Politique santé sécu social de l’exécutif

Le JDD.fr : Hôpital : la guerre secrète d’Agnès Buzyn

Novembre 2019, par infosecusanté

Le JDD.fr : Hôpital : la guerre secrète d’Agnès Buzyn

le 9 novembre 2019

Par Anne-Laure BarretHervé Gattegno

PREMIUMAprès avoir perdu une manche budgétaire en septembre, la ministre de la Santé Agnès Buzyn devrait annoncer un plan ambitieux cette semaine. Au terme de plusieurs semaines d’une offensive en coulisses.

Pour Agnès Buzyn, c’est l’heure de la revanche. Alors que médecins et soignants hospitaliers organisent jeudi une manifestation nationale, point d’orgue du mouvement né en mars, la ministre de la Santé semble avoir remporté un bras de fer engagé contre Bercy pour desserrer l’étau budgétaire. En septembre, ses annonces avaient fait un flop. La contestation n’a pas faibli depuis, au point d’inspirer à Emmanuel Macron la crainte d’une "coagulation" de la fronde des soignants avec celle des opposants à la réforme des retraites, à un mois de la grève reconductible du 5 décembre. C’est pourquoi la crise des urgences est redevenue une urgence.

Les arbitrages n’étaient pas encore rendus samedi mais la décision essentielle est prise : l’exécutif va "ouvrir les vannes" (dixit une source gouvernementale) pour améliorer l’ordinaire des soignants et le fonctionnement des hôpitaux. "Primes", "investissements", "revalorisations" : ces termes ont fait leur réapparition dans les discussions entre les cabinets d’Agnès Buzyn et de Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, qui ont multiplié les réunions ces dernières semaines sous l’égide d’Edouard Philippe.

Entre temps, le climat social s’est durci

S’y ajoute l’idée, étudiée à Bercy, d’une reprise (totale ou partielle) par l’Etat de la dette astronomique des hôpitaux - 30 milliards d’euros ! Objectif : redonner de l’oxygène au système de santé et permettre aux directeurs d’établissements d’investir à nouveau dans les équipements et le matériel, dont la dégradation alimente la frustration des personnels au quotidien.

« Le Président veut absolument tenir sur sa réforme, donc il est prêt à lâcher sur le reste »

Ce qui a changé ? Le climat social, qui s’est durci, principalement autour de la question des retraites. La radicalisation du mouvement hospitalier, aussi, sur laquelle Buzyn a plusieurs fois attiré l’attention de Macron et de Philippe, allant jusqu’à comparer les blouses blanches aux Gilets jaunes : "Les syndicats sont d’accord avec moi mais la base ne veut rien entendre, leur a-t-elle dit. Ils sont complètement débordés." Sans oublier l’inquiétude des élus locaux, toutes couleurs politiques confondues, qui s’alarment à 4 mois des élections municipales de voir la crise s’enraciner dans leurs hôpitaux, souvent les premiers employeurs de leur ville.

L’addition de ces causes a fini par produire son effet. "Le Président veut absolument tenir sur sa réforme, donc il est prêt à lâcher sur le reste ; Buzyn a poussé son avantage", analyse un ministre influent. Après un échange vif en réunion, Darmanin lui a fait porter un bouquet de roses. Cadeau de bienvenue dans le grand bain de la politique ? La suite a plutôt tourné à l’avantage de Buzyn.

Sans doute plusieurs milliards

Matignon et Bercy excluaient en fin de semaine qu’une enveloppe fixe soit allouée à la crise hospitalière, sur le modèle des 10 milliards d’euros cédés aux Gilets jaunes il y a un an ; mais on admettait, à l’Elysée, que les mesures à venir vont "coûter très cher". "Il faut bouger et il faut un mouvement à la mesure de la crise", ajoutait-on à Matignon. Sans doute plusieurs milliards en tout, qui viendront alourdir le déficit public. "Edouard Philippe, ce n’est pas Picsou ! plaide un proche du Premier ministre. Oui, il y a un problème de dépenses publiques, mais c’est moins une question de volume que de répartition, de mettre les moyens aux bons endroits."

