Branche maladie de la sécurité sociale

Le Monde - Aide médicale d’Etat : concours d’intox… de la majorité au RN en passant par la droite

Septembre 2019, par Info santé sécu social

VÉRIFICATION

Stanislas Guerini, Valérie Pécresse ou encore Jordan Bardella ont propagé récemment des contre-vérités sur ce dispositif sanitaire pour les sans-papiers.

Par Adrien Sénécat

Le système de santé français est-il trop « généreux » avec les sans-papiers ? Le gouvernement a entamé, durant l’été, une réflexion sur le sujet en commandant un rapport sur l’aide médicale d’Etat (AME) à l’inspection générale des finances (IGF) et à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS). Objectif : passer au crible ce dispositif d’accès aux soins à destination des personnes en situation irrégulière en France et dégager d’éventuelles pistes d’économies.

Plusieurs responsables politiques se sont engouffrés dans la brèche sans attendre les conclusions de l’IGF et de l’IGAS, attendues pour octobre. Des cadres de La République en marche (LRM), du Rassemblement national (RN) ou encore de la droite mettent en cause l’AME, jugée trop coûteuse (près d’un milliard d’euros) et trop confortable pour ses bénéficiaires. Mais sous couvert de chasser des « abus », ces responsables politiques versent dans la tromperie. Explications.

Ce que disent les critiques de l’AME :

– Le député et délégué général de LRM Stanislas Guerini a posé la question du panier de soins de l’AME sur CNews, le 10 septembre.

« Le cœur de l’aide médicale d’Etat, c’est utile. » Mais « j’entends qu’il peut y avoir des abus de l’utilisation de l’AME, par exemple pour financer des prothèses mammaires. Eh bien, ça, on voit bien qu’on n’est pas dans des situations d’urgence. »

– La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, qui a quitté Les Républicains en juin, a, quant à elle, proposé de réduire l’offre de soins au titre de l’AME dans un entretien au JDD du dimanche 22 septembre :

« Je suis pour la restriction de l’AME au seul panier de soins nécessaires : par exemple, une maladie grave, un virus ou une urgence sanitaire. Aujourd’hui, les bénéficiaires de l’AME sont couverts à 100 % ! C’est injuste pour les classes moyennes, qui paient de plus en plus cher leur mutuelle. »

Le même jour, l’eurodéputé RN Jordan Bardella développait sur BFM-TV un argumentaire similaire :

« Cela me pose un problème, je l’assume, qu’on offre les soins gratuits à des gens qui viennent de l’étranger, qui sont en situation irrégulière. Pas certains soins d’urgence, l’ensemble de la palette de soins gratuits. On a même vu que les prothèses mammaires étaient prises en charge par l’aide médicale d’Etat. (…) Toute la palette de soins gratuits est offerte, aujourd’hui, aux personnes qui viennent de manière irrégulière. »

POURQUOI C’EST FAUX

1. L’AME ne donne pas droit à « toute la palette de soins »
L’AME est un dispositif qui s’adresse aux étrangers qui résident de manière irrégulière en France, sous condition de durée de séjour (au moins trois mois) et de ressources (ces dernières ne doivent pas dépasser un plafond de ressources de la Sécurité sociale).

Contrairement à ce que laissent entendre de nombreux responsables politiques, le fameux « panier de soins » auquel l’AME ouvre droit est clairement défini. Il s’agit des prestations de base, prises en charge dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale. Principalement :

 des soins médicaux et dentaires ;
 des médicaments remboursés à 100 %, 65 % et 30 % ;
 des frais d’analyses, d’hospitalisation et d’intervention chirurgicale ;
 des principaux vaccins, de certains dépistages ;
 des frais liés à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse.

Contrairement aux autres assurés sociaux en France, les bénéficiaires de l’AME n’ont en revanche pas le droit à certaines prestations, comme les cures thermales, la procréation médicalement assistée ou les frais d’hébergement et de traitement des mineurs handicapés. Il est donc abusif d’affirmer, comme le fait Jordan Bardella, que ce dispositif ouvrirait droit à « toute la palette de soins ».

La notion de « soins vitaux » peut faire débat, mais les spécialistes s’accordent sur un point : le dispositif est très encadré et n’ouvre pas droit à des soins dits « de confort ». La notion même d’abus pose d’ailleurs question, puisqu’il s’agit des prestations de base de la Sécurité sociale. « Pourquoi tel ou tel soin serait du “confort” pour les bénéficiaires de l’AME et pas pour les autres ? », observe Adeline Toullier, directrice du plaidoyer à l’association Aides, membre de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE).

« Il devrait faire une fibroscopie mais comme il n’a pas l’AME… »

2. L’exemple des prothèses mammaires est fallacieux
Le cas des prothèses mammaires, évoqué par Stanislas Guerini et Jordan Bardella, est faux. En effet, l’AME n’ouvre pas droit aux actes de chirurgie esthétique – pas plus que pour les autres assurés. Si des prothèses mammaires peuvent être prises en charge à ce titre, c’est uniquement pour des raisons médicales (le plus souvent après un cancer du sein). Contacté par Le Monde, l’entourage de Stanislas Guerini a fait savoir que le délégué général de LRM a « présenté des excuses » pour ces propos, admettant que l’exemple était mal choisi.

