Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde : Coronavirus : masques systématiques, télétravail, écoles… Le conseil scientifique recommande une stratégie nationale pour le déconfinement

Avril 2020, par infosecusanté

Le Monde : Coronavirus : masques systématiques, télétravail, écoles… Le conseil scientifique recommande une stratégie nationale pour le déconfinement

Dans son sixième avis, le cercle d’experts pose plusieurs conditions à cette nouvelle étape. Très prudent, il insiste sur le risque de rebond en cas de relâchement trop soudain des mesures de contrôle.

Par Paul Benkimoun et Chloé Hecketsweiler

Publié le 25/04/2020

A quelles conditions le confinement pourra-t-il être levé ? Quelle stratégie mettre en œuvre pour éviter un rebond de l’épidémie de Covid-19 ? Voilà les questions auxquelles le conseil scientifique sur le Covid-19 répond en détail dans son sixième avis. Ce document de 42 pages daté du 20 avril a été mis en ligne sur le site du ministère de la santé le 25 avril dans la soirée.

Même si le taux de transmission du SARS-CoV-2 dans la population française a été réduit de 84 % grâce au confinement, le « relâchement trop soudain des mesures de contrôle pourrait se traduire par une remontée rapide du nombre de cas et par un retour des formes graves en hospitalisation et en réanimation », prévient le conseil scientifique. Avec un taux d’immunisation situé entre 5 % et 20 % selon les régions, il rappelle que nous sommes loin du taux d’au moins 70 % requis « pour éviter une reprise épidémique ».

A quelles conditions le confinement pourra-t-il être levé ?
La sortie du confinement suppose d’abord d’atteindre deux objectifs – le contrôle de l’épidémie et la limitation du nombre de cas graves. Elle ne s’effectuera qu’au moment où « la charge hospitalière en réanimation des centres hospitaliers situés en zone épidémique » correspondra à « un retour à un fonctionnement acceptable en routine », insiste l’avis. Elle suppose des hôpitaux « soulagés » et des soignants « reposés », mais aussi des stocks de médicaments, de traitements et d’équipements de protection « reconstitués » pour affronter la suite de l’épidémie. Des masques FFP2 et/ou chirurgicaux devront être disponibles pour tous les soignants.

Afin d’améliorer la prise en charge des patients, le conseil estime urgent de constituer une base de données afin de disposer en temps réel des caractéristiques des patients hospitalisés pour Covid-19.

Pour répartir au mieux les patients selon leur état de santé et éviter l’embouteillage dans les hôpitaux, il suggère la création d’« établissements intermédiaires pour la prise en charge des patients issus des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ». Il insiste aussi sur une « une médecine de ville repositionnée en première ligne », dotée d’outils de suivi numérique des patients. L’accès « sur tout le territoire » à des tests « fiables » est un autre prérequis, avec la création de centres de diagnostics dédiés.

Ce dépistage massif est l’un des piliers du système de surveillance préconisé par le conseil pour anticiper une reprise de l’épidémie. Il s’appuiera aussi sur différents indicateurs dont les admissions en réanimation. Au moment de la levée du confinement, « lorsqu’on attendra 10 à 50 admissions Covid-19 en réanimation par jour, il pourrait y avoir 1 000 à 3 000 personnes infectées par SARS-CoV-2 par jour sur le territoire national », précise l’avis.

Les scientifiques recommandent aussi de s’appuyer sur des modélisations mathématiques, pour suivre la dynamique de l’épidémie et déterminer le « nombre de reproduction » – baptisé « R » dans le jargon. Il s’agit du nombre de personnes contaminées par chaque individu infecté et doit rester autour de 1 pour éviter une reprise de l’épidémie.

Le conseil scientifique juge enfin « essentiel » d’avoir une estimation de la proportion de la population ayant acquis une immunité au cours de la première phase épidémique selon les régions, afin de suivre la stratégie de levée progressive du confinement. Les tests sérologiques, qui détectent les anticorps anti-SARS-CoV-2, « sont en cours de validation, pour certains déjà existants et susceptibles d’être déployés à grande échelle à horizon de quelques semaines ».

Quand pourra-t-il être levé et quels sont les scénarios envisagés ?
Le conseil scientifique estime difficile d’envisager que ces « prérequis puissent être remplis avant, au mieux, courant mai 2020 ». Une formulation qui, si elle ne contredit pas la date du 11 mai annoncée le 13 avril par Emmanuel Macron, n’est pas aussi catégorique sur la capacité à être prêt à cette échéance.

Trois scénarios sont envisagés par le conseil : la poursuite d’un confinement strict « jusqu’à extinction du nombre de nouveaux cas », la sortie totale du confinement avec l’objectif « d’acquérir une immunité collective », et la levée progressive du confinement avec « une adaptation des mesures en fonction des résultats épidémiologiques ». Seul ce dernier a été retenu, en raison de la « mortalité extrêmement importante » attendue avec le deuxième scénario. Environ 250 000 personnes pourraient mourir au cours de l’épidémie, avant d’atteindre le seuil de 70 % de la population infectée à partir duquel le virus cessera de circuler.

En présentant leur plan comme « une première ébauche », destinée à évoluer avec les connaissances scientifiques et les données épidémiologiques, les scientifiques précisent qu’il est « impossible » de se projeter au-delà de deux mois après la sortie du confinement. Ils recommandent une stratégie nationale – une sortie par région n’apparaissant pas « réaliste » – avec des mesures strictes de contrôle de l’épidémie.

