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Le Monde - Bilans accablants - 110 mesures, aucun effet : les ratés du plan santé environnement

Juillet 2019, par Info santé sécu social

Lundi 8 juillet 2019

Deux rapports dressent chacun un bilan accablant du troisième plan national santé-environnement, en vigueur entre début 2015 et fin 2019.

En France, il arrive que la discrétion soit la contrepartie de la liberté. Rendus en décembre 2018 et publiés quatre mois plus tard sans tambour ni trompette, deux rapports – l’un de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), l’autre du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) – dressent chacun un bilan accablant du troisième plan national santé-environnement (PNSE), en vigueur entre début 2015 et fin 2019. Ces évaluations seront examinées, mardi 9 juillet, pour l’élaboration du futur quatrième PNSE, dit-on à la direction générale de la santé.

Passés inaperçus lors de leur publication, les deux rapports concluent en substance que le PNSE en vigueur n’a eu aucun impact sanitaire positif mesurable. « Le constat tiré par les inspecteurs est particulièrement affligeant, estime l’épidémiologiste William Dab, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et ancien directeur général de la santé. Il est très rare que, sur un sujet aussi important que l’impact de l’environnement sur la santé, une politique publique se situe à un tel niveau de défaillance. »

Institué par le code de santé publique, le PNSE est un plan national de prévention des risques sanitaires liés à l’environnement, censé tenir compte des effets « des agents chimiques, biologiques et physiques présents dans les différents milieux de vie, y compris le milieu de travail, ainsi que ceux des événements météorologiques extrêmes ». Le PNSE-3 est constitué de cent dix actions, soit plus de deux fois plus que sa version précédente.

Des mesures qui relèvent surtout de la communication
Ces mesures sont très diverses : « élaborer et mettre en œuvre une feuille de route interministérielle “amiante” », « mettre en œuvre la protection des captages utilisés pour l’alimentation en eau potable contre les pollutions accidentelles et diffuses », « soutenir les travaux liés à la substitution des substances perturbateurs endocriniens », « résorber les points noirs du bruit »… A lire les rapports d’inspection, cette inflation de mesures relève surtout de la communication. L’action réellement mise en œuvre est « très relative », selon l’IGAS.

L’analyse de l’ensemble des mesures révèle d’abord que « très peu (…) visent à réduire l’exposition aux facteurs nocifs ». Environ 65 % consistent à acquérir de nouvelles connaissances sur les risques par des mesures ou de la recherche, 13 % renvoient à d’autres plans prévus ou en cours… Mais le « plan plomb », par exemple, auquel renvoie le PNSE-3, n’existe toujours pas. Enfin, seules 20 % des mesures annoncées consistent à « répondre » aux risques, soit en prenant en charge leurs conséquences, soit en diminuant l’exposition des populations.

Toutefois, ces mesures ne sont généralement pas opérationnelles. Le CGEDD relève ainsi « une absence totale d’indicateurs sur les effets attendus en matière de niveau de santé, malgré la proposition par le Haut Conseil de santé publique en ce sens ». Ni volonté forte de réduire les risques ni direction claire, le PNSE-3 ne définit, en outre, très généralement, « ni les moyens humains, ni les moyens financiers, ni les moyens organisationnels nécessaires » à sa mise en œuvre, détaille l’IGAS. Le plan dans son ensemble n’a ainsi pas de budget propre, et aucune de ses cent dix actions n’a fait l’objet d’un chiffrage quant à son coût.

Le CGEDD considère que « le PNSE-3 a pu contribuer au développement de recherches en santé-environnement mais il n’a pas permis de mettre en place une stratégie de recherche dans le domaine ».

Le coût n’est pas répercuté sur les auteurs des nuisances
De son côté, l’IGAS rappelle que la qualité de l’environnement est au cœur d’« enjeux sanitaires majeurs faiblement pris en compte ». L’inspection rappelle qu’en se fondant sur les données et les connaissances disponibles en 2006, l’Organisation mondiale de la santé estimait que 14 % de la mortalité française – soit 74 300 décès – était liée à l’environnement au sens large, dont une part importante à la pollution atmosphérique. Encore l’IGAS estime-t-elle que ces chiffres minorent probablement la réalité : de nouveaux travaux permettant d’établir des liens de causalité n’étaient pas encore disponibles en 2006.

En s’appuyant sur diverses sources et en tenant compte des coûts tangibles (frais de santé, déficit de productivité économique, etc.) et intangibles (estimation économique de la perte d’années de vie, de bien-être...), l’IGAS estime que les effets sanitaires de la dégradation de l’environnement peuvent être estimés à plus de 7,5 % du produit intérieur brut, en ne tenant compte que de la pollution de l’air, de la pollution sonore et de la faible proportion de dégâts chiffrables des perturbateurs endocriniens (pesticides, plastifiants…).

Le CGEDD relève également que cet aspect financier – le coût pour la collectivité de certaines activités n’est pas répercuté sur les auteurs des nuisances – n’est qu’insuffisamment pris en compte, « puisque les coûts des dégradations de l’environnement et de la santé ne sont que rarement évalués ».

La question des pesticides fait l’objet d’une annexe spécifique dans le rapport de l’IGAS. L’inspection rappelle l’existence d’« enjeux sanitaires très conséquents » liés à l’usage de ces produits, suffisants « pour motiver une action déterminée et rapide ». L’inspection note là encore le peu d’ambition du plan, qui ne consacre que huit actions à ce sujet, dont une seule visant à réduire l’exposition à ce facteur de risque, en s’assurant que « les pesticides distribués et utilisés dans les départements d’outre-mer soient des produits autorisés ».

Initialement, trois services avaient été saisis pour travailler ensemble à l’expertise du plan : l’IGAS, le CGEDD et l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Selon nos informations, des désaccords sur le cadrage de la saisine et sur la rédaction du texte ont conduit à deux rapports distincts, bien que semblables dans leurs conclusions. L’IGAENR n’a pas rendu de rapport et n’était pas en mesure, vendredi 5 juillet au soir, de répondre aux sollicitations du Monde.

Au total, pour M. Dab, le constat d’échec est sans appel. « C’est très grave, non seulement pour la santé publique, mais aussi pour la défiance que cela instaure vis-à-vis des pouvoirs publics, estime-t-il. Les politiques publiques doivent dire ce qu’elles vont faire et faire ce qu’elles ont dit. Sans ce minimum, on détruit la confiance et on finira par nourrir les extrêmes. C’est très inquiétant. »

Stéphane Foucart