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Le Monde - Amiante : la Cour de cassation annule les mises en examen pour homicides et blessures involontaires

Décembre 2018, par Info santé sécu social

Le rejet des pourvois de deux associations et d’un syndicat par la juridiction suprême compromet la tenue du procès pénal réclamé depuis 1996 par les victimes.

Par Patricia Jolly Publié hier à 18h24, mis à jour hier à 21h18

La chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé, mardi 11 décembre, l’annulation des mises en examen pour « homicides et blessures involontaires » de huit responsables nationaux dans les dossiers du scandale sanitaire l’amiante du Comité anti-amiante du campus universitaire parisien de Jussieu, et dans celui des chantiers navals de la Normed de Dunkerque adossé à l’Association régionale des victimes de l’amiante du Nord-Pas-de-Calais (Ardeva 59-62).

La juridiction judiciaire suprême a rejeté les pourvois formés par ces deux associations de victimes ainsi que celui du Syndicat général de l’éducation nationale-CFDT (SGEN-CFDT), également partie civile dans ce dossier vieux de 22 ans. Entrées dans la bataille anti-amiante dès 1996, ces trois entités contestaient une décision rendue le 15 septembre 2017 par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris.

Cette juridiction avait alors annulé pour la deuxième fois les mises en examen de neuf personnes – dont une est décédée depuis – prononcées entre décembre 2011 et janvier 2012 pour avoir « désinformé » sur les risques de l’amiante et retardé l’adaptation de la réglementation. La chambre de l’instruction avait estimé que les risques liés à l’amiante étaient insuffisamment connus à l’époque des faits et que ces personnes ne disposaient d’aucun pouvoir décisionnaire, ce qui les exonérait de toute responsabilité.

Lobbying pour « l’usage contrôlé » de l’amiante
Issus du milieu industriel et scientifique ou hauts fonctionnaires du ministère du travail, de la santé ou de l’industrie, les mis en cause ont participé, entre 1982 et 1995, au « Comité permanent amiante » (CPA), une structure de lobbying financé par les industriels de l’amiante et accusée par les parties civiles d’avoir promu « l’usage contrôlé » de l’amiante, une fibre reconnue cancérogène par le CIRC dès 1973 et finalement bannie en France en 1997.

Le Comité anti-amiante Jussieu, l’Ardeva 59-62 et le SGEN-CFDT s’étaient pourvus en cassation, espérant obtenir le procès pénal réclamé par les dizaines de milliers de familles de victimes dans cette affaire, dont la première plainte remonte à 1996.
Dans ses deux arrêts, mardi, la Cour de cassation a confirmé la décision de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, estimant qu’elle relevait de l’« appréciation souveraine des faits » par les juges du fond (de la Chambre de l’instruction). Juge du droit en matière judiciaire, la Cour de cassation n’examine pas le fond des dossiers, mais s’assure que la loi a été correctement appliquée aux faits constatés par les juges du fond sans « insuffisance » ni « contradiction ».

« Cette décision n’est pas une surprise »
« Cette décision n’est pas une surprise, dans la mesure où les mises en examen des mêmes personnes avaient été annulées en 2015 dans un autre dossier emblématique du scandale de l’amiante, celui de Condé-sur-Noireau », a déclaré au Monde Michel Parigot, président du Comité anti-amiante Jussieu.

Interminable bataille judiciaire
Pour Me Jean-Philippe Duhamel, avocat de Patrick Brochard, un médecin du travail ayant siégé au CPA, « ces décisions mettent fin aux procédures pénales engagées par des plaintes déposées en 1996 ». Mais selon Me Guillaume Hannotin, avocat de l’Ardeva 59-62 et du Comité anti-amiante Jussieu, elles ne constituent qu’un nouvel épisode de l’interminable bataille judiciaire que ses clients ne sont pas disposés à abandonner.

« Le scandale sanitaire de l’amiante est plus vaste que les seuls dossiers Jussieu et Normed qui concernent seulement des victimes identifiées et qui se sont constituées parties civiles, a-t-il expliqué au Monde. Chaque jour, l’amiante – dont les effets se font sentir plusieurs dizaines d’années après exposition – cause de nouveaux décès. Et ses victimes représentent autant de faits nouveaux à juger. »

L’amiante provoque un cancer spécifique, le mésothéliome (cancer de la plèvre) et est responsable de 10 % à 20 % des cancers du poumon. En France, selon les autorités sanitaires, cette fibre est responsable d’environ 3 000 décès par cancers chaque année. Selon une étude de 2012 de l’Institut de veille sanitaire, elle devrait provoquer au total entre 130 000 et 180 000 décès dans l’Hexagone.

Le Comité anti-amiante Jussieu et l’Ardeva 59-62 ont annoncé qu’elles déposeraient une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment sur le principe du « procès équitable ». « La Chambre de l’instruction qui ne siège pas publiquement et qui ne permet pas de produire de nouveaux éléments à l’audience s’est permis, en septembre 2017, un jugement sur le fond, a expliqué M. Parigot au Monde. Elle a alors jugé que les mis en cause ne pouvaient connaître le risque lié à l’amiante en l’état des connaissances scientifiques à l’époque des faits. Or, on ne peut juger d’un tel élément que devant un tribunal correctionnel, donc dans un cadre public et contradictoire. » Les associations disposent d’un délai de six mois pour saisir la CEDH.