Repérage et mise en quarantaine de toutes les personnes infectées et des individus ayant été en contact avec elles

Cette stratégie dite de « traçage des contacts » a été appliquée lors de la phase 2 de l’épidémie, dans les régions où des foyers avaient été identifiés. Elle consiste à identifier toutes les personnes ayant été en contact avec un individu infecté afin de les tester et de les isoler pendant quatorze jours en cas de résultat positif. Le passage à l’échelle du pays tout entier pose de « nombreux défis », relève l’avis.

Le premier est lié à la détection des cas, alors qu’une infection par le SARS-CoV-2 peut passer totalement inaperçue. Pour les repérer, des « moyens technologiques, logistiques et humains extrêmement importants » seront nécessaires, prévient le conseil. La France devra être en mesure de tester tous les cas suspects, et d’informer les personnes infectées dans des délais très brefs.

Pour cela, il recommande la mise en œuvre d’« un service professionnalisé de santé publique de détection, de suivi, d’isolement des cas et de leurs contacts ». Ce dispositif reposerait, d’une part, sur des plateformes téléphoniques de suivi des cas répertoriés, et de leurs contacts, en disposant des résultats des tests ; et d’autre part, sur des équipes mobiles en cas d’apparition d’un foyer épidémique. Ces équipes proposeront à toutes les personnes infectées « une solution d’isolement efficace », à la maison ou à l’hôtel.

Le conseil scientifique reconnaît que les outils numériques « offrent au public des moyens simples pour déterminer si l’on est un cas probable » et encourage leur développement, dans un cadre éthique bien précis. Le gouvernement a dévoilé début avril un projet d’application de traçage baptisée StopCovid.

Un mètre de distance en toutes circonstances
Le conseil rappelle l’importance de toutes les mesures de distanciation sociale, notamment le télétravail quand il est possible, la fermeture des écoles et la fermeture des lieux de rassemblement. Il appelle à une « ouverture prudente et progressive des commerces ». Jeudi 23 avril, le ministre de l’économie Bruno Le Maire a indiqué que tous pourraient rouvrir le 11 mai sans distinction de taille ou d’activité, mais que la décision concernant les bars, les cafés et les restaurants serait prise fin mai. Du gel hydroalcoolique et des masques devront être mis à disposition dans tous les lieux accueillant du public. Le port du masque « doit [y] être systématique », précise le conseil.

La distance d’un mètre devra impérativement être respectée dans les transports en communs, que les usagers portent ou non un masque, sous peine d’une « reprise incontrôlable de l’épidémie ».

Des déplacements possibles entre régions mais déconseillés à l’étranger
Le conseil recommande de rétablir les transports en commun entre régions, même si des mesures de confinement à l’échelle locale pourraient être prises en cas d’apparition d’un nouveau foyer.

Alors que bon nombre de Français s’interrogent sur leurs vacances d’été, le conseil prévient : « Les déplacements à l’étranger sont très déconseillés durant les mois qui suivent la période de confinement. » « Les voyageurs s’exposent à un risque de mise en quarantaine à l’arrivée dans le pays de destination, à un risque de contamination durant le séjour et à l’application de mesures de quarantaine au retour en France », détaillent-ils.

Pour les personnes à risque « un choix éclairé personnel » pour se protéger
Près de 18 millions de personnes sont considérées à risque, soit un quart de la population française. Il s’agit des personnes de plus de 65 ans (82 % des décès à l’hôpital concernent les personnes de plus de 70 ans), les individus souffrant de maladies chroniques (diabète, hypertension, cancer) et les personnes handicapées.

« Ces personnes sont exposées à un risque individuel très élevé de développer des formes graves. Elles doivent en être clairement informées », insiste le conseil qui leur « conseille » de « respecter un confinement strict et volontaire ». Il reposera sur « un choix éclairé, personnel ». Les conséquences collectives liées à ce choix – notamment la possible saturation des hôpitaux – ne sont pas abordées.

Pour les 800 000 personnes âgées vivant en Ehpad, il faut trouver « de façon urgente » des moyens d’établir un lien entre les résidents et leur famille. L’avis mentionne ainsi des visites virtuelles ou la possibilité pour un proche de venir en personne après un dépistage pour s’assurer de ne pas être contagieux. Il souligne qu’un « volant minimal de visites » est indispensable pour réduire la souffrance des résidents.

Pour les enfants et les actifs en bonne santé, un déconfinement à la carte
Le conseil qui recommande une fermeture de tous les établissements scolaires jusqu’en septembre « prend acte de la décision politique » de les rouvrir à partir du 11 mai. Il préconise un respect strict de la distance d’un mètre entre les élèves, ainsi que la mise à disposition de gel hydroalcoolique. Il incite à une application « raisonnable et individualisée » des mesures barrières à la maison.

Pour les actifs en bonne santé, l’objectif est de « reprendre progressivement une activité présentielle ne concernant si possible que la moitié des travailleurs ». Dans les administrations comme dans les entreprises, le télétravail demeurerait la règle pour la « totalité ou plus de la moitié du temps de travail ».

En cas de rebond de l’épidémie, les scientifiques n’excluent pas un retour à un confinement qui pourrait être « régional » ou « généralisé ».

Paul Benkimoun et Chloé Hecketsweiler