Par le passé, des rumeurs analogues prétendaient que les personnes couvertes par l’AME avaient le droit de bénéficier de cures thermales.

« Pas de base réelle » au débat sur le panier de soins

Quels seraient, dès lors, les soins qui figureraient indûment dans le panier AME ? Les responsables politiques eux-mêmes peinent à trouver des exemples concrets dans ce débat. « On n’a pas d’exemple précis en tête », admet-on à LRM. Du côté de Valérie Pécresse, on répond simplement que « c’est aux médecins de le déterminer », sans citer d’exemple. Jordan Bardella, pour l’heure, ne nous a pas répondu.

« Il n’y a pas de base réelle » au débat sur le panier de soins AME, estime Delphine Fanget, qui suit le sujet pour Médecins du monde. Et selon elle, il n’existe pas, pour l’heure, de cas documentés de fraudes dans le cadre desquelles l’AME serait détournée de son but pour faire rembourser, par exemple, des soins esthétiques.

Cette spécialiste de la médecine humanitaire s’inquiète par ailleurs des conséquences que ce débat pourrait avoir en termes de santé publique. Au-delà de sa vocation humanitaire, l’AME répond aussi à des enjeux sanitaires. « Il y a une forte prévalence de maladies infectieuse ou de pathologiques chroniques dans les populations bénéficiaires, en partie à cause de conditions de vie dégradées en France », note-t-elle. Or « un soin qui peut paraître inutile pour quelqu’un en bonne santé ne le sera pas pour quelqu’un en mauvaise santé ». Et ne pas traiter ces patients pourrait à terme favoriser la propagation de maladies contagieuses, comme la tuberculose.

3. L’AME ne rembourse pas tout « à 100 % »
Autre idée fausse, pourtant répandue par des responsables politiques : le dispositif ne couvre pas systématiquement 100 % des soins. L’AME assure une prise en charge limitée aux tarifs de base de la Sécurité sociale, ce qui n’a rien d’une couverture intégrale.

Il est ainsi courant de devoir faire appel à son assurance complémentaire santé pour prendre en charge, par exemple, ses frais dentaires ou d’optique. Dans le cas de la pose d’une couronne dentaire, la Sécurité sociale rembourse 75,25 euros, ce qui est très loin de couvrir le prix réel de la prestation – au mieux 300 euros, souvent beaucoup plus. Ce qui laisse un reste à charge de l’ordre de plusieurs centaines d’euros pour un bénéficiaire de l’AME.

On ne peut donc pas prétendre, comme le fait Valérie Pécresse, que les sans-papiers seraient « couverts à 100 % » et opposer leur situation à celle des « classes moyennes qui paient une mutuelle », puisque les deux cas de figure ne sont pas comparables.

« L’AME est moins avantageuse que la Sécurité sociale ou que la CMU-C », la couverture maladie universelle accordée aux personnes en situation régulière en France sous conditions de ressources, confirme Delphine Fanget. Ce qui, là encore, tord le cou à l’idée selon laquelle les Français seraient moins bien soignés que les sans-papiers.

4. Un coût en hausse mais peu de fraudes
Selon les données de l’Assurance-maladie, le bénéficiaire moyen de l’AME ne se distingue pas par une consommation excessive de soins. La dépense de santé moyenne par bénéficiaire est d’environ « 2 600 euros » par an, comme l’a indiqué la ministre de la santé, Agnès Buzyn, dimanche 22 septembre sur RTL. Soit « à peu près » le même montant que pour un assuré social français moyen.

Si les dépenses liées à l’AME ont sensiblement augmenté depuis le début des années 2010, c’est avant tout à cause de la hausse du nombre de personnes éligibles. Un peu plus de 300 000 personnes en bénéficient désormais, pour un budget global de près de 1 milliard d’euros par an.

Pas sûr pour autant que la solution, pour la santé publique comme pour le budget, passe avant tout par un durcissement du dispositif. La droite avait testé l’instauration d’un « droit d’entrée » de 30 euros dans le dispositif (aboli en 2012), mais ce dernier avait conduit les bénéficiaires à se soigner plus tardivement, ce qui a causé « in fine, un renchérissement de la dépense », selon un rapport parlementaire de 2015. A l’inverse, des expérimentations menées en Ile-de-France de 2011 à 2014 ont montré qu’une meilleure politique de dépistage et de prévention permet de limiter la diffusion des maladies, et donc le coût final des soins.

Des cas de fraudes peuvent bien sûr exister, reconnaît Adeline Toullier, de l’association Aides. Mais il s’agirait plutôt de cas où la personne qui demande l’AME dissimulerait des revenus. Des cas plus sophistiqués (et marginaux) ont été relatés par la presse par le passé. Le Parisien citait en 2014 l’exemple de Géorgiens atteints de formes graves de tuberculose qui attendaient la fin de leur visa de tourisme pour se faire hospitaliser, et donc être pris en charge gratuitement.