L’hôpital

Le Monde - Crise de l’hôpital : « Et si c’était à refaire ? » Six ex-ministres de la santé reviennent sur vingt ans de réformes

Août 2022, par Info santé sécu social

Jean-François Mattei, Xavier Bertrand, Philippe Bas, Roselyne Bachelot, Marisol Touraine, Agnès Buzyn. Tous sont passés par l’avenue de Ségur, et tous ont accepté d’évoquer ce qui aurait dû être décidé, ou au contraire ne pas être lancé, ces vingt dernières années pour éviter la situation actuelle.

Par Véronique Chocron

« Tout notre système de santé est à bout de souffle. » C’est lors de sa prise de fonctions, en juillet, que le nouveau ministre de la santé et ex-chef des urgences de l’hôpital de Metz-Thionville, François Braun, a dressé ce constat alarmiste. La pénurie de médecins, d’infirmières et d’aides-soignantes a déjà provoqué, aux premiers jours de l’été, la fermeture ou le fonctionnement dégradé de plus de cent vingt services d’urgence dans le secteur public.

Pour remonter aux racines de cette crise profonde du système hospitalier, Le Monde a interrogé plusieurs des ministres de la santé qui se sont succédé au cours de ces vingt dernières années : Jean-François Mattei (2002-2004), Xavier Bertrand (2005-2007, puis 2010-2012), Philippe Bas (quelques mois en 2007, mais aussi ministre délégué à la Sécurité sociale de 2005 à 2007), Roselyne Bachelot (2007-2010), Marisol Touraine (2012-2017) et Agnès Buzyn (2017-2020). Nous leur avons demandé, si c’était à refaire, quelles réformes auraient dû être engagées ou au contraire amendées, pour éviter la crise actuelle. Tous ont un regard critique sur la politique de santé engagée depuis le tournant du XXIe siècle, mais souvent moins sévère sur leur propre bilan avenue de Ségur.

Le numerus clausus ou la chute du nombre de médecins
La France estime dans les années 1970 qu’elle risque d’avoir trop de médecins. Un numerus clausus est alors mis en place pour limiter le nombre d’étudiants admis en deuxième année de médecine, sans réelle évaluation des besoins en santé, en partant de l’hypothèse que plus il y a de médecins, plus il y a de prescripteurs et plus le déficit de la Sécurité sociale se creuse. Le monde médical y voit aussi son avantage : contenir le nombre de praticiens permet de limiter la concurrence et de garantir les revenus. La mesure conduit logiquement à un effondrement du nombre de médecins formés, avec une diminution de près de 60 % au milieu des années 1990.

« Quand je suis arrivée au ministère en 2017, raconte l’ex-ministre de la santé Agnès Buzyn, je savais que le système de santé était en tension. La première chose que j’ai demandée à mes équipes a été de me montrer les projections démographiques. Quand j’ai vu les courbes, j’ai été paniquée. J’ai vu que les départs à la retraite projetés des médecins formés dans les années 1970 et le nombre de médecins formés faisaient une courbe en V, dans les dix ans à venir. Nous n’avions aucun moyen de maintenir le même nombre de médecins – déjà insuffisant en 2017 – sur le territoire. »

Pour celle qui fut ministre sous Emmanuel Macron, il aurait fallu élargir « plus tôt et plus largement le numerus clausus ». « Il a été desserré au début des années 2000, mais de façon trop progressive. On a perdu plus de quinze ans. En 2000, nous étions à 4 000 médecins formés par an, maintenant, avec son remplacement par le numerus apertus [les facultés fixent le nombre de places disponibles en deuxième année de médecine en lien avec l’agence régionale de santé], nous en sommes à 10 000-12 000. Nous aurions dû d’emblée changer la donne, parce que là, nous allons vivre des années horribles. »

La responsabilité du numerus clausus dans la pénurie actuelle de médecins fait aujourd’hui consensus. « C’était insensé, totalement absurde, lâche Jean-François Mattei, qui est arrivé au ministère de la santé en 2002. C’est moi qui ai amorcé sa remontée. »« Je suis celui qui a certainement le plus augmenté le numerus clausus », renchérit Xavier Bertrand, en dénonçant « un raisonnement complètement technocratique, guidé par une logique imposée notamment par les comptables de Bercy ». « On a eu un vrai débat, poursuit-il, pour ne pas dire un combat, avec le ministère de l’enseignement supérieur, mais aussi avec les doyens des facultés, qui affirmaient que nous n’aurions pas forcément les capacités d’accueil pour les étudiants en médecine. »

