Les mobilisations dans les hôpitaux

Le Huffpost - “Je suis chef de service dans un grand hôpital public et voici pourquoi je démissionne”

Janvier 2020, par Info santé sécu social

Jean-Luc Jouve, Professeur Chef de service d’orthopédie pédiatrique et Chef du pôle de pédiatrie - Assistance publique hôpitaux de Marseille

Je suis chef de service dans un grand hôpital public et voici pourquoi je démissionne. Il est inacceptable que l’hôpital passe de l’excellence à une situation de dégradation inexorable cautionnée par une volonté politique basée sur le profit.

Par Jean-Luc Jouve
14/01/2020

Le 14 janvier, 1200 chefs de service hospitalier et d’unité fonctionnelles vont annoncer leur intention de démissionner de leur fonction administrative si le gouvernement n’entame pas immédiatement une réflexion de fond sur la remise à niveau de l’hôpital public.

Il n’est pas banal que les médecins s’unissent dans un geste symbolique aussi fort, prêts à aller jusqu’à des actions beaucoup plus concrètes susceptibles de déstabiliser complètement l’appareil de santé.

Ces médecins sont des chefs de service hospitalier issus de toute la France et réunis à l’initiative du collectif Inter hôpitaux (CIH). Ce collectif est très jeune, fondé en septembre 2019. Il regroupe tous les professionnels de santé de l’hôpital public sans tenir compte d’une appartenance politique ou syndicale. À cette liste de 1200 chefs de service démissionnaires s’associe une liste de soutien du personnel soignant ou non soignant de l’hôpital public regroupant près de 5000 signatures.

Sensation d’abandon des pouvoirs publics

Si ce collectif a pris autant d’ampleur en quelques mois, c’est essentiellement face à la sensation d’abandon par les pouvoirs publics de toutes les valeurs qui portent le système hospitalier français et en font une référence internationale. Malgré la succession des différents gouvernements, ces 20 dernières années ont vu la qualité de l’hôpital public se dégrader. Cette dégradation s’est exprimée d’abord en termes de qualité de travail et de réception pour les patients. Les professionnels de santé n’ont pas une culture à la contestation et ont accepté avec fatalisme cette situation au fil des années au nom d’une médecine qui restait florissante. Cependant, arrive le moment où la qualité même des soins apportés aux patients pose question et se dégrade de manière sensible.

En clair, on voit arriver à moyen terme la disparition des fondamentaux de la médecine publique française à savoir les meilleurs soins pour tous et de la manière la plus juste.

Une volonté politique basée sur le profit
Cette situation est inacceptable pour beaucoup de soignants, notamment les chefs de service qui ont vu au cours de leur carrière l’hôpital passer de l’excellence à une situation de dégradation inexorable cautionnée par une volonté politique basée sur le profit. Les directeurs d’hôpitaux ne sont plus des gestionnaires mais des comptables. Un hôpital de qualité n’est pas celui qui soigne le mieux mais celui qui atteint l’équilibre financier.

Il devient urgent pour l’ensemble du corps médical français de reconsidérer la position de l’hôpital public, redonner aux hôpitaux les lits qui ont été fermés et ne permettent plus de recevoir les patients dans des conditions décentes, revaloriser les salaires du personnel hospitalier.

Il est capital de pouvoir offrir aux plus jeunes des carrières attractives permettant de garder à l’hôpital les meilleurs de nos jeunes médecins. Il convient également que le gouvernement remette à flot les hôpitaux publics endettés et révise de manière radicale leur mode de financement afin de permettre d’appliquer la règle du juste soin pour tous. Le rôle des directions hospitalières doit être d’inciter à la pertinence des prescriptions, des actes plutôt que de rechercher des activités rentables. Il est temps de revenir à la réalité et savoir qu’un hôpital public pour tous ne peut être une entreprise destinée à dégager des bénéfices.

Repenser l’hôpital public
Tout doit être repensé à commencer par une gouvernance associant aux gestionnaires, les médecins, les personnels et les usagers.

Sur le plan pratique nous demandons :

 Un correctif budgétaire permettant de supprimer la demande d’économies faite aux hôpitaux qui reste encore à la hauteur de 500 à 600 millions ;
 La programmation d’une revalorisation des rémunérations des personnels hospitaliers permettant d’atteindre la moyenne des rémunérations des pays OCDE à qualification comparable ;
 L’ouverture de négociations pour préparer avec les collectifs, les représentants des usagers et les organisations syndicales ;
 Un Grenelle de la santé avec un plan à la fois national et régional pour définir les embauches de personnels nécessaires pour améliorer la qualité des soins et assurer la sécurité, évaluer les réouvertures de lits notamment pour l’aval des urgences et des soins aigus, changer les modes de financement et rénover la gouvernance impliquant les professionnels et les usagers au niveau du service comme de l’ensemble des structures l’établissement.

Jamais dans l’histoire de nos hôpitaux une détermination a été aussi forte pour faire entendre un tel cri d’alarme. Pour beaucoup de chefs de service démissionnaires, il s’agit de la dernière chance pour sauvegarder un système de santé unique.