissent leurs études vers 30 ans. Et le montant de la consultation, sous-payée, ne suffira pas à mettre à niveau leur future rente », estime ainsi le Syndicat des médecins libéraux (SML). La solution d’un « âge pivot », qui figurait dans le rapport rendu par le haut-commissaire à la réforme des retraites, serait, elle, plus favorable aux médecins.

>Les 7 milliards de réserves de la Carmf dans un pot commun  ?

« En matière de retraite, il y a des cigales et des fourmis », remarque Michel Picon, président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL). Ainsi, au fil des ans, les médecins ont constitué plus de sept milliards d’euros de réserves avec leurs cotisations Carmf. La réforme fait craindre que ces réserves échappent aux praticiens et soient versées dans un pot commun via la collecte des cotisations par l’Urssaf prévue dans le rapport Delevoye. «  Nous refusons que les sommes accumulées par les cotisants ne leur reviennent pas  », prévient Michel Picon.

>Quid de l’ASV  ?

L’allocation supplémentaire vieillesse (ASV) est aujourd’hui prise en charge aux deux tiers par l’Assurance maladie, en contrepartie du respect des honoraires conventionnels pour les médecins de secteur 1 ou respectant l’Optam. Elle représente 35 % du revenu moyen des généralistes en 2019, soit 948 € mensuels en moyenne. La réforme Delevoye rend incertain l’avenir de cet avantage s’il est noyé dans le régime universel. « L’ASV doit être préservée dans son montant global, et nous y serons particulièrement vigilants, estime le président de MG France le Dr Jacques Battistoni. Toute remise en cause de cet avantage serait synonyme de rupture du contrat conventionnel », ajoute-t-il. Jean-Paul Delevoye s’est voulu jusqu’à présent rassurant sur la pérennité de l’ASV : « Nous avons pris l’engagement de garantir 100 % des droits acquis au moment de la transition, avait-il confié lors du congrès de MG France en mai dernier. Le régime universel tiendra compte de cette particularité contractuelle avec l’Assurance maladie », avait-il assuré. L’avenir de l’ASV devrait donc faire l’objet d’une autre négociation, cette fois avec la Cnam.

>Une gouvernance éloignée du terrain  ?

Avec la réforme, la Carmf pourrait au pire disparaître, au mieux récupérer les quelques allocataires situés au-dessus de 3 PASS, soit 120 000 euros. Si la Carmf n’existait plus, les praticiens perdraient un interlocuteur privilégié, dont le conseil d’administration est exclusivement composé de médecins élus par leurs pairs. « Dans le nouveau système, notre place serait minime, avec une gouvernance assurée par un conseil d’administration de la future structure de l’État. Et un seul siège est prévu pour l’ensemble des professions libérales », s’inquiète le Dr Olivier Petit, en charge du dossier à la Fédération des médecins de France (FMF). Les récentes annonces de la Direction de la sécurité sociale (DSS), indiquant que les cotisations des médecins ne seraient plus collectées par la Carmf mais par la caisse nationale des Urssaf, l’Acoss, avant d’être reversées à la Carmf pour payer les allocations, inquiètent beaucoup. « Nos cotisations ne nous appartiendraient plus et nos réserves non plus  ! », déplore le Dr Petit.

>Quel avenir pour le Fonds d’action sociale de la Carmf  ?

La commission du Fonds d’action sociale (FAS) de la Carmf, composée de médecins membres du conseil d’administration, s’inquiète de son devenir. Les praticiens allocataires, prestataires ou ayants droit, ainsi que les conjoints survivants, peuvent actuellement demander l’aide du FAS à la suite d’un accident de la vie, une maladie, une difficulté financière, etc. Celui-ci peut par exemple prendre en charge les frais d’une auxiliaire de vie, payer en partie la pension de maison de retraite d’un allocataire dépendant ou encore aider les enfants d’un médecin décédé à poursuivre leurs études. Le FAS est actuellement alimenté par les majorations liées aux retards de cotisations, une partie des revenus financiers, des dons et legs et par des prélèvements spécifiques sur les cotisations. Avec la disparition de la gestion des cotisations par la Carmf, cette solidarité pourrait être menacée. « Si ce fonds venait à être supprimé, cela irait totalement à l’encontre de l’Article 56 du code de déontologie qui précise que “les médecins se doivent assistance dans l’adversité”, prévient le président de l’UFML-S, le Dr Jérôme Marty. Attention à ce que cette réforme ne vienne pas supprimer tout ce qui facilite un peu l’exercice. »