L’hôpital

Le Monde - Crise des hôpitaux : « Il convient de modifier le statut infantilisant des chefs de service »

Novembre 2019, par Info santé sécu social

TRIBUNE

jeudi 14 novembre 2019, par BREZIN Antoine

Seuls ceux qui, au quotidien, soignent les patients perçoivent la pertinence d’un acte médical et ses modalités. Les médecins hospitaliers revendiquent aujourd’hui une « remédicalisation » de la gouvernance, explique l’ophtalmologue Antoine Brézin dans une tribune au « Monde ». Sans quoi, nombre d’entre eux continueront à quitter le public pour le privé.

« Les médecins se plaignent de la faiblesse de leur pouvoir de décision dans l’organisation même de leur métier » (mobilisation nationale des personnels soignants pour la défense de l’hôpital public, à Paris, le 14 novembre).

Crise des urgences, déficits budgétaires, fermetures de lits, de services ou d’hôpitaux, les sujets de tensions sont chroniques à l’hôpital public. La journée d’action du jeudi 14 novembre rassemble médecins, infirmières et autres personnels hospitaliers autour de revendications multiples, dont celle d’une légitime revalorisation des salaires.

L’un des éléments de mécontentement, moins connu des usagers de l’hôpital – terme politiquement correct venu progressivement remplacer celui de « patients » – est celui de la gouvernance hospitalière. « Il faut un patron à l’hôpital », déclarait Nicolas Sarkozy, qui souhaitait que soit renforcé le pouvoir des directeurs d’hôpitaux. Dix ans plus tard, cette question reste d’actualité. Mais qui du chirurgien ou du directeur d’hôpital est le plus compétent pour organiser un bloc opératoire ? Les médecins hospitaliers revendiquent aujourd’hui une « remédicalisation » de la gouvernance.

La rupture d’une relation de confiance et de respect entre le corps administratif hospitalier et les médecins a abouti à de nombreuses situations d’exaspération et à de multiples dysfonctionnements. Si les médecins considèrent que le rôle de l’administration hospitalière devrait être de leur fournir les moyens d’exercer au mieux leur métier, les directeurs d’hôpitaux, quant à eux, jugent qu’il leur appartient d’organiser les activités médicales, tels des chefs d’orchestre dirigeant leurs musiciens.

L’exemple des hôpitaux militaires

Apparaît ici l’un des premiers éléments de crispation : le chef d’orchestre est toujours lui-même musicien, alors que le directeur d’hôpital, généralement formé à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), n’est pas médecin et, de ce fait, voit parfois sa légitimité contestée lorsqu’il prétend organiser le fonctionnement des services.

Les chefs de service sont privés de toute influence sur le parcours professionnel des infirmières qui travaillent au quotidien avec eux. Ceci les prive donc de moyens qui leur permettraient de renforcer la cohésion de leurs équipes

Une alternative à ce mode de fonctionnement, enviée par de nombreux médecins hospitaliers civils, est celui des hôpitaux militaires dirigés par un praticien formé au management et détaché de ses activités de clinicien. En théorie, le rôle du président du comité médical d’établissement (CME), médecin élu par ses pairs, peut venir équilibrer la gouvernance d’un hôpital, mais dans la réalité ses prérogatives sont forts limitées.

Pour ce qui est des centres hospitaliers universitaires (CHU), le doyen de la faculté de médecine, lui aussi élu par ses pairs, peut également jouer un rôle, mais celui-ci se limite généralement aux domaines de la recherche et de l’enseignement. Les médecins se plaignent dès lors de la faiblesse de leur pouvoir de décision dans l’organisation même de leur métier et la demande d’une remédicalisation de la gouvernance des hôpitaux est un thème central des mouvements de protestation actuels. Ne pas prêter oreille à cette revendication pour qui veut comprendre la nature du mécontentement qui agite aujourd’hui les hôpitaux serait une erreur.

Toutefois, derrière cette thématique se cachent des aspirations diverses. Diriger un établissement de santé demande des compétences juridiques et techniques qui ne font pas partie du socle de formation des médecins. Un partage des rôles est donc nécessaire. La remédicalisation prônée par certains, consistant en un renforcement du pouvoir des présidents de CME afin qu’ils deviennent de véritables codirecteurs des établissements de santé, ne saurait suffire. En effet, si l’on veut redynamiser la gouvernance des hôpitaux, la seule solution est la responsabilisation directe des praticiens qui y exercent.

Découragement

Le management actuel, « top-down », selon l’expression anglaise, décourage ceux qui au quotidien soignent les patients. Eux seuls perçoivent véritablement la pertinence d’un acte médical et ses modalités : seul un cardiologue connaît les défis de la cardiologie, un urologue ceux de l’urologie moderne ou un ophtalmologiste les progrès de sa discipline et les changements d’organisation qui en découlent. La remédicalisation de la gouvernance hospitalière doit donc être comprise comme une responsabilisation des médecins de terrain.

Il convient de mettre un terme à la situation actuelle et de modifier le statut infantilisant des chefs de service, privés de toute autonomie et de tout pouvoir, qu’il s’agisse de choisir librement les équipements nécessaires à leur pratique ou l’organisation de leurs équipes. Il devrait également leur revenir de pouvoir contribuer à l’encouragement, peut-être au moyen de primes, des personnels les plus engagés. Or, dans la situation actuelle, les chefs de service sont privés de toute influence sur le parcours professionnel des infirmières qui travaillent au quotidien avec eux. Ceci les prive donc de moyens qui leur permettraient de renforcer la cohésion de leurs équipes.

Créer les conditions d’une responsabilisation réelle contribuerait à redonner le goût de l’exercice hospitalier à de nombreux médecins. Sans mesure correctrice, au-delà des mouvements de protestation de ce mois de novembre, une autre tendance, bien plus grave, risque fort de s’accentuer : celle qui voit des médecins, parmi les meilleurs et les plus dynamiques, quitter l’hôpital public pour rejoindre le privé, la médecine pouvant s’exercer aussi bien dans un secteur que dans l’autre. Ces dernières années ont, hélas, vu d’excellents praticiens quitter l’hôpital, et j’observe avec crainte le désintérêt de brillants internes pour les carrières hospitalières.

Améliorer la gouvernance hospitalière en rétablissant une responsabilisation et une marge d’autonomie aux chefs de service est une des conditions nécessaires pour lutter contre le pénible sentiment d’enlisement dans lequel s’enfonce aujourd’hui l’hôpital public.

Antoine Brézin (Ophtalmologue)

Antoine Brézin est professeur à l’université Paris-Descartes. Il est chef de service au centre d’ophtalmologie de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.