La responsabilité du numerus clausus dans la pénurie actuelle de médecins fait aujourd’hui consensus
Tandis que le nombre de médecins chute, la population française vieillit, et le besoin en soins liés aux maladies chroniques explose. « Dans les années 1970, la plupart des malades avaient des maladies aiguës, des infections, des infarctus, des AVC, souligne Agnès Buzyn. On n’avait pas perçu à quel point les progrès thérapeutiques allaient permettre de prolonger la vie des gens, mais avec des maladies chroniques. » « On n’avait pas non plus perçu que le monde de la santé allait se féminiser considérablement et que l’aspiration des jeunes générations à avoir un équilibre vie professionnelle-vie familiale allait grandir.Aujourd’hui, les médecins veulent avoir des horaires décents, ajoute-t-elle. Or, les projections démographiques ne prenaient en compte que le nombre de médecins, et non pas le temps médical disponible. Sans compter que la population aspire à accéder très facilement aux soins, estime que c’est un droit. Tout ça n’a pas du tout été anticipé à cette échelle-là. »

En outre, si la France continue aujourd’hui de recruter des médecins étrangers pour compenser son manque de praticiens, l’ancienne ministre prévient que « le besoin en infirmières et médecins a incroyablement augmenté dans le monde entier. L’OMS considère qu’il manquait 18 millions de soignants en 2020 et estime qu’il en manquera autour de 30 millions dans les années 2030-2040. Les choses s’aggravent ».

La fin de l’obligation de gardes ou la victoire des médecins de ville
En 2002, lorsque Jean-François Mattei, lui-même médecin, arrive au ministère, les urgences sont déjà « à la peine ». De plus, il a face à lui des généralistes qui ne veulent plus assumer une obligation de gardes, le soir et le week-end. « La société changeait, ils voulaient pouvoir bénéficier de la soirée en famille et ils ne voulaient plus assurer la permanence des soins de façon obligatoire. » Le ministre accepte « moyennant des conditions » : « Il ne s’agissait évidemment pas de dire aux médecins : “Eh bien, maintenant faites ce que vous voulez”, car la permanence des soins est un service public obligatoire, mais d’assurer cette permanence avec des volontaires. »

Une cellule de concertation entre les syndicats médicaux, l’ordre national des médecins et les associations de médecins d’urgence comme SOS-Médecins est mise en place. « Tous devaient s’entendre pour établir un tableau de garde. L’ordre des médecins organisait ce tableau et, s’il n’y parvenait pas, le préfet avait autorité pour imposer, souligne l’ancien ministre.Car il était évidemment exclu qu’on laisse les patients sans solution. »

Pourtant, dès cette époque, « les gens venaient directement aux urgences le plus souvent, ils avaient pris l’habitude d’avoir une réponse instantanée à leurs problèmes, avance-t-il. Ils ne téléphonaient même plus, ou presque, à leur médecin. Pour faire face au temps d’attente aux urgences, je voulais répondre par les maisons médicales de garde. » Implantées à la porte de l’hôpital, elles devaient, avec « un ou deux généralistes, aidés par une ou deux infirmières, permettre de faire un tri des vraies urgences ». S’il a inauguré deux ou trois de ces maisons, M. Mattei regrette « que les médecins et les hôpitaux n’aient pas mis toute l’énergie et les financements nécessaires ». Il explique : « Je vous dis la situation que j’ai trouvée et les solutions que j’ai proposées, et je me défausse si vous me permettez sur mes successeurs qui pour la plupart n’ont pas repris ces idées. »

Très vite, pourtant, « on constate qu’il était très difficile d’obtenir que les médecins fassent les gardes », raconte Philippe Bas. Durant son court passage au ministère de la santé, en 2007, « un des seuls actes qu’[il a] posé concerne ce dossier ». « J’ai envoyé une instruction très ferme aux préfets pour que les médecins libéraux prennent leur part du fardeau, raconte-t-il, et j’en ai rendu compte en conseil des ministres, ce qui est tout à fait exceptionnel. Alors, évidemment, vous voyez bien le ministre qui fait ça à quelques semaines de l’élection présidentielle, ça n’a pas tout à fait la même portée que si c’était en début de mandat… »

Marisol Touraine, qui sera ministre de la santé à compter de 2012, déplore elle aussi que les médecins libéraux aient obtenu de ne plus faire de garde obligatoire. « Mais, une fois que vous avez dit ça, le fait que ça ait été une erreur ne rend pas la remise en place facile », constate-t-elle.

