Le droit à la santé et à la vie

Le Monde - Coronavirus : et si l’on en faisait autant contre la grippe ?

Mars 2020, par Info santé sécu social

Editorial.

La mobilisation, légitime, face au SARS-CoV-2 jette par contraste une lumière crue sur une forme de fatalisme et de désinvolture entourant la mort, chaque année, de milliers de personnes tuées par la grippe saisonnière.

Imaginez un virus contre lequel existeraient des médicaments, des barrières efficaces et un vaccin, et qui pourtant ferait en moyenne 10 000 morts par an en France. La collectivité nationale accepterait-elle pareil scandale ? Au vu de la mobilisation générale contre le SARS-CoV-2, qui a déjà infecté 1 126 personnes en France et en a tué 19, selon, le bilan effectué le 8 mars, on pourrait penser que non. Or ce virus et ce scandale existent. Ce sont ceux de la grippe saisonnière et de ses morts oubliés.

Cette maladie-là a engendré une surmortalité d’environ 8 100 décès lors de la saison 2018-2019, 13 000 l’année précédente et 14 000 en 2016-2017, selon Santé Publique France. Certes, des campagnes de vaccination sont organisées chaque hiver. La vaccination des personnes majeures par les pharmaciens volontaires a même été généralisée cette année à tout le territoire.

Une nation rétive à la vaccination
Mais les messages de santé publique ne semblent pas avoir l’efficacité escomptée : seuls 50 % des plus de 65 ans sont vaccinés (pourcentage en baisse) et 30 % des plus jeunes. Même au sein du corps médical, une forme de défiance s’exprime : 35 % des personnels de santé (deux tiers des médecins mais à peine plus d’un tiers des infirmiers) étaient vaccinés en 2018-2019, alors qu’ils peuvent se trouver au contact de malades fragiles. La question de l’obligation vaccinale pour cette frange de la population, toujours repoussée, reste sensible.

La France est au premier rang des nations rétives à la vaccination. Un Français sur trois pense que les vaccins ne sont pas sûrs et un sur cinq pas efficaces, selon l’ONG britannique Wellcome Trust. Cette défiance n’est pas totalement irrationnelle, même si elle est alimentée par des mouvements antivaccins aux motivations plus que troubles.

Les vaccins antigrippaux n’offrent qu’une protection partielle, en raison des mutations des souches virales. Un usage maladroit de l’arme vaccinale par les pouvoirs publics (hépatite B, H1N1) a pu nourrir la méfiance, de même que des scandales sanitaires impliquant l’industrie pharmaceutique. Mais l’élargissement, début 2018, de 3 à 11 du nombre des vaccins obligatoires dans la petite enfance semble porter ses fruits, et l’épidémie de rougeole a rappelé les mérites de cette protection immunitaire.

Dimension citoyenne
Le tableau général est celui d’une large ignorance des bénéfices pour autrui de la vaccination. Ainsi, le système immunitaire affaibli des personnes âgées ne leur permet de profiter que très partiellement de la protection offerte par l’injection. Les vacciner n’est donc qu’une partie de la solution. La circulation du virus est plus efficacement stoppée parmi les plus jeunes, qui sont aussi les plus aptes à résister sans vaccin.

Il faut rappeler la dimension citoyenne de la vaccination : ce n’est pas uniquement pour soi que l’on surmonte la crainte de la seringue, mais pour les plus vulnérables – nourrissons, personnes immunodéprimées et âgées. Or ces dernières sont souvent invisibles dans notre société : affaiblies, elles meurent dans l’anonymat, fauchées par un virus grippal opportuniste. En 2019, 84 % des morts de la grippe avaient plus de 75 ans. Une forme de fatalisme et de désinvolture semble entourer ces fins de vie.

A ceux qui dénoncent un emballement excessif face au coronavirus en relativisant son impact par rapport à celui de la grippe si familière, proposons une question : combien de décès de la grippe seraient-ils évités chaque année si nous adoptions collectivement, et individuellement, ne serait-ce qu’une partie des comportements de précaution qu’a ressuscités l’arrivée du Covid-19 ?