« Ça ne passera pas »

La prise de conscience semble désormais telle qu’une hésitation s’est même fait jour sur le timing des annonces à venir : faut-il les faire avant ou après la manifestation de jeudi ? L’anticipation aurait l’avantage de couper l’herbe sous le pied des manifestants ; mais l’attente permettrait de présenter les mesures comme une réponse à leurs réclamations. Avec, dans les deux cas, le risque de ne pas les satisfaire."Ça ne passera pas", avait prévenu à la rentrée Agnès Buzyn, meurtrie. Le Premier ministre l’avait alors contrainte à réduire ses ambitions pour annoncer un "pacte de refondation" des urgences de 750 millions d’euros, pour l’essentiel issus de redéploiements de crédits. Cette fois, espère-t-on au ministère de la Santé, les décisions arbitrées par le chef de l’Etat devraient lui permettre de "passer".

Une hausse de l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie ?

Un indicateur focalisera l’attention des professionnels de santé et des experts : l’Ondam (objectif national des dépenses d’assurance-maladie) - acronyme abscons qui désigne le montant total des soins qui pourront être remboursés chaque année par l’Assurance maladie. Son augmentation, limitée à 2,3% dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, a été vécue comme une provocation, après sept mois de grèves blanches et de conflit larvé dans les hôpitaux - du fait du vieillissement de la population, avec son cortège de maladies chroniques, il ne suffit pas à compenser la hausse mécanique des dépenses de santé.

"Il n’y aura pas de grand plan pour l’hôpital sans des fonds, et les fonds, c’est via l’Ondam", ­prévient une députée très au fait de ces questions. Comme d’autres, elle a mal vécu le fait qu’une fois encore on serre la vis aux hôpitaux alors qu’on lâche du lest sur les dépenses de soins en médecine de ville (moins faciles à réguler, il est vrai, puisque généralistes et spécialistes ont la liberté de multiplier le nombre de leurs consultations).Si l’Ondam grimpe de 0,1 à 0,3 point - estimations évoquées en haut lieu ces derniers jours -, les marges de manœuvre recréées pourraient permettre de verser des primes à certains hospitaliers, ­notamment pour rendre les débuts de carrière plus attractifs et retenir les médecins, infirmiers et aides-soignants qui partent exercer dans les cliniques, plus lucratives. Les chefs de service pourraient également voir leurs responsabilités mieux rémunérées.

Elle a trouvé les arguments

Mais pas question de toucher au point d’indice de la fonction ­publique. Ni de satisfaire la ­revendication du collectif Inter-Urgences - 300 euros d’augmentation de salaire -, à l’origine de la fronde. Le calcul a été vite fait : pour 1,2 million de salariés dans les hôpitaux, cela ­représenterait 9 milliards d’euros par an (et 3 ­milliards pour satisfaire les seules demandes des soignants). Sans compter le risque d’attiser la jalousie d’autres corporations en souffrance. Jean-Michel ­Blanquer et Christophe Castaner ont averti que les revendications des enseignants comme des policiers avaient aussi leur légitimité.

Il n’empêche, la ministre de la Santé peut maintenant se prévaloir d’un arbitrage présidentiel qui ­valide son poids politique. Critiquée durant l’été jusqu’au sommet de l’Etat pour sa gestion ­infructueuse de la crise hospitalière, Buzyn a tout de même remporté quelques batailles. Elle a obtenu gain de cause sur le déremboursement de l’homéopathie, allant jusqu’à prévenir l’Elysée que "sa crédibilité de scientifique [était] en cause" - pas très loin d’une menace de démission - et, tout récemment, fait valoir son point de vue sur l’aide médicale d’Etat (AME) pour les étrangers en situation irrégulière, que le gouvernement a renoncé à réduire.

« Il faut à tout prix éviter que l’hôpital sorte de son lit »

Face à la crise hospitalière, "peut-être que l’erreur a été, non pas de ne pas lui faire confiance, mais de trop se fier à sa crédibilité de grand médecin", hasarde un de ses soutiens. Elle-même professeure de médecine, jadis présidente de l’Institut national du cancer puis de la Haute Autorité de santé, Buzyn a trouvé les arguments pour convaincre Macron, fils d’un professeur de neurologie du CHU d’Amiens ; a fortiori quand elle lui a expliqué le rôle néfaste de grands mandarins qui soulagent leurs services au ­détriment des urgences, et l’efficacité dans la gouvernance qui pourrait s’améliorer si l’on redonnait aux médecins une partie du pouvoir dans la direction des établissements, quasiment transformés en entreprises depuis la réforme Bachelot de 2009. "Il faut à tout prix éviter que l’hôpital sorte de son lit, lui a-t-elle répété. Sinon, on ne l’y fera pas rentrer."