La liberté d’installation ou l’essor des déserts médicaux

La question des gardes n’est pas le seul point d’achoppement entre le gouvernement et les médecins libéraux. La France de l’époque fait face à une autre difficulté : la mauvaise répartition des médecins sur le territoire. Trop de praticiens s’installent en bord de mer et dans les métropoles ensoleillées, tandis que les campagnes et les banlieues commencent à devenir des déserts médicaux.

Arrivée avenue de Ségur en 2007, Roselyne Bachelot tente d’ouvrir le dossier en« posant une réforme majeure : le conventionnement sélectif ». Avec cette dernière mesure, les patients des médecins libéraux s’installant dans les zones surmédicalisées pourraient ne plus être remboursés par l’Assurance-maladie, afin de dissuader les praticiens d’y ouvrir leur cabinet. « Et là je vais susciter le blocage de la médecine de ville, ce qui est exactement le problème à l’heure actuelle, j’ai l’impression de vivre le retour vers le passé, avance l’ex-ministre. La médecine de ville estime qu’on ne doit lui imposer aucune contrainte, ni contrainte d’installation, ni contrainte de déclaration des absences, ils sont maîtres et compagnons. Certains médecins, et en particulier le puissant syndicat de médecins libéraux CSMF[Confédération des syndicats médicaux français], vont mobiliser les internes en leur disant : on va vous obliger à vous installer là et là, et ça, c’est le drap rouge sur le taureau. »

Elle estime avoir eu« totalement raison ». « J’étais pour continuer le bras de fer. Les pharmaciens n’ont pas la liberté d’installation et le conventionnement sélectif, on l’a fait avec les infirmières, ça marche. Mais le premier ministre François Fillon m’a demandé de lâcher. » La ministre résoudra le conflit « avec l’aide d’un garçon dont [elle se] souvien[t] très bien, Olivier Véran [futur ministre de la santé de 2020 à 2022], qui était patron d’un syndicat d’internes ».

Plus tard, en 2010, alors qu’elle vient de faire voter une loi hospitalière (hôpital, patients, santé, territoires), Roselyne Bachelot est « switchée du ministère de la santé à celui des solidarités ». « Il m’a été clairement dit que le but était de se réconcilier avec les médecins. On estime que ce sont des leaders d’opinion. Je ne partage pas cette vision, je pense que notre pays a besoin de réformer son système de soins, que certains modèles sont largement datés, je pense notamment à cette phrase du patron de la CSMF, lors de notre premier rendez-vous : “Quand même, avoir comme ministre de la santé un pharmacien, quelle déchéance !” »

Xavier Bertrand, qui a déjà occupé le poste sous l’ère Chirac, revient alors au ministère, sous la présidence Sarkozy « pour redonner de la confiance aux médecins, clairement ». Il le reconnaît : « On vient corriger certains sujets de la loi hôpital, patients, santé, territoires, qui a ébranlé tout un système libéral. Mais, non, le pouvoir politique n’a pas peur de contrarier les médecins. » Ils sont pourtant encore nombreux à penser que la défaite de la droite aux élections législatives de 1997 a été largement provoquée par les médecins, hostiles au plan de redressement de l’Assurance-maladie d’Alain Juppé.

« Le fond du problème, c’est que, lorsque les médecins ne sont plus en confiance, pointe en germe la crise des vocations, poursuit M. Bertrand. Je suis résolument opposé à la coercition, partant du principe qu’un jeune médecin qui s’installe n’a pas 18 ou 20 ans et ne se balade pas avec un sac à dos ; il a déjà une vie, souvent une famille et on ne les déplace pas comme des pions. » Le sujet de la possible limitation de la liberté d’installation des médecins figurera au menu de la « grande conférence sur l’accès aux soins », à la rentrée.

Marisol Touraine a fait preuve elle aussi de beaucoup de prudence. « Beaucoup de ceux qui me disaient : “Il faut obliger les médecins à s’installer ici ou à faire des gardes” ont été un petit peu moins allants en arrivant aux responsabilités. Quand on peut éviter la contrainte, c’est mieux, dit-elle. J’ai toujours dit aux médecins : saisissez-vous des mécanismes de l’incitation, car sinon un jour viendra où il n’y aura plus d’argument à opposer à ceux qui défendent la contrainte. Je ne sais pas si nous en sommes arrivés là ou pas. » La politique de la carotte n’ayant pas produit les résultats escomptés, le sujet de la possible limitation de la liberté d’installation des médecins figurera au menu de la « grande conférence sur l’accès aux soins » promise par Emmanuel Macron, qui débutera à la rentrée.

Le bas salaire des infirmières et aides-soignantes ou les mauvaises économies

En 2012, quand la gauche revient au pouvoir, l’heure est au redressement des comptes. Durant tout le quinquennat Hollande, les dépenses de santé seront sous forte pression, en particulier celles consacrées à l’hôpital. Ce qui permet à sa ministre de la santé, Marisol Touraine, d’annoncer qu’en 2017 le « trou de la Sécu aura disparu ». Très provisoirement. « Sous François Hollande, il y avait l’idée d’une rationalisation, reconnaît-elle, les économies ont toutefois pour l’essentiel porté sur les fonctions support à l’hôpital. On a aussi réduit le nombre de lits en chirurgie, car comment peut-on dire qu’on développe la chirurgie ambulatoire – ce que tout le monde demandait – et garder le même nombre de lits ? Mon principal regret porte en revanche sur la revalorisation des salaires des infirmières et des aides-soignantes. Ce sont des choix de politique qui ont été faits, je crois que François Hollande a dit lui-même qu’on aurait dû faire davantage en la matière. »

« La crise actuelle s’explique en grande partie par la situation des aides-soignantes et des infirmières, qui sont insuffisamment payées, qui ont une mobilité de carrière insuffisante et des responsabilités insuffisantes, poursuit Mme Touraine. J’ai commencé à mettre en place la délégation de tâches, fondamentale, mais je n’ai pas eu les moyens financiers de revaloriser suffisamment. » Elle se souvient avoir demandé une revalorisation « très significative pour les aides-soignantes ». « On m’a dit non, parce que cela aurait un impact sur toutes les autres fonctions publiques. On ne peut pas fonctionner comme ça. Un de mes anciens collaborateurs de l’époque m’a dit récemment : “Si on avait enregistré les discours qu’ils nous tenaient à Bercy à l’époque et qu’on leur ressortait, aujourd’hui ils ne pourraient pas les entendre.” On me disait : “Tu demandes trop pour l’hôpital.” »

Trois ans après son départ, le Ségur de la santé, cette grande concertation conclue en juillet 2020, en pleine pandémie de Covid-19, débloquera plus de 8 milliards d’euros pour revaloriser les salaires et les métiers des personnels des hôpitaux et des Ehpad. Un rattrapage sans précédent, mais trop tardif.

La tarification à l’activité ou la course à la rentabilité

Au tournant des années 2000, les pouvoirs publics décident de modifier le mode de financement des hôpitaux. Jusque-là, ils recevaient une dotation globale pour fonctionner, chaque année la même somme. Le principe qui s’impose alors consiste à prendre en compte l’activité réelle des établissements. Il rallie une grande partie de la classe politique, car certaines petites structures font de moins en moins d’actes, quand d’autres ont une dynamique de soins importante, créent des spécialités, utilisent de nouvelles technologies et rencontrent d’importantes difficultés de financement.

« On m’attribue souvent la responsabilité de la tarification à l’activité, alors que ce n’est pas moi qui l’ai instaurée, proteste Roselyne Bachelot. Cela dit, je n’y suis pas opposée, comme la démocratie, c’est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres. »

« La tarification à l’activité a fait dériver le système vers un hôpital-entreprise, qui était insupportable. Je l’ai vécu comme médecin hématologue », témoigne Agnès Buzyn
C’est en réalité Jean-François Mattei qui la met en place à partir de 2004. « Le mouvement vers une tarification à l’acte s’était engagé dès les années 1990, avec l’idée d’un financement à la pathologie, rappelle-t-il. Donc, quand je suis arrivé, j’ai été saisi de cette question, j’ai lancé une réflexion et on a décidé la tarification à l’acte. Cela voulait dire qu’une appendicite, qu’elle soit opérée à Nice ou à Cambrai, c’était le même tarif. Nous avions bien vu la dérive possible d’hôpitaux qui voudraient se développer en donnant la priorité aux actes les mieux payés, se débarrasser des actes les moins payés, et donc essayer de travailler pour un meilleur profit. J’avais donc prévu un système de régulation : à partir d’un seuil, le prix de ces interventions déclinait pour l’hôpital. Et ce système ne pouvait pas être utilisé pour toutes les pathologies, notamment les maladies chroniques. »

Très vite, une partie du corps médical dénonce une course à la rentabilité, au détriment de la qualité. « La tarification à l’activité a fait dériver le système vers un hôpital-entreprise, qui était insupportable. Je l’ai vécu comme médecin hématologue, témoigne Agnès Buzyn. Je me souviens que le premier jour de mise en place de la tarification à l’activité à l’hôpital Necker, la directrice de l’établissement nous avait expliqué que soigner des enfants atteints de leucémie, ce n’était pas rentable, mais par contre opérer des prostates, si. Ce discours était absolument grotesque. Je suis arrivée avec l’idée de transformer le mode de tarification. On a bien réussi sur la psychiatrie. » Le Ségur de la santé s’est, depuis, engagé à accélérer la réduction de la part de tarification à l’activité dans le financement des établissements de santé.

Le père de la réforme, Jean-François Mattei, confirme aujourd’hui qu’elle « ne fonctionne pas bien. Tous les ans, les maladies évoluent, il faudrait en faire rentrer de nouvelles dans la tarification à l’activité et en faire sortir d’autres, quand elles deviennent chroniques. Par ailleurs, le montant de la tarification à l’activité pour un acte n’a pas été réévalué suffisamment ».

« Un seul patron à l’hôpital » ou le pouvoir aux directeurs
Roselyne Bachelot est arrivée depuis peu au ministère, lorsque le président de la République, Nicolas Sarkozy, lui commande une loi hospitalière. « Ce devait être une loi de réorganisation, raconte l’ancienne ministre, avec les formules chères à Sarkozy : “il faut un patron à l’hôpital”, “à l’hôpital, tout le monde a le pouvoir de dire non, personne n’a le pouvoir de dire oui”… ce qui est absolument la vérité. A l’hôpital, c’était la lutte entre les mandarins. Il y avait ceux qui avaient l’oreille du président de la République parce qu’on avait soigné le cancer de sa maman, l’oreille du ministre de la santé parce qu’on avait suivi la patte cassée du gamin, etc., ça marchait comme ça. »

La loi hôpital, patients, santé, territoires donne donc en 2009 le pouvoir au directeur de l’hôpital, qui est un haut fonctionnaire. « Il est vrai que certains mandarins avaient un fort pouvoir de lobbying auprès des élus, obtenaient tout ce qu’ils voulaient au détriment parfois d’autres professionnels de l’hôpital,note Agnès Buzyn. Si un chef de service très puissant et très médiatique voulait un scanner dernier cri, ce n’est pas le directeur de l’hôpital qui arrivait à avoir le dernier mot. Donc, il y avait des guerres de tranchée au sein de l’hôpital, entre chefs de service, pour savoir qui connaissait le plus de députés et allait faire pression sur le directeur. Mais cette réforme a abouti à d’énormes dérives. On a quelque part déclassé le corps médical, qui a perdu la capacité à s’impliquer dans les décisions de l’hôpital. »

« La gouvernance aujourd’hui à l’hôpital ne marche pas, estime pour sa part Jean-François Mattei. Le monde médical à l’hôpital est découragé. Ils ne peuvent prendre pratiquement aucune initiative, l’administratif a trop de pouvoir. Quand le président de la République a dit : “Il y a un seul chef à l’hôpital, c’est le directeur”, il nous a fait prendre dix ans de retard dans l’évolution des hôpitaux. » Pour lui, ce choix en faveur du directeur administratif« s’explique par le fait que des hôpitaux étaient en déficit, les médecins dépensaient trop, donc le directeur avait pour mission de serrer les robinets. Il y a des situations où c’est incompatible avec le fonctionnement honnête et satisfaisant de l’activité